Montpellier Global Days 2024 : A la croisée de la science et de l’humanisme

En préambule des Montpellier global days 2024, Carlos Alvarez Pereira donnait le 18 mars dernier une conférence grand public intitulée « De l’alarme au sauvetage de la planète, la science se mobilise ». Après 30 années passées dans la recherche, l’innovation et l’entrepreneuriat, il met son expertise professionnelle et son désir d’humanisme au service du club de Rome, un think tank international précurseur sur le développement durable dont il est secrétaire général. Interview.

Vous êtes secrétaire du club de Rome, qu’est-ce qui vous a amené à vous y investir ? 
J’ai commencé à entendre parler du club de Rome et de Halte à la croissance ? durant mon enfance en France. Ma mère était une fan de la première heure. J’ai fait des études d’ingénieur aérospatial puis, durant la première partie de ma vie professionnelle, j’ai enseigné les mathématiques appliquées à l’Université polytechnique de Madrid. J’effectuais des recherches sur la dynamique des systèmes, la théorie du chaos… Tout cela résonnait fortement avec le club de Rome qui proposait une approche systémique à la croisée de la science et de l’humanisme.

C’est une forme d’engagement ? 
En effet. Je suis devenu membre du club de Rome en 2016. J’ai récemment décidé de m’y engager complètement : j’en suis le secrétaire général depuis le 1er janvier 2024, après avoir été membre du comité exécutif pendant six ans.

Le club de Rome est notamment connu pour le rapport The limits to growth (Halte à la croissance ? en français) plus connu sous le nom de rapport Meadows, lequel pointait déjà la nécessité d’une croissance zéro. Comment a-t-il été reçu lors de sa publication en 1972 ?
Ce rapport a fait énormément débat, bien qu’il n’ait pas changé les choses. Au moment où le rapport Meadows était publié, une nouvelle science voyait le jour : la dynamique des systèmes, qui a donné naissance à ce que l’on appelle aujourd’hui le développement durable. Ce rapport était composé de différents scénarios possibles d’évolution à propos de la relation entre le développement humain et les limites planétaires, dont plusieurs d’entre eux envisageaient la possibilité d’un effondrement des civilisations. D’autres montraient que l’on pouvait trouver un équilibre. C’est cette variété de scénarios qui n’a pas été bien comprise. Le rapport a été attaqué par des gens qui ne voulaient pas en approfondir le message, préférant le ridiculiser comme une prophétie de l’apocalypse ce qui n’était pas du tout le cas. Encore aujourd’hui, on entend des arguments contre le club de Rome et le rapport Meadows qui n’ont rien à voir avec ce qui y est écrit.

Selon vous, le message a été entendu même si cela n’a pas produit d’action immédiate ? 
Le message a été entendu, notamment par le milieu politique, que ce soit en Europe ou même aux Etats-Unis… Malheureusement il y a eu un retournement politique au début des années 80, au moment de l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Ce dernier a fait plusieurs fois clairement référence au rapport Meadows, notamment dans son discours de janvier 1985, après sa réélection, dans lequel il affirmait : « Il n’y a pas de limite à la croissance, car il n’y a pas de limite à l’intelligence humaine, à son imagination et à ses prodiges. »

Que s’est-il passé ensuite ? 
En 1979, le club de Rome publiait No limits to learning (Pas de limites à l’apprentissage) dans lequel il s’agissait de montrer que le système éducatif devait valoriser un apprentissage participatif, innovant et inclusif. Une révolution qui n’a toujours pas eu lieu 45 ans plus tard. En 1984, un autre ouvrage était édité, intitulé Before it is too late (Avant qu’il ne soit trop tard), invoquant la nécessité d’une révolution des mentalités pour faire face aux défis que nous connaissons encore aujourd’hui. 

Cette révolution aussi tarde à venir… 
La révolution est là mais nous ne la voyons pas parce que la culture dominante a connu une accélération de tendances qui étaient déjà à l’œuvre dans les années 70 comme le consumérisme ou l’extension des modèles de développement conventionnel. Pourtant sur le terrain les choses changent, il existe des réalités superposées et contradictoires. 

De quoi a-t-on besoin aujourd’hui pour faire bouger les choses ? 
Il y a six ans, quand nous avons fêté le 50e anniversaire du club de Rome, nous nous sommes posé la question de la pertinence de l’organisation. Nous sommes des lanceurs d’alerte, nous aurions aimé être pris au sérieux. Il est encore possible d’atteindre un équilibre entre bien-être équitable pour tous et planète en bonne santé à condition d’être dans l’action. Il existe pour cela certains leviers essentiels comme le rôle des femmes, la transition énergétique, l’agriculture régénératrice, le combat contre les inégalités, un modèle de développement non conventionnel… 

Est-ce que l’un des défis n’est pas de réussir à être plus à l’écoute des citoyens ?
Si au club de Rome nous essayons d’influencer les politiques publiques, nous avons aussi la volonté de comprendre ce qui émerge dans la société. Pas seulement en Europe ou en Amérique du Nord, mais également en Asie, en Afrique ou en Amérique latine. Nous affirmons avec force qu’il faut faire confiance aux gens. Ce n’est pas le despotisme éclairé qui va résoudre les problèmes. 

L’Histoire nous a déjà démontré qu’une science omnipotente pouvait être dangereuse… 
Il faut arrêter de dire que la science a réponse à tout. Elle ne peut pas non plus se contenter de dire que ce sont les politiques qui ne font pas leur boulot. Faisons confiance aux gens et inversons le processus : l’agenda de la recherche doit être dirigé par les besoins essentiels des gens et des sociétés. Et non le contraire.

Le développement durable est donc un défi collectif ?
C’est toutes et tous ensemble que nous devons nous y mettre. On ne peut pas séparer l’environnemental et le social. Il y a une conception erronée du développement durable qui perpétue l’idée que l’économie est séparée de la société et que l’on est tous séparés de la nature. C’est faux. Et cela génère les fossés que l’on voit aujourd’hui à l’œuvre.

Comment sortir des cadres ? 
Ce que j’apprécie particulièrement dans le sloggan « nourrir, soigner, protéger » de l’Université de Montpellier est que ces trois verbes mettent l’humain au cœur de l’action. Or il faut revenir à notre humanité profonde, laquelle est relationnelle. Et laisser beaucoup plus de place à l’autogestion, au plus près des besoins, des communautés, des gens. 

À propos du club de Rome

Basé en Suisse, le club de Rome est une association internationale et non politique réunissant des scientifiques, des humanistes, des économistes, des professeurs, des fonctionnaires nationaux et internationaux ainsi que des industriels de 53 pays. Précurseurs d’une réflexion approfondie sur les enjeux du développement durable, les membres de ce think tank international ont comme objectif de chercher des solutions pratiques aux problèmes planétaires. Le rôle du club de Rome demeure surtout de sensibiliser les hauts dirigeants aux problèmes planétaires actuels. Fondé en 1968, après la période prospère des 30 glorieuses, le club de Rome s’est rendu particulièrement célèbre en 1972 lors de la publication du rapport The Limits to Growth (Halte à la croissance ? en français) commandé par le MIT (Massachussetts Institute of Technology) et plus connu sous le nom de Rapport Meadows du nom de ses deux principaux co-auteurs, les écologues Donella et Dennis Meadows. Diffusé à douze millions d’exemplaires et traduit en 37 langues, ce document mettait déjà en évidence la nécessité d’une « croissance zéro » pour faire face à l’accélération de l’industrialisation, la forte croissance de la population, les problématiques de malnutrition, d’épuisement des ressources naturelles non renouvelables et de dégradation de l’environnement au niveau mondial.