Les quatre leviers pour rendre l’entreprise plus inclusive

Les résultats de l’étude académique que nous avons menée en 2019 auprès de plusieurs experts (directeurs RSE, directeurs RH, consultants seniors) dans de grandes entreprises (BRL, Dell, Eminence, Sanofi, Sodexo…) soulignent que le concept d’entreprise inclusive fait son chemin dans l’entreprise.

En effet, les deux tiers d’entre eux y font référence, avec des pratiques essentiellement liées à la diversité et aux engagements en faveur de publics ciblés dans les actions concrètes mises en œuvre. Les collaborateurs qui ont vu leur entreprise s’engager au service de la société pendant cette crise sanitaire Covid-19 se sont mobilisés dans toute leur diversité pour contribuer à développer des solutions particulièrement innovantes. On peut citer l’exemple de Decathlon qui a reconfiguré les masques de plongée en matériel médical.

Walid A. Nakara, Montpellier Business School – UGEI et Anne-Valérie Crespo-Febvay, Université de Montpellier

Le taux d’emploi des personnes en situation de handicap n’est que de 3,6 % en France. Photographee.eu / Shutterstock

Depuis les années 2000, les entreprises se sont engagées dans des démarches RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) passant notamment par la qualité de vie au travail de leurs collaborateurs et la reconnaissance de leur politique de diversité.

À ce jour, ces actions ne suffisent cependant pas pour attirer et fidéliser non seulement les clients, mais aussi les talents dont l’entreprise a besoin pour se développer. À titre d’exemple, selon Anne Revillard dans son ouvrage Handicap et Travail en 2019, le taux d’emploi des personnes en situation de handicap est tout juste de 3,6 %.

Interview d’Anne Revillard pour Xerfi canal (2019).

On peut encore citer le rapport Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes publié en 2019 par le secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce rapport révèle que l’écart salarial entre les femmes et les hommes en 2015 stagne à 24 %, soit à peine un point de moins que son niveau de 2002.

Pour aller vers une entreprise plus inclusive, notre étude identifie plusieurs leviers.

Le rôle clé du management

En premier lieu, l’engagement des top managers s’avère nécessaire comme dans tout processus de changement dans une organisation.

Pour exemple, la gouvernance et la direction générale de l’entreprise BRL, au travers des politiques déployées, placent de façon volontariste l’inscription dans l’environnement et l’humain au cœur de l’entreprise. Toute la stratégie, déclinée dans la feuille de route « BRL Horizon 2020 », définit orientations, valeurs, objectifs, axes prioritaires et outils d’évaluation (certifications, KPI…) qui permettent de piloter et suivre l’avancement et le déploiement de cette politique. L’impulsion donnée par la direction générale permet aux managers d’appliquer des pratiques de travail respectueuses des choix stratégiques.

Favoriser les interactions RH/RSE

Mais un autre levier émerge de manière importante dans notre étude : la porosité entre la RH et la RSE. Dans le sens du récent livre blanc RH et RSE à la croisée des chemins (ANDRH, Association nationale des directeurs de ressources humaines, 2019) qui analyse les interactions entre les services RH et les services RSE dans les grandes entreprises, nous faisons également le constat que l’articulation entre les politiques RH et RSE est incontournable dans la prise en compte de chaque individu dans sa singularité au service du collectif.

Le groupe Sodexo, très engagé sur la question de la diversité dans les différents segments du groupe est conscient de la nécessité de sortir « de la segmentation de l’approche diversité, qui cloisonne ». Impulsée au niveau de la direction monde, puis diffusée dans tout le groupe, les directions RSE et RH travaillent en étroite collaboration, afin de croiser les actions en faveur des salariés. Cette politique permet de répondre à la fois aux engagements liés à la diversité et la RSE, ainsi qu’aux problématiques RH : égalité femme-homme, handicap, gestion des compétences, management, santé au travail…

Cette gestion des ressources humaines à la croisée des chemins entre diversité/qualité de vie au travail et sens du travail vise à créer les conditions de la motivation individuelle et collective sur un projet partagé. Développer une politique inclusive ne peut se faire sans que les collaborateurs ne se sentent reconnus dans leur singularité, dans un environnement sécurisé et dans une activité dans laquelle ils se sentent utiles. L’enjeu consiste donc à déployer des démarches visant à concilier le bien-être de chaque collaborateur et la performance de l’entreprise en évitant la segmentation par groupe d’individus comme c’est le cas dans les politiques qui se limitent à la prise en compte de la diversité.

Une approche transversale

Car c’est le troisième levier qui émerge dans notre analyse : une véritable transversalité dans l’approche de la différence, comme le stipule également le consultant Pete Stone dans un article publié sur The Conversation France sur l’association de voile Team Jolokia. L’objectif n’est pas de se focaliser sur la diversité en tant que telle, mais plutôt sur comment faire en sorte que des salariés différents travaillent de concert pour la performance de l’organisation.

