Requins et raies ont connu une extinction brutale mais sélective il y a 66 millions d’années
Deux chercheurs de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (UM/CNRS) montrent que les requins et les raies ont connu une extinction brutale et forte (62%) lors de la dernière extinction de masse qui a causé la disparition des dinosaures il y a 66 millions d’années. Au sein de ce groupe toutes les espèces n’ont pas été impactées de façon égale. Deux facteurs principaux ont favorisé ou au contraire amoindri leurs chances de survie : le régime alimentaire et l’aire de répartition. Une étude publiée dans la revue Science le 24 février 2023.

Les requins et les raies appartiennent au groupe des élasmobranches. Ils sont aujourd’hui confrontés à de fortes pressions anthropiques avec un risque élevé d’extinction pour la plupart des espèces. Comprendre comment ce groupe a réagi aux crises biologiques passées pourrait permettre d’identifier les caractéristiques des victimes et des survivants de ces extinctions et de mieux comprendre les évolutions de populations actuelles. Deux chercheurs de l’ISEM, l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier, Guillaume Guinot et Fabien Condamine, se sont intéressés aux victimes de la dernière extinction de masse survenue il y a 66 millions d’années et aux mécanismes de cette crise. Les causes de cette extinction, survenue à la limite Crétacé-Paléogène (K/Pg), sont encore débattues et il semble que son ampleur ait varié selon les groupes, les écologies, et les zones géographiques.
Une extinction brutale et forte
Dans le monde marin, les estimations des taux d’extinction ont été jusque-là extrapolées à partir de groupes d’invertébrés marins qui ne reflètent pas la complexité des modalités de cette crise. En s’intéressant cette fois aux grands vertébrés marins tels que les élasmobranches (requins et raies) qui occupent une position plus élevée dans la chaîne alimentaire, les deux chercheurs montpelliérains espéraient fournir de nouvelles informations sur cette extinction. Dans cette étude, Guillaume Guinot et Fabien Condamine ont utilisé les données du registre fossile particulièrement abondant pour ces espèces : ils ont compilé dans la littérature scientifique les occurrences de chaque espèce fossile (chaque fois où des fossiles ont été trouvés pour une espèce donnée). Ce travail d’assemblage de données s’est étalé sur plus d’une décennie et représente environ 2 600 occurrences pour 675 espèces couvrant une période de 40 millions d’années en incluant la crise K/Pg. Le registre fossile étant incomplet, des modèles statistiques ont été utilisés pour considérer les différents biais de préservation, donnant ainsi des âges d’apparition et d’extinction estimés pour chaque espèce. Leurs résultats indiquent une extinction « brutale » à l’échelle des temps géologiques (étalée sur 800 000 ans) et forte (62%) des espèces de requins et raies lors de cette crise. Leur diversité n’a pas retrouvé les niveaux précédents, même après 10 millions d’années. Les analyses indiquent que tous les groupes n’ont pas été égaux face à cette extinction : les raies montrent des taux d’extinction plus forts (72%) que ceux des requins (59%).

Facteurs de survie
Au sein même des groupes toutes les espèces n’ont pas été touchées de la même manière. Pour comprendre les mécanismes de cette sélectivité les auteurs se sont intéressés aux régimes alimentaires des espèces de requins et de raies les plus touchées par l’extinction. En étudiant leurs dents, qui représentent la majorité des fossiles retrouvés, Guillaume Guinot et Fabien Condamine ont observé que les espèces se nourrissant de proies dures, comme les coquillages bivalves (on parle de régime durophage) ont été plus fortement touchées que les autres ; or on sait que l’extinction de la fin du Crétacé a fortement impacté les premiers maillons des réseaux trophiques marins au premier rang desquels le plancton. Par effet de cascade la perte en plancton a provoqué l’affaiblissement des populations d’organismes s’en nourrissant, tels que les bivalves, et donc l’affaiblissement des populations de raies et de requins durophages. En plus de leur régime alimentaire, leur aire de répartition a également eu un impact sur leur chance de survie au profit des espèces ayant une large distribution géographique. Les espèces vivant aux basses latitudes, c’est-à-dire à proximité de l’équateur, ont été plus fortement touchées que les espèces vivant à des latitudes élevées.
Enfin, les deux chercheurs démontrent que si certains groupes de requins encore représentés aujourd’hui (orectolobiformes, lamniformes) ont été plus fortement impactés, d’autres groupes parmi les raies (rajiformes, rhinopristiformes) ont même frôlé l’extinction complète alors qu’ils comptent aujourd’hui plusieurs centaines d’espèces.