Jean-Jacques Muyembe, endiguer le cours d’Ebola

C’est sur les recommandations du professeur montpelliérain Eric Delaporte, directeur de l’unité mixte internationale TransVIHMI, que l’Université de Montpellier a décerné le titre de docteur honoris causa  à Jean-Jacques Muyembe, le 9 décembre dernier.

Co-découvreur du virus Ebola et directeur du très précurseur Institut national de recherche biomédicale à Kinshasa, ce virologue congolais a mis sa vie au service de la lutte contre les épidémies. Après sa découverte, ses travaux ont notamment permis de mettre au point le tout premier traitement contre le virus Ebola Zaïre.

« L’œuvre de Jean-Jacques Muyembe, c’est avant tout  un travail de longue haleine à une époque où personne ne s’occupait de ce virus qui n’était responsable initialement  que d’épidémies limitées au sein de la forêt tropicale » déclare Eric Delaporte, professeur de maladies infectieuses au CHU et à l’Université de Montpellier et directeur de TransVIHMI. Cela fait plus de 20 ans maintenant que cette unité mixte internationale rattachée à l’UM, à l’IRD et à l’Inserm collabore avec l’Institut national de recherche biomédicale installé à Kinshasa et dirigé par le professeur Muyembe.

En ce 9 décembre, ce n’est pas sur le sol africain que les deux scientifiques se serrent chaleureusement la main mais sous les moulures de la Faculté de médecine de Montpellier où Philippe Augé, président de l’Université, est venu décerner le titre de docteur honoris causa à Jean-Jacques Muyembe. Sur les bancs de l’amphithéâtre d’anatomie où se déroule la cérémonie, une petite foule se presse déjà pour entendre la leçon traditionnellement donnée par le récipiendaire. Sujet du jour : « De la découverte du virus Ebola à son contrôle ».

Découverte d’un nouveau virus

Difficile de sourire et davantage encore de rire lorsqu’on évoque une maladie aussi mortifère qu’Ebola.  Et pourtant ce n’est pas sans humour et avec une simplicité qu’on pourrait qualifier d’hors norme tant la carrière de l’homme impose, que le professeur congolais retrace la sinistre épopée de ce virus qu’il a co-découvert il y a plus de 40 ans. L’histoire commence en septembre 1976 dans un pays qu’on appelle encore alors le Zaïre. Jean-Jacques Muyembe, diplômé de l’Université Lovanium (RDC) en 69 et de l’Université de Louvain en 73, est envoyé en mission dans le petit village de Yambuku pour enquêter sur une mystérieuse maladie touchant les villageois.  « Même les religieuses belges de l’hôpital de la mission catholique étaient victimes, souligne le médecin. Ni les antipaludéens, ni les antibiotiques n’avaient d’effet sur ces patients qui pour la plupart sont décédés ».

Alors que les autorités suspectent la fièvre thyroïde, le médecin réalise des prélèvements de sang sur les malades. « Mes doigts étaient souvent souillés de sang, j’avais heureusement le réflexe de me laver les mains immédiatement avec du savon sans quoi je ne serai pas avec vous aujourd’hui. » Lorsque trois infirmières et deux religieuses évacuées à Kinshasa décèdent à leur tour, Jean-Jacques Muyembe décide d’envoyer ses échantillons à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers. Là-bas le professeur Peter Piot confirme l’apparition d’un nouveau virus. Il sera baptisé Ebola, du nom de la rivière qui coule près du village où il a fait son apparition.

Premières mesures de contrôle

En cette année 1976, les deux souches du virus, Ebola Zaïre et Ebola Soudan qui s’est déclaré en juin dans le pays dont il porte le nom, font 318 victimes dont 280 sont mortes, soit un taux de létalité de 88%. Alors que ces premières épidémies d’Ebola s’éteignent, le sida lui ne cesse de monter en puissance en Afrique. Pour contrer ce nouveau fléau et travailler sur les maladies émergentes Jean-Jacques Muyembe, qui est aussi professeur de microbiologie à la Faculté de Médecine de l’Université de Kinshasa, rêve d’un établissement de recherche sur le modèle de l’Institut Pasteur. Ce sera chose faite en 1984 avec la création de l’Institut national de recherche biomédicale de la République démocratique du Congo inauguré à l’époque par François Mitterrand et le premier ministre de RDC Leon Kengo. « Les congolais ont su développer ce centre pour qu’il devienne une véritable référence. Aujourd’hui on trouve davantage de centres de cette ampleur en Afrique mais, l’INRB était précurseur comme centre national autonome de niveau international » se souvient Eric Delaporte qui à cette époque travaille lui aussi sur le VIH mais au Gabon.

Après 19 années de silence, Ebola réapparait en avril 95 à Kikwit, une ville de 400 000 habitants à 500 km au sud de Kinshasa. Jean-Jacques Muyembe est alors nommé coordonnateur national de la riposte contre l’épidémie. Il dresse un portrait virologique plus précis d’Ebola et met en lumière les aspects épidémiologiques de la maladie, notamment le rôle amplificateur des hôpitaux et des rites funéraires. Il devient précurseur dans la mise en place de mesures de contrôle de l’épidémie telles que le « Ebola handshake » dont s’inspireront 25 ans plus tard, les politiques de santé publique occidentales lors de l’épidémie de Sars-Cov-2. Il tente également la première sérothérapie en traitant 8 patients avec le sang des survivants d’Ebola : 7 survivent. L’épidémie s’éteint après avoir touché 317 personnes et provoqué la mort de 250 d’entre elles.

