L’accompagnement entrepreneurial, à démocratiser encore

Combien d’entrepreneurs bénéficient-ils véritablement d’un accompagnement en France ? Des émissions comme « Qui veut être mon associé ? » en mettent en scène certains aspects et laissent parfois penser que cette pratique est l’apanage d’hommes et femmes d’affaires à succès, qu’elle n’est accessible qu’à des porteurs de projets à fort potentiel de croissance.

Karim Messeghem, Université de Montpellier; Constance Banc, Université de Montpellier; Justine Valette, Université de Montpellier et Sophie Casanova, Université de Montpellier

En matière d’écosystème entrepreneurial, la France ne semble pas si mal positionnée dans le monde. D’après l’étude du Global Entrepreneurship Monitor, elle occupe aujourd’hui la 5e position parmi les pays les plus riches en matière de promotion et de soutien à l’entrepreneuriat par le gouvernement. Mais dans les faits ? Combien bénéficient réellement de ce soutien ?

L’accompagnement entrepreneurial vise à créer les conditions favorables à l’émergence et la réussite de projets entrepreneuriaux. Il fait appel à une diversité de méthodes, comme le mentorat, ou de structures, comme les accélérateurs. Plus précisément, il peut être défini comme un processus organisé par une tierce partie, s’inscrivant dans la durée et permettant à un porteur de projet ou un entrepreneur de bénéficier d’une dynamique d’apprentissage, d’un accès à des ressources, d’une mise en réseau, de services et d’une aide à la décision.


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La France est confrontée a une augmentation sans précédent du nombre de créateurs d’entreprises depuis une dizaine d’années. Une étude récente de la chaire Entrepreneurial Ecosystem Lab du Labex Entreprendre a tenté d’objectiver la réalité de leur accompagnement.

Moins d’un quart d’entrepreneurs accompagnés

Nous nous sommes appuyés sur la collecte réalisée dans le cadre du Global Entrepreneurship Monitor en 2023 en insérant des questions sur l’accompagnement. L’étude s’est focalisée sur les entrepreneurs que l’on peut dire « émergents », c’est-à-dire qui ont créé une entreprise dans les trois ans et demi précédant l’enquête. Ils représentent 10,8 % de la population des 18 à 64 ans.

Il en ressort que 23,5 % des entrepreneurs émergents sont accompagnés. Ce taux est très proche de celui mesuré dans le cadre de l’Indice entrepreneurial français en 2023. Dans cette étude, la part de porteurs de projet qui ont « sollicité un accompagnement et l’ont obtenu » s’élève à 22 %. Autrement dit, moins d’un quart des entrepreneurs émergents bénéficient aujourd’hui d’un accompagnement.

L’accompagnement entrepreneurial peut prendre de nombreuses formes. Les entrepreneurs émergents mettent principalement en avant les bénéfices liés à l’aide à la décision et à la dynamique d’apprentissage à travers les conseils (80 %), le regard critique (63 %) ou encore les informations stratégiques (51 %) et le soutien moral (47 %). La mise en réseau est une fonction majeure dont bénéficient une courte majorité des entrepreneurs accompagnés (51 %). En revanche, seuls 29 % de ces entrepreneurs ont eu accès à un soutien financier. Enfin, l’hébergement est une pratique assez peu développée. Ils ne sont que 18 % à en avoir bénéficié.

Il existe par ailleurs une très grande variété de structures d’accompagnement entrepreneurial. Les acteurs majeurs sont les consulaires, comme les chambres de commerce et d’industrie par exemple. 29 % des entrepreneurs émergents ont bénéficié principalement de cet accompagnement. Les structures comme les incubateurs, les pépinières ou les tiers lieux attirent, elles, 21 % des entrepreneurs contre seulement 13 % pour les grands réseaux (Adie, BGE, CRESS, France Active, France Angels, Initiative France, Réseau entreprendre, Pépite…). Les structures d’insertion et de retour à l’emploi (Apec, Pôle emploi), enfin, accompagnement 18 % des entrepreneurs émergents.

Un accompagnement à réorienter vers qui en aurait besoin ?

Si l’on regarde du côté des caractéristiques sociodémographiques des entrepreneurs émergents, la part des femmes entrepreneures est plus faible (40,7 %). Pour autant, le taux d’accompagnement est de 25,3 % pour les entrepreneures, contre 22,3 % pour les entrepreneurs.

La tranche d’âge qui mobilise le plus les acteurs de l’accompagnement est celle des 25 à 34 ans. Le taux d’accompagnement (31 %) y est très élevé par rapport au reste de la population. Ce résultat est à mettre en perspective avec le rajeunissement des entrepreneurs en France et le fort intérêt de cette tranche d’âge pour l’accompagnement. Les entrepreneurs plus âgés ont tendance à moins solliciter les services d’accompagnement, ils ne sont qu’un sur cinq. Le fait de disposer d’une expérience plus marquée et d’un meilleur accès à des réseaux professionnels pourrait expliquer ce moindre intérêt.

Le niveau d’éducation, enfin, semble un déterminant du recours à l’accompagnement. Les entrepreneurs disposant d’un niveau élevé de formation ont tendance à s’appuyer davantage sur les services d’accompagnement. Pour les personnes qui ont le bac ou un niveau inférieur, ce taux n’est que 17,8 %. Ce résultat interroge sur la capacité des acteurs de l’accompagnement à mieux cibler ce public qui paradoxalement en aurait le plus besoin.

Faible accompagnement, parfois mal ciblé peut-être, des acteurs, comme la Banque publique d’investissement (BPI), ont pris conscience de ces décalages et ont proposé de coordonner les principaux acteurs de l’accompagnement entrepreneurial. Cap Créa associe dorénavant 27 acteurs engagés en faveur de l’entrepreneuriat. L’enjeu est de rendre encore plus inclusif l’écosystème de l’accompagnement pour les moins diplômés et les plus âgés.


Cette recherche, financée par le Labex Entreprendre, bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du programme Investissements d’Avenir. L’ANR finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

Karim Messeghem, Professeur agrégé des universités, Université de Montpellier; Constance Banc, Enseignante-Chercheuse, Université de Montpellier; Justine Valette, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Montpellier et Sophie Casanova, Maître de conférences en Entrepreneuriat, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.