Arrêt au port

Ce sont des petits bouts d’océans pas comme les autres, qui abritent des habitants pas comme les autres. Frédérique Viard, chercheuse à l’Isem* s’intéresse à la biodiversité des milieux portuaires, où les pressions sont fortes et les processus évolutifs quelquefois rapides.

Le port de La Seyne-sur-Mer © Frédérique Viard

Du béton, du bruit, de la lumière artificielle, des hydrocarbures ; une ambiance de périphérique qui décrit en fait… un port. « Un habitat marin tout à fait singulier », note Frédérique Viard. Un écosystème unique que la biologiste de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier scrute pour mieux savoir qui l’occupe. « Les ports constituent un nouvel habitat marin urbanisé qui va favoriser l’installation d’assemblages originaux d’espèces adaptées à ces environnements particulièrement sélectifs », souligne la spécialiste qui navigue entre écologie et biologie évolutive.

Car ce milieu apparemment hostile représente un « point chaud d’introduction », où des espèces venues d’ailleurs débarquent pour y poser leurs valises. « Un phénomène qui s’est accéléré au cours du 20e siècle avec la mondialisation des échanges par voie maritime, souligne Frédérique Viard. Dans les ports on trouve aujourd’hui pour certains groupes taxonomiques jusqu’à 20 % d’espèces introduites contre bien moins de 1 % dans les écosystèmes naturels ». Les eaux de ballast, la coque des navires marchands mais aussi des bateaux de plaisance, la moindre anfractuosité sur une embarcation est un refuge possible pour ces passagers clandestins. « Les bateaux représentent de véritables îles flottantes, des scientifiques canadiens ont dénombré jusqu’à 175 espèces différentes sur la coque d’un seul navire marchand ! », souligne la biologiste.

Redistribuer les cartes

Une fois arrivés à bon port, ces espèces non indigènes se mélangent aux espèces locales, générant « des assemblages hétéroclites d’espèces natives et introduites qui n’auraient jamais pu se constituer naturellement, et sans l’action de l’homme ». Mais qui une fois réunies peuvent redistribuer les cartes de la richesse spécifique et de la diversité génétique. « Certaines espèces sont des cousines éloignées d’espèces locales, séparées depuis des millions d’années, qui se retrouvent aujourd’hui ensemble dans les ports et qui parviennent parfois à se croiser, donnant naissance à de nouvelles lignées », explique Frédérique Viard qui décrit par exemple l’union improbable de deux drôles d’animaux sous-marins qui n’étaient pas supposés se rencontrer : la cione d’Asie et sa cousine d’Europe qui peuvent produire des descendants hybrides. D’autres chercheurs ont également observé chez une espèce de poisson des gènes permettant une protection contre la toxicité des hydrocarbures, ce qui s’avère pour le moins pratique quand on vit en milieu pollué ; or ces gènes ont été transmis par une espèces proche introduite, chez laquelle cette adaptation était apparue auparavant.

Biodiversité en devenir

« Ces changements peuvent être rapides, car dans les ports les pressions de sélection sont fortes et les populations génétiquement diversifiées », souligne la biologiste. Des caractéristiques qui font des ports de véritables laboratoires à ciel ouvert pour les écologues et les biologistes de l’évolution. Et pour mieux identifier les nouvelles espèces introduites dans ces labos pas comme les autres, les chercheurs ont recours à l’ADN environnemental : en récupérant, dans des échantillons d’eau de mer, l’ADN qui y a été laissé par les organismes vivants et en le comparant avec les données issues de bases de référence afin de savoir à quelles espèces il se rapporte. « De nombreux ports des façades Manche-Atlantique et Méditerranée ont ainsi été échantillonnés dans le cadre du projet MarEEE », détaille Frédérique Viard pour qui les ports sont « le creuset d’une nouvelle biodiversité en devenir ».

A écouter :


*ISEM (CNRS, UM, IRD, Cirad, EPHE, Inrap)


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