Christian Jay-Allemand : chercheur de solution

Professeur à l’Université de Montpellier au sein de l’UMR Iate, Christian Jay-Allemand met l’enseignement et la recherche publique à l’épreuve de l’interdisciplinarité et de la création d’entreprises. En octobre dernier, il a remporté avec son confrère Luc Bidel, le grand prix Carnot de la recherche partenariale pour son travail sur les antifongiques naturels avec la société Antofenol.

Chercheur, directeur de recherche à l’INRAe puis professeur à l’Université de Montpellier, Christian Jay-Allemand a la carrière du scientifique accompli. Pourtant lorsqu’il parle de son parcours de biologiste, il ne nous tend pas le tableau du chercheur dans son laboratoire mais celui d’un organigramme complexe qui croise les disciplines et les équipes, les étudiants et les industriels, la recherche fondamentale et l’ingénierie… Ce modèle, il l’a expérimenté avec les cursus master en ingénierie (CMI). Ces formations sélectives, nées en 2012 sous l’impulsion de Gilles Halbout, ancien directeur de la Faculté des sciences, proposent une pédagogie par projet à des petites promotions d’une vingtaine d’étudiants et étudiantes. « A l’Université de Montpellier, nous avons monté huit cursus en biologie, biotechnologie, opto-électronique, chimie, mécanique, informatique, etc. Huit CMI mais une seule équipe pédagogique pour promouvoir ce modèle et encadrer des étudiants passionnés », raconte Christian Jay-Allemand, qui ne tarit pas d’éloges sur ces formations. Directeur du CMI BBB (Biotechnologies-Bioressources-Biotraçabilité), il a travaillé avec ses collègues à construire une cohérence pédagogique sur 5 ans, qui comptent plus de 70 unités d’enseignement.

Prix Carnot avec « une très belle réussite »

« La pédagogie propre aux CMIs met les étudiants et étudiantes en position de chef de projets pour résoudre des problèmes environnementaux, sanitaires, alimentaires ou autres. Des problèmes parfois proposés directement par des entreprises locales qui interviennent ainsi dans la formation », souligne le directeur qui reconnaît que le label CMI, décerné par le réseau national FIGURE, ouvre beaucoup de portes aux jeunes recrues, ce qui rend d’ailleurs parfois difficile de les garder après la licence. De cette aventure, Christian Jay-Allemand retient en particulier « une très belle réussite » : la création de la société Antofénol par Fanny Rolet. « Cette ancienne étudiante était venue nous voir avec son projet de valorisation des sarments de vignes pour en tirer des fongicides naturels. » Un projet qui mêle microbiologie et chimie pour confirmer le potentiel fongicide de la vigne et identifier les processus d’extraction et de concentration des substances actives, mais aussi mécanique et ingénierie pour inventer la machine capable d’extraire ces fongicides. Tous les ingrédients sont donc là pour mettre à l’épreuve l’interdisciplinarité et le partenariat public-privé.

Pari réussi puisque l’UMR IATE (Ingénierie des agropolymères et technologies émergentes) travaille sur le volet biologie et chimie en lien avec Luc Bidel de l’INRAe, et avec l’équipe de Bernard Orsal de l’Institut d’électronique et des systèmes (IES) qui se mobilise sur la fabrication d’un prototype d’éco-extraction basé sur la maîtrise des micro-ondes et ultrasons. « Ce projet a fonctionné comme une sorte de Lab-Com où des enseignants-chercheurs, chercheurs et ingénieurs ont constitué une équipe très soudée mêlant approches fondamentales et appliquées et offrant un cadre de formation d’une grande richesse pour nos étudiants et étudiantes», se félicite Christian Jay-Allemand. Ce projet, outre lui avoir valu le prix Carnot en 2022, est un succès industriel : la société Antofenol a créé une usine de 20 personnes à Plestan en Bretagne, tout en maintenant une équipe de recherche privée au cœur du laboratoire, constituée d’anciens étudiants et étudiantes en masters et doctorants et doctorantes.

Créer des liens entre le monde universitaire et des entreprises locales est une voix très prometteuse pour celui qui a fait les frais de collaborations avec des grands groupes industriels. « J’ai par exemple travaillé avec le Groupe international Solvay. La collaboration s’est révélée très cloisonnée et a mis en difficulté notre doctorante.  Cette expérience m’a fait beaucoup réfléchir sur le lien aux entreprises. Les stratégies de ces grands groupes ont leur logique propre qui ne croisent pas celle de la recherche. En plus, ils n’offrent pas de perspective d’emploi à nos étudiants et étudiantes», tranche le professeur.

Des empreintes moléculaires prometteuses

Cette année, alors que sort la dernière promotion du CMI BBB, Christian Jay-Allemand défend « la force de notre pôle universitaire qui se nourrit de ces couplages formation-recherche et change progressivement notre modèle de pensée et de fonctionnement. Même si je reconnais qu’elle n’est pas partagée par tous mes collègues universitaires. » Cette méthodologie est néanmoins conservée dans les nouveaux parcours de licence et master tel que le master sciences du bois. Un master interdisciplinaire dans le recrutement des étudiants et étudiantes – qui viennent de biologie, chimie mais aussi mécanique ou encore architecture – et dans l’enseignement, avec 45 enseignants et enseignantes et une centaine d’entreprises impliquées. « Ce master garde ce fonctionnement par projet en lien avec des entreprises locales. Par exemple, l’entreprise Neofor de Mende a proposé aux étudiants de travailler sur la valorisation de ses eaux usées de scierie. Une étude ad hoc a été lancée, qui mise sur la valorisation tanins du bois », raconte-t-il.

Concernant sa recherche, Christian Jay-Allemand constate une grande constance depuis son doctorat à l’Université de Montpellier en 1985. Le chercheur n’a eu de cesse de comprendre, à l’échelle cellulaire, les mécanismes biologiques basés sur les interactions entre les molécules phénoliques et les protéines, interactions observées, en particulier, par l’étude de la fluorescence. La variation d’émission de lumière de la protéine permet de mieux comprendre des actions d’inhibition par exemple. Cette recherche s’est poursuivie ces dernières années sur les interactions entre les polyphénols et les protéines enzymatiques en vue d’identifier de nouvelles fonctions cellulaires.

Même s’il commence à envisager une fin de carrière, Christian Jay-Allemand garde des étincelles dans les yeux quand il parle de la suite. En ligne de mire, le développement de projets agro-forestiers couplés aux biotechnologies en lien avec les communes héraultaises et l’envie de voir émerger une start-up qui valoriserait les résultats du projet Esbac (Eco-extraction sélective de biomolécules actives) lancé en 2018 avec la société Antofénol. Géré par l’Université de Montpellier, ce projet a développé des empreintes moléculaires destinées à fixer des molécules pour ensuite les concentrer ou au contraire les éliminer. « Un outil très prometteur qui peut trouver plein d’applications pour enrichir ou détoxifier un milieu», projette l’entreprenant professeur.