Sur la piste du Sida

A la fin des années 90, Jean-Jacques Muyembe prend la direction de l’INRB et poursuit la dynamique visant à lui donner un rayonnement international. De leur côté, Eric Delaporte et Martine Peeters virologue à TransVIHMI,  continuent leur travail d’enquête en Afrique pour retracer l’origine du VIH et remonter la piste de l’épidémie. « Jean-Jacques menait lui aussi des travaux sur le VIH et souhaitait développer des collaborations. C’est ainsi que nous avons commencé à former ensemble des étudiants parmi lesquels Steve Ahuka-Mundeke aujourd’hui chef de service de l’unité de virologie à l’INRB et Placide Mbala chef de service de l’unité de biologie moléculaire » poursuit l’infectiologue français.

TransVIHMI et l’INRB mèneront ainsi de nombreux projets collaboratifs sur la diversité génétique du VIH à Kinshasa, authentifiant ainsi la capitale du Congo comme point de départ de l’épidémie mondiale de Sida. Ils travailleront également sur la diversité des rétrovirus simiens afin de mettre en évidence de nouveaux virus ou sur la surveillance de l’émergence de résistance aux antirétroviraux utilisés comme traitement contre le VIH. Les deux équipes continuent de travailler main dans la main au sein de nombreux projets notamment ARIACOV visant à suivre la dynamique de l’infection au Sars Cov-2 en Afrique.

Le retour d’Ebola

Entre 2000 et 2020, de nombreux foyers d’Ebola ont continué d’éclore sur le continent africain. Si la plupart d’entre eux sont rapidement contrôlés, une première grande épidémie part de Guinée en 2013 et gagnent rapidement d’autres Etats d’Afrique de l’Ouest. Quelques cas isolés sont même répertoriés en Europe et aux Etats-Unis. L’épidémie qui dure deux ans fait cette fois entre 15 000 et 20 000 morts. La transfusion du sang des survivants qui avait été testée avec succès en 95 ne démontre aucune efficacité significative pendant cette épidémie. Pour autant le professeur Muyembe n’abandonne pas cette piste et, avec le soutien d’une équipe américaine, poursuit ses recherches sur les anticorps monoclonaux à partir du sang d’un survivant.

En 2018 deux nouvelles épidémies d’Ebola se déclenchent en RDC. Malgré la guerre civile qui aggrave significativement la situation, les recherches réalisées permettent une meilleure gestion de l’épidémie : « La molécule mise au point par Jean-Jacques Muyembe et baptisée Ebanga a permis de valider un premier traitement curatif d’Ebola Zaïre. Parallèlement, il a aussi contribué au développement et à l’évaluation d’un vaccin, utilisé aujourd’hui de façon opérationnelle » explique Eric Delaporte. La collaboration avec TransVIHMI a également abouti à l’identification de la souche virale responsable de l’épidémie permettant ainsi un meilleur diagnostic et un suivi de l’épidémie grâce au contact tracing en utilisant des nouvelles techniques de biologie moléculaire.

Reconnaissance internationale

Personnalité de premier plan dans son pays sur le plan scientifique et politique grâce au rôle qu’il joue dans la gestion de la santé publique, Jean-Jacques Muyembe jouit aujourd’hui d’une réputation internationale. Lauréat en France du Prix Mérieux de l’Institut de France, lauréat du prestigieux Hideyo Noguchi Africa Prize, qui lui a été remis à Tokyo  en 2019, docteur honoris causa d’Harvard… La revue Nature de son côté le classait parmi les dix scientifiques qui ont le plus compté en 2018-2019. « Au moment du covid, il était considéré par le Time magazine comme une des 100 personnalités les plus en vue et malgré tout cela il est toujours resté d’une simplicité remarquable. C’est quelqu’un qui refuse de se prendre au sérieux et qui manie le second degré avec une grande finesse » poursuit Eric Delaporte.

Après la pédiatre Chipepo Kankasa (Zambie), le spécialiste des médias Tawana Kupe (Afrique du Sud) et le gynécologue Prix Nobel de la paix Denis Mukwege (RDC), l’Université de Montpellier réaffirme, à travers ses docteurs honoris causa, sa volonté de poursuivre et de développer ses collaborations étroites avec l’excellence de la recherche africaine et de la soutenir par tous les moyens disponibles. Dans cet objectif, la convention Prisme RDC pour « plateforme de recherche internationale en santé mondiale en République démocratique du Congo » a été signée à l’issue de la cérémonie en présence de Jean-Jacques Muyembe, directeur de l’INRB, de Body Ilonga, secrétaire général du ministère de la Santé publique de la République démocratique du Congo, de Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS- maladies infectieuses émergentes, d’Yves Martin-Prével, directeur du Département  Santé de l’IRD et de Philippe Augé, président de l’Université de Montpellier.