Dans l’espace, les matériaux révèlent leurs secrets : COLIS, un nouveau laboratoire pour étudier gels et verres colloïdaux en microgravité

Une crème solaire qui dure plus longtemps, une mayonnaise plus stable, un médicament plus efficace : derrière ces applications du quotidien se cachent des matériaux complexes (gels et verres) dont l’évolution est encore mal comprise. Pour percer ces mécanismes, des chercheurs et des chercheuses du Politecnico di Milano et de l’Université de Montpellier ont conçu et développé COLIS, un nouveau laboratoire embarqué sur la station spatiale internationale, dédié à l’étude des matériaux souples en microgravité.

Un laboratoire innovant pour observer la matière hors de l’influence de la gravité

Les gels et les verres, matériaux omniprésents dans l’industrie pharmaceutique, cosmétique ou alimentaire, évoluent lentement au fil du temps. Sur Terre, la gravité influence subtilement mais profondément cette dynamique interne. En plaçant ces matériaux dans l’espace, les scientifiques peuvent enfin isoler et analyser ces effets.

Fruit d’une collaboration de longue date entre Luca Cipelletti, physicien au laboratoire Charles Coulomb (Université de Montpellier – CNRS), et Roberto Piazza, professeur au Politecnico di Milano, COLIS (Colloids in Space) représente une avancée majeure du programme éponyme porté par l’Agence spatiale européenne (ESA), avec le soutien de l’ASI et du CNES.

« Étudier ces matériaux en microgravité nous permet d’isoler l’effet de la gravité, une force silencieuse mais déterminante », explique Roberto Piazza. « Cette compréhension est essentielle pour concevoir des formulations plus stables, des médicaments à libération contrôlée aux matériaux auto-assemblés ».

Transporté vers l’ISS à bord du cargo Cygnus NG-21 de la NASA et réalisé par Redwire Space, COLIS est désormais pleinement opérationnel. Il analyse des échantillons de gels et de verres colloïdaux contenant des nanoparticules, en se focalisant sur les processus de vieillissement en leur sein.

Des technologies de pointe pour comprendre la stabilité des matériaux

COLIS s’appuie sur plusieurs innovations majeures :

  • Des techniques optiques de corrélation dynamique, exploitant les speckle patterns pour suivre la restructuration interne des matériaux,
  • Des stimulations thermiques contrôlées, permettant de déclencher et d’observer les processus de vieillissement,
  • La mesure de la turbidité des échantillons et des fluctuations très rapides de la lumière diffusée par l’échantillon, capables de détecter précocement la formation de phases cristallines.

Cette dernière technologie sera mobilisée par les équipes de Dominique Maes et James Lutsko (Vrije Universiteit Brussel) pour étudier la cristallisation des protéines en apesanteur, une étape déterminante pour améliorer la stabilité des médicaments et optimiser les procédés biotechnologiques.

Pour Luca Cipelletti, « COLIS est l’aboutissement de plus de vingt-cinq ans de collaboration avec le Politecnico di Milano. Amener la physique des matériaux mous sur l’ISS représente un défi scientifique et technologique qui ouvre de nouvelles perspectives dans l’étude de la matière désordonnée ».

Premiers résultats : une influence de la gravité plus forte qu’attendu

Les premiers travaux menés par les équipes de Montpellier et de Milan (Luca Cipelletti, Roberto Piazza, Stefano Buzzaccaro et Alessandro Martinelli) montrent que la gravité influence la structure et les propriétés des matériaux souples bien plus qu’on ne le pensait. Ses effets perdurent dans le temps, modifiant leur comportement même à long terme.

« Il est surprenant de constater à quel point une force aussi familière que la gravité façonne, silencieusement, les matériaux que nous utilisons chaque jour. Ces observations nous permettent d’améliorer leur stabilité et, in fine, la qualité de vie sur Terre », conclut Roberto Piazza.