Noémie Coulon, porte-voix de l’océan

Post-doctorante au laboratoire Marbec, l’écologue Noémie Coulon compte parmi les neuf jeunes chercheurs sélectionnés par l’Institut de l’océan pour couvrir le One ocean science congress début juin à Nice. Une tâche toute désignée pour cette spécialiste de l’impact du changement climatique sur les raies et les requins en Europe.

Ses premiers résultats ont fait « l’effet d’un coup de massue » au sein de la communauté scientifique marine, raconte Noémie Coulon. Dans sa thèse soutenue fin 2024 au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), l’écologue marine montre les effets inquiétants du changement climatique sur les requins et les raies en Europe, des espèces jusque-là perçues comme résilientes. « Il y a un relatif consensus scientifique sur la capacité de ces espèces vieilles de quelques centaines de millions d’années, qui ont survécu à de nombreuses crises climatiques, à traverser cette nouvelle crise. » Plusieurs résultats montrent qu’il n’en est rien.

La jeune chercheuse a d’abord mis en évidence la remontée des raies et des requins vers le Nord sous l’effet du changement climatique. Pour arriver à cette conclusion, elle a travaillé à partir des données de captures de pêche tirées des campagnes scientifiques de chalutages de fonds dans les mers européennes. Une série temporelle d’un quart de siècle pour neuf espèces pêchées qui lui offre un précieux jeu de données. « J’ai trouvé la présence de six espèces au sud de la mer du Nord, alors qu’elles n’y avaient jamais été observées, même en remontant dans les textes historiques tout au long du XXe siècle. »

Mortalité de 89% à + 4°C

Plus inquiétant encore, l’impact du réchauffement et de l’acidification de l’eau sur la reproduction de ces grands prédateurs. L’élevage d’œufs de petites roussettes dans des bassins montre que, en faisant varier la température de l’eau, s’il ne se passe rien pour une augmentation de + 2°C, la mortalité atteint en revanche 89 % à + 4°C ! Au-delà des œufs, « il pourrait exister des impacts à tous les niveaux : la production des gamètes, les signaux nécessaires à la rencontre des mâles et des femelles, le stockage du sperme par les femelles…, complète Noémie Coulon. Des résultats très inquiétants, confirmés par d’autres travaux sur la grande roussette, plus sensibles aux changements de milieu, qui montrent un possible effondrement des populations à + 4°C. »

La France compte plus d’une centaine d’espèces de requins et de raies, « donc ces questions ne sont pas anecdotiques », souligne la jeune chercheuse qui insiste sur les fonctions uniques et irremplaçables de ces grands prédateurs déjà menacées par la pêche. Outre leur place tout en haut de la chaine trophique, ces espèces jouent un rôle dans le cycle du carbone en faisant des migrations journalières dans les profondeurs. « Certaines raies, fouisseuses, brassent le sable et dynamise ainsi l’écosystème en mettant des particules en suspension et en évitant l’anoxie du milieu », ajoute celle qui ne cache pas son plaisir de travailler sur ces grands poissons, un graal pour les jeunes écologues marins.

“Stratégie de mobilisation”

En postdoctorat au laboratoire Marbec jusqu’en 2027, Noémie Coulon collabore aujourd’hui au suivi actuel des poissons dans les aires marines protégées de la Méditerranée française. Grâce à des observations en plongée et à des prélèvements d’ADN dans le milieu – deux approches non invasives –, elle s’attelle en particulier à modéliser la caractérisation des poissons dans ces habitats.

Mais pour l’heure, elle se dédie à une autre tâche : défendre la cause des espèces marines en relayant les résultats scientifiques des deux milliers de chercheurs qui participent au One ocean science congress. Lauréate du Prix jeunes talents L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science 2024, Noémie Coulon fait en effet partie des neuf « ECOP insiders », autrement dit les « Early career ocean professional » infiltrés dans le congrès qui se tiendra en amont de l’UNOC à Nice début juin. Chacun ayant été choisi pour pouvoir partager largement ces informations aux neufs grandes communautés linguistiques que sont le mandarin, l’anglais, l’espagnol, l’arabe, l’indou, le portugais, le français, le russe et l’allemand. « Il y a à la fois un enjeu de vulgarisation auprès du grand public et une stratégie de mobilisation sur ces sujets pour peser sur les négociations qui vont suivre », plaide la scientifique.