Joseph Zirah, l’ambitieux tranquille

Sans forfanterie ni fausse modestie, Joseph Zirah surfe sur un succès qui en a fait l’un des acteurs incontournables de l’innovation en Languedoc-Roussillon. Portrait d’un pur produit de la formation montpelliéraine.

Il n’est pas du genre à regarder en arrière, mais nul doute que Joseph Zirah gardera longtemps en mémoire sa rencontre avec Pierre Moscovici, un jour de septembre 2012. De passage dans la région, le ministre de l’économie avait fait halte à Lavérune pour y saluer la réussite d’un fleuron régional, ESII, le temps d’une visite et d’une poignée de main avec son fondateur. Ancien de l’ISIM (ex-Polytech), Joseph Zirah dirige depuis le début des années 80 cette PME spécialisée dans la gestion de l’accueil. Son métier : concevoir des solutions high-tech de gestion d’accueil pour les institutions publiques et le monde du commerce, à l’image de la file unique intelligente en caisse ou de la carte connectée pour des boutiques haut de gamme. Sa fierté : avoir propulsé son entreprise parmi les leaders mondiaux du secteur grâce à des outils comme le « parcours patient », un dispositif conçu pour optimiser le suivi des dossiers adopté par les plus grands hôpitaux parisiens. La belle histoire aurait pu en rester là. Mais c’était sans compter sur l’inventivité de cet ingénieur passé par Alcatel Paris avant de tenter l’aventure entrepreneuriale. A l’âge où certains songent à la retraite, Joseph Zirah se lance dans la création d’une nouvelle branche d’activité avec Twavox, qu’il présente comme « un logiciel d’accès à la culture pour les handicapés ».

Papier carbone

Il faut dire que le sujet le touche de près. Atteint depuis l’âge de deux ans d’une surdité évolutive, Joseph Zirah s’est heurté toute sa vie à un monde qui n’était pas fait pour lui. Sur les bancs de la fac déjà, à une époque où le mot d’accessibilité n’était qu’une vague notion, il doit s’en remettre aux copies carbones de l’un de ses camarades. Et travailler dur. Son scribe de l’époque, Jean-Pierre Richard, est depuis devenu un ami et son associé au sein d’ESII. Twavox est né d’un constat : « à chaque fois que j’allais au cinéma, j’avais des difficultés à percevoir la totalité des dialogues. Il y a certes des systèmes à boucle magnétique pour y pallier, mais ces dernières sont plus ou moins efficaces selon l’endroit où vous vous situez dans la salle, et les perturbations sont très fréquentes » raconte-t-il. Un soir, l’agacement l’emporte et Joseph Zirah se met en quête d’une application mobile sur internet.

Wifi

« Je me disais qu’à l’époque connectée qui est la nôtre, il y aurait forcément une solution. J’ai alors constaté qu’il n’en existait pas… » Étranger au milieu du cinéma mais fleurant l’opportunité ouverte par la nouvelle génération de mobiles, il décide d’engager son département R&D dans un nouveau défi. La réussite est à la mesure de l’audace. Lancé en 2014, son boitier et l’application brevetés qui va avec séduisent d’emblée des groupes comme Gaumont ou Pathé. Le principe est d’une simplicité désarmante : utiliser la bande wifi pour retransmettre le son vers un simple smartphone et une paire d’écouteurs, évitant ainsi toute interférence. Deux autres fonctionnalités viennent compléter le dispositif : l’audiodescription et les sous-titres. « Et on peut aller beaucoup plus loin » s’enthousiasme Joseph Zirah, qui vise désormais le marché des conférences et de l’enseignement. En avril, le président d’ESII était de retour à Polytech pour assister à l’installation du boitier Twavox dans un amphithéâtre. Tout un symbole. 40 ans après, Joseph Zirah tient sa revanche sur le papier carbone.