Du venin au médicament

Les chercheurs de l’Institut des biomolécules Max Mousseron (IBMM) transforment les poisons en médicaments : ils passent au crible les venins animaux à la recherche de nouvelles molécules thérapeutiques.

Cône géographe, Conus geographus – Crédit : David Mullins

Serpents, scorpions, araignées, cônes… Ces animaux sécrètent des venins extrêmement puissants, leur permettant de tuer leurs proies en quelques secondes. Mais ces élixirs mortels sont aussi une formidable source d’espoirs : les chercheurs étudient ces venins pour mettre au point de nouveaux médicaments. L’idée d’utiliser les venins animaux à des fins médicales n’est pas nouvelle, les décoctions de venin de serpent sont utilisées en médecine chinoise traditionnelle depuis l’antiquité. Mais la recherche pharmacologique systématique autour de ces molécules est beaucoup plus récente. « Cette thématique se développe intensément seulement depuis environ une vingtaine d’années », explique Sébastien Dutertre, chercheur à l’IBMM.

Des poisons qui guérissent

Des travaux qui ont permis la naissance de nouveaux médicaments dont certains sont aujourd’hui incontournables. Le Captopril, médicament aujourd’hui prescrit à des milliers de patients qui souffrent d’hypertension, trouve son origine dans les crocs de Bothrops jararaca, redoutable vipère abondante au Brésil. Le venin de cette « vipère fer-de-lance » est foudroyant. Les chercheurs se sont aperçus qu’il provoque la dilatation des vaisseaux sanguins ce qui entraîne une chute de la pression artérielle, propriété particulièrement intéressante pour les patients souffrant d’hypertension.
Autre médicament qui trône sur les étals de nos pharmacies, le Byetta, prescrit aux patients souffrant de diabète de type 2. La molécule active a été identifiée dans la salive du « monstre de Gila », un lézard mexicain. « Les chercheurs y ont trouvé une molécule similaire à l’insuline mais plus stable », précise Sébastien Dutertre. Ce médicament est aujourd’hui prescrit à des milliers de diabétiques pour leur permettre de réduire leur taux de sucre sanguin.

Des coquillages pas si inoffensifs…

« Une vingtaine de molécules issues de venins animaux sont d’ores et déjà commercialisées », précise Sébastien Dutertre. Depuis 12 ans, le biologiste travaille sur le venin des cônes, de magnifiques coquillages tropicaux aux motifs bigarrés qu’il est fort tentant de ramasser comme souvenir de vacances, mais qui s’avèrent de dangereux prédateurs. « Certains d’entre eux peuvent même être mortels pour l’homme, comme le Conus geographus qui est à l’origine de nombreux accidents », met en garde le chercheur. Ces mollusques gastéropodes sont en effet pourvus d’une sorte de dent en forme de harpon appelée “radula” qui leur permet d’injecter leur puissant venin pour attaquer leurs proies ou se défendre contre leurs prédateurs. En 2004, le premier médicament issu du venin de cône a été commercialisé, le Ziconotide.
« C’est un antidouleur mille fois plus puissant que la morphine, souligne Sébastien Dutertre, il est particulièrement utile pour les patients qui sont devenus réfractaires aux opioïdes conventionnels ». Cette découverte a boosté la recherche sur les venins de cônes qui ont révélé d’autres propriétés particulièrement intéressantes. « Les peptides de ces venins peuvent cibler préférentiellement les cellules cancéreuses, ils pourraient donc être utilisés comme molécules de transport pour mettre au point des chimiothérapies ciblées qui ne tueraient pas les cellules saines », explique Sébastien Dutertre. Aujourd’hui le chercheur s’est tourné vers une espèce locale, le scorpion languedocien.
Un territoire de recherche certes plus proche, mais aussi complètement vierge : « les propriétés pharmacologiques des molécules qui composent son venin n’ont pas encore été étudiées », explique Sébastien Dutertre. Peut-être une voie vers de nouveaux médicaments made in UM issus du terroir régional…

Attaquer ou défendre, tout dépend du venin

Sébastien Dutertre et ses collègues ont montré que les cônes n’utilisent pas la même arme pour chasser et pour se défendre : ils possèdent deux types de venins complètement différents. Une faculté extraordinaire qui a été identifiée pour la première fois. « Nous avons démontré que les cônes n’injectent leur venin mortel que sous la menace d’un prédateur, explique Sébastien Dutertre. Lorsqu’il s’agit de se nourrir ils injectent un venin moins complexe mais très efficace pour immobiliser rapidement leurs proies ». Cette propriété unique peut avoir un intérêt pour les chercheurs, notamment en agro-chimie. « Les cônes se nourrissent notamment de petits invertébrés comme les vers, on peut donc imaginer développer à partir de leur venin de prédation des produits qui pourraient être utilisés en agronomie pour protéger les plantes et les cultures de l’attaque de certains vers ».