L’approche en silo, excluant de fait les publics non concernés, crée de l’insatisfaction et entrave la mobilisation collective. L’exemple de l’association Team Jolokia permet d’illustrer l’intérêt de cette transversalité. Cette association promeut la diversité et inclusion en participant entre autres à une course au large, avec un équipage valorisant la différence.

La spécificité de la démarche repose par exemple sur les modalités de recrutement, la sélection des équipiers s’opérant à 360 degrés, de façon collégiale et ce n’est pas le skipper (l’équivalent du manager ou du n+1 en entreprise) qui a le dernier mot. Les personnes ne sont pas recrutées sur telle ou telle différence qu’il-elle présente, mais sur un ensemble de compétences nautiques, sportives et relationnelles nécessaires dans le cadre du projet. Cela contribue à réaliser un recrutement inclusif en permettant aux candidats d’être choisis sur leurs compétences.

Coconstruire un projet commun

Le quatrième levier que nous précisons à travers cette étude confirme que les managers de proximité sont des acteurs essentiels de l’inclusion à travers leurs propres actions et notamment vis-à-vis de leurs collaborateurs pour coconstruire avec eux des actions au service du projet commun de l’organisation et de sa stratégie.

Un management inclusif se fonde naturellement d’abord sur la reconnaissance de la singularité de chaque manager pour qu’ensuite il puisse reconnaître et valoriser les individualités dans le collectif. Le management inclusif se fonde sur une double compétence clef individuelle, l’esprit d’ouverture et d’équipe, mais également sur un cadre RSE bien intégré dans les pratiques RH de ces managers de proximité.

En effet, leur rôle est fondamental. Ils sont un rouage essentiel. Les entreprises ont compris l’importance de s’appuyer sur les managers. Il faut donc les sensibiliser et les former pour qu’ils transmettent et expliquent la démarche auprès des collaborateurs.

Les managers de proximité ont un rôle décisif à jouer dans les démarches inclusives de l’entreprise.
Natee K Jindakum/Shutterstock

La majorité des grandes entreprises, telles que Dell ou BRL par exemple, mettent en place des actions de formation pour renforcer les pratiques et compétences managériales ; ainsi le groupe BRL a créé le parcours formation « parcours manager » ainsi que, entre autres, des sensibilisations sur les stéréotypes comme le regard porté sur certaines populations. Dell est aussi très engagé sur la diversité et formant et impliquant les managers, les incitant à participer activement aux différents groupes créés pour les minorités visibles.

Toutefois, on peut constater qu’à l’heure actuelle, ces formations ont une entrée diversité et inclusion, l’enjeu est de développer des formations sur l’entreprise inclusive, à proprement parler.

Changer de paradigme

L’entreprise a un intérêt manifeste à réfléchir aux conditions d’accueil, de développement des compétences, des conditions de travail et particulièrement d’engagement sociétal puisqu’ils peuvent favoriser le déploiement du potentiel individuel de chacun des collaborateurs au service de l’organisation tout entière. Mais cette prise de conscience des entreprises va aussi de pair avec l’évolution de la société vers plus d’inclusion pour chacun.

Quoi qu’il en soit, une entreprise inclusive est une entreprise qui crée les conditions, au sein même de son organisation, pour que chacune et chacun puisse développer tout son potentiel en s’appuyant sur la différence qu’il-elle apporte. Cette définition est inspirée des travaux de Jean‑Yves Le Capitaine, dans son article de 2013 L’inclusion n’est pas un plus d’intégration : l’exemple des jeunes sourds. Quand l’école anciennement intégratrice demandait aux enfants de s’adapter à l’institution scolaire, l’école inclusive demande à l’inverse à l’institution scolaire de s’adapter aux différences de chacun : chaque enfant a sa place dans une école ordinaire.

C’est un changement de paradigme notable, car il s’appuie sur une approche globale autour de l’élément humain comme un tout qui englobe le soi, les autres, le travail et la santé. Cette appréhension ouvre une dimension nouvelle à l’inclusion par son rôle central dans les relations humaines : c’est par les relations humaines favorisées par l’inclusion que les collaborateurs vont pouvoir développer le sentiment d’appartenance à un collectif et aussi le sentiment de confiance dans leur organisation. Ces principes sont les ressorts d’une véritable résilience si nous souhaitons un monde économique plus solidaire.


Caroline Dufoix, étudiante en MBA à Montpellier Business School, a participé à la rédaction de cet article.The Conversation

Walid A. Nakara, Professeur, Directeur de la Chaire Entrepreneuriat Social et Inclusion, Montpellier Business School – UGEI et Anne-Valérie Crespo-Febvay, Doctorante, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.