« L’innovation n’est pas un centre de profit, c’est une mission de service public »

Le 20 avril dernier, l’Université de Montpellier accueillait le Deep Tech Tour. Un évènement organisé par la banque publique d’investissement dans le but de sensibiliser les chercheuses, chercheurs, étudiantes et étudiants à l’entrepreunariat. L’occasion de faire un point sur la politique d’innovation à l’UM avec le vice-président François Pierrot

L’innovation pour une université qui produit sans cesse de nouveaux savoirs qu’est-ce que c’est exactement ?
Les recherches universitaires ont toujours pour objectif d’acquérir de nouvelles connaissances. L’innovation consiste à transformer certaines de ces connaissances en produits et en services nouveaux, voire en actions publiques, car l’innovation ne concerne pas que le monde marchand même si le lien est plus évident quand on parle de brevets ou de logiciels.

Les universités françaises sont-elles obligées d’avoir une politique d’innovation ?
Dans les missions officielles des universités il y a la formation, la recherche et la contribution à l’essor économique du pays, donc l’innovation n’est pas une option pour nous. Nous sommes financés majoritairement par de l’argent public. Cet argent, d’où vient-il ? De l’activité économique produite par le travail de chacun. Si, quand les connaissances acquises s’y prêtent, nous n’amenons pas nos innovations sur le marché, ou plus largement vers la société, c’est une perte d’opportunité pour tout le monde, et nous manquons à une de nos missions.

Le développement économique passe forcément par la recherche académique ?
L’essentiel des avancées économiques est aujourd’hui lié aux innovations scientifiques et technologiques et les entreprises les plus en vues dans le monde sont celles qui ont réussi à faire le lien entre la recherche, l’innovation et la production industrielle. On le voit autour des grandes universités américaines : la zone de Boston autour du MIT et de Harvard, la Silicon Valley autour de UC Berkeley, Stanford… En France, la mise en avant des « entreprises Deep Tech » illustre cette volonté de mettre l’innovation technologique issue du milieu académique au cœur de la création d’entreprises qui demain seront des championnes.

Comment s’y prend-t-on pour sortir ces innovations de l’université et les amener sur le marché ?
Il n’existe pas une voie unique, mais certains éléments sont très souvent présents : maturation des technologies, incubation des jeunes entreprises, mise en place de relations contractuelles solides avec des partenaires privés. Nous profitons aujourd’hui de notre relation privilégiée avec la SATT AxLR qui est un opérateur de droit privé (créé par l’État en 2012), mais dont l’actionnariat est public.

Qui en sont les actionnaires ?
Les plus importants sont l’État, le CNRS et l’Université de Montpellier, mais la Région et la Métropole de Montpellier, qui sont des partenaires incontournables de l’innovation, nous ont rejoints depuis peu. Les SAatt sont dotées de moyens financiers qui nous permettent de contribuer directement au processus de maturation quand nous détectons dans nos laboratoires une avancée qui peut donner lieu à une Propriété Intellectuelle (brevet, logiciel, etc.), mais aussi à l’incubation des jeunes entreprises qui s’appuient sur nos technologies.

Et quels sont les dispositifs mis en place par l’UM pour assurer cette détection ?
C’est le rôle à la fois des services en charge des partenariats avec les entreprises qui sont en contact régulièrement avec les laboratoires (à l’UM : la DIPA), mais aussi de dispositifs spécifiques, comme notre « booster d’innovation » : le BIM (lire BIM : un tremplin pour vos idées). Si les projets sont encore très « amonts », il faudra persévérer dans une activité de recherche pure, s’il manque encore des preuves de concepts, aller vers la prématuration, si les projets sont bien avancés, aller vers la SATT ou le BIC.

A quoi sert l’incubation ?
Si des dirigeants expérimentés ne sont pas présents dès le début de l’aventure, il faut former l’équipe de créateurs : c’est le rôle de l’incubation. Dans de nombreux cas ce sont les chercheuses ou chercheurs eux-mêmes qui souhaitent créer une entreprise. Les concepts de business plan, la réglementation, la gestion des RH, les stratégies d’export etc, leur sont souvent étrangères.

