David Mouillot : Des poissons et des hommes
Après s’être intéressé à l’impact des activités humaines sur la biodiversité marine, David Mouillot regarde aujourd’hui l’impact possible des ressources marines côtières pour réduire la pauvreté humaine. Le professeur à l’Université de Montpellier et chercheur au sein du laboratoire Marbec vient d’obtenir une bourse ERC Advanced pour conduire une recherche transdisciplinaire sur ce nouveau sujet.

Difficile de le faire parler de lui. David Mouillot préfère expédier à grands traits sa carrière pour arriver droit à son nouveau projet : évaluer le rôle des ressources marines côtières dans le développement des régions rurales d’Afrique de l’Est. Des zones marquées depuis une trentaine d’années par l’aridification des terres sous l’effet du changement climatique. Un important travail de recherche pour lequel il vient d’obtenir une bourse ERC Advanced de 2,5 millions d’euros sur 5 ans. « Mon hypothèse est que les villages côtiers qui se sont tournés vers la mer et qui ont su protéger leurs ressources marines s’en sortent mieux en matière de développement économique et humain que leurs homologues qui n’ont gardé que l’agriculture et l’élevage comme ressources principales », explique le chercheur au laboratoire Marbec. Une question qui prolonge son travail sur les effets croisés du changement climatique et des facteurs socio-économiques sur les écosystèmes marins.
La première étape de cette recherche est d’identifier les villages à enquêter dans les trois pays considérés : Madagascar, la Tanzanie et le Mozambique. Pour suivre les trajectoires socio-économiques des villages côtiers, le chercheur opte pour l’observation vue du ciel. Autrement dit, l’analyse d’images satellites prises entre 1990 et 2024. « Cela nous permet de remonter dans le passé et de suivre le développement des infrastructures, de l’intensité lumineuse et de l’usage des terres, signes du développement économique des villages. L’idée est d’identifier les « bright spots » et les « dark spots », autrement dit les villages qui ont des trajectoires de développement réussies et ceux pris dans une spirale de pauvreté. »
Solutions basées sur la nature
Cette approche à large échelle spatiale va s’effectuer à grand renfort d’intelligence artificielle appliquée à l’imagerie satellite. Puis, une fois les villages identifiés, « il y a une phase importante d’enquêtes de terrain pour vérifier notre hypothèse et comprendre les ressorts de la réussite. » Autant de chantiers permis par les moyens matériels et humains de l’ERC : cinq ingénieurs en IA appliquée à l’imagerie satellite et une post-doctorante pour l’analyse socio-économique des villages retenus. Le modélisateur en socio-écologie se réjouit de cette équipe interdisciplinaire.
Titulaire d’un doctorat en biomathématiques, David Mouillot concède qu’il ne se prédestinait ni à l’écologie marine ni à la socio-écologie. Mais depuis de l’eau a coulé dans sa carrière. Nommé maitre de conférences à Montpellier en 2001, « le jour où les tours jumelles sont tombées », se rappelle-t-il, il n’a ensuite plus quitté le laboratoire d’écologie marine de Montpellier. « J’ai commencé par modéliser l’impact de la pêche sur les stocks de poissons et sur la biodiversité. Nos résultats étaient attendus et triviaux : plus il y avait de prises, moins il y avait de poissons », se souvient-il, critique.
Puis le tournant pris en 2006 par l’écologie face aux impacts du changement climatique le mobilise. « La vague de chaleur de 2003 en France et la mortalité excessive qu’elle a entrainé a été le début d’une prise de conscience forte, le début d’une écologie ancrée dans le climat. »
En 2010, à la faveur d’une bourse européenne Marie Curie, David Mouillot part à l’Université James Cook en Australie dans un laboratoire de socio-écologie pour quantifier l’impact des changements socio-écologiques sur les systèmes coralliens. « Cette équipe était précurseuse de l’approche des solutions basées sur la nature, largement répandue depuis. L’idée que protéger la nature sert le bien être humain a été un tournant pour moi ».
L’économie bleue
Et, quand il se penche sur les promesses de l’économie bleue, l’hypothèse qu’une exploitation raisonnée des ressources marines permette un développement économique inspire son projet d’ERC. Avec l’ambition de « mieux prédire le lien entre santé des écosystèmes et pauvreté dans les sociétés rurales côtières. »
Pour revenir à sa carrière, parmi les distinctions tues par David Mouillot, notons quand même qu’il a été membre junior puis sénior de l’Institut universitaire de France (IUF) entre 2009 et 2024, médaillé de bronze du CNRS en 2011, et fait partie des chercheurs les plus cités au monde en écologie et environnement depuis 2016.
Impossible aussi de pas s’arrêter sur les nouveaux outils d’ADN environnemental qu’il a développés pour étudier les écosystèmes marins. Arrivée avec l’automatisation du séquençage, la technique repose sur l’analyse d’ADN filtré dans de l’eau. Éprouvée en eau douce, cette technique est appliquée depuis 2016 au milieu marin par son équipe. Avec la création d’un laboratoire commun entre Marbec et la société SpyGen, il a constitué une base de référence pour la Méditerranée qui compte aujourd’hui près de 80 % des barcodes sur les 600 espèces de poisson répertoriées.
Pour son ERC, David Mouillot veut d’ailleurs évaluer – grâce l’ADN environnemental – la biodiversité marine au large des villages étudiés, « pour regarder s’il existe un lien entre le niveau de développement des villages et la biodiversité côtière à proximité, en y cherchant un motif d’espoir. » Et l’écologue humaniste de rêver qu’un cercle vertueux puisse sortir d’une pêche raisonnable.