Et qui réalise cette incubation sur le territoire montpelliérain ?
Nous avons la chance à Montpellier d’avoir plusieurs acteurs qui non seulement font de l’incubation mais coopèrent pour faire de la co-incubation. La Satt bien sûr, mais aussi le BIC de Montpellier qui est un des meilleurs incubateurs au monde et que nous aurons bientôt la chance d’héberger sur le campus Triolet et enfin l’Incubateur de l’Université, opéré aujourd’hui par MoMa et que nous espérons pouvoir renforcer dans un futur proche.

Tous les chercheurs ne souhaitent pas monter une entreprise, comment encouragez-vous la relation entre les chercheurs et les entreprises qui pourraient être intéressées par leur innovation ?
Il faut installer ces relations dans la durée et c’est ce que nous faisons depuis trois ans avec le programme Companies on Campus. Nous aidons les laboratoires qui souhaitent accueillir des entreprises dans leurs locaux pour effectuer de la recherche partenariale. De cette rencontre peuvent émerger de futurs produits ou services commercialisables.

L’innovation rapporte de l’argent à l’Université ?
Certains peuvent s’imaginer que nous le faisons dans un esprit de rentabilité mais l’activité d’innovation n’est pas un centre de profit, c’est une mission de service public. Le « profit » c’est dans la société qui nous entoure qu’on le retrouve grâce aux emplois créés et aux progrès qui diffusent. Si on regarde les comptes de l’Université, on verra bien sûr des rentrées d’argent mais l’Université ne s’est pas transformée en « commerçant » ou en « financier », nous sommes un acteur de service public.

En novembre dernier nous avons été retenus pour devenir un des cinq pôles universitaires d’innovation français, un PUI. Pourquoi nous ?
Si l’État a choisi Montpellier c’est parce que nous avons justement démontré avec nos partenaires que nous avions dépassé le stade de la concurrence entre établissements pour atteindre un stade de coopération. Tous nos services de partenariat et de valorisation travaillent ensemble et ont harmonisé leurs pratiques. Nous avons créé une grande famille des experts de l’innovation à Montpellier.

Ce pôle est doté d’une enveloppe de 2,5 millions d’euros. Que va permettre cette dotation ?
Nous connaissons bien nos forces scientifiques, mais nous connaissons moins nos atouts en termes de technologies ; or si nous voulons contribuer à résoudre les problèmes qui se posent dans la sphère socio-économique et dans la société plus largement, nous devons cartographier ces forces technologiques et ces compétences. Pour cela il faut être à l’écoute et le PUI va nous permettre cela.

De quelle manière ?
En déployant de nouvelles méthodes. La première s’inscrit sur le long terme, on appelle cela l’idéation. Pour un thème donné, on rassemble les parties prenantes autour des chercheurs et on les fait travailler plusieurs semaines voire plusieurs mois ensemble pour faire émerger une question de société et la décliner ensuite en projet de recherche.

Et sur le court terme ?
Nous avons dans nos labos des moyens technologiques et des savoir-faire remarquables qui pourraient nous permettre de proposer des services d’ingénieries à des entreprises pour des besoins ponctuels. Ce n’est ni le travail des chercheurs, ni le travail des ingénieurs de recherche ; en revanche nous pouvons imaginer installer des ingénieurs au plus près de certaines plateformes, capables de répondre à ces attentes ponctuelles. Certains de nos partenaires sont d’ailleurs très dynamiques sur ce point, le CNRS en particulier.

En juin, l’Université accueillera le congrès Curie. C’est un rendez-vous important pour les acteurs de l’innovation ?
Le congrès Curie permet à plusieurs centaines d’experts de l’innovation de se retrouver pour échanger, partager et faire évoluer les pratiques. C’est un moment de formation mutuelle, de coopération et c’est un moment très chaleureux pour la communauté. En plus nous avons la chance d’accueillir cet évènement l’année où nous saluons la pérennisation du label I-SITE … et le « E » de I-SITE veut dire  « économie ». C’est donc une belle synchronisation.

Pour finir, depuis 2019 l’Université de Montpellier décerne un prix de l’Innovation, quel est le but de cette initiative ?
Il existe des moyens de saluer la performance dans le domaine de la recherche et depuis peu dans celui de la pédagogie, mais l’État n’a pas encore instauré de prix pour saluer les grands innovateurs. C’est une manière pour nous de remercier les équipes qui contribuent le plus à cette mission et de montrer qu’il est possible de faire de la très bonne recherche et de la transférer. Plus simplement, ce prix est là pour dire qu’à l’Université de Montpellier, nous aimons les innovateurs.