Débat : l’éducation positive, mot creux, ou vraie révolution ?

Depuis une dizaine d’années, l’expression « éducation positive », souvent reliée à la bienveillance, connaît un franc succès, que ce soit auprès des institutions scolaires ou des familles. Toute une série de déclinaisons est possible : la parentalité positive, l’autorité positive ou la discipline positive.

Sylvain Wagnon, Université de Montpellier

Avec l’éducation positive, il faut prendre garde à ne pas transformer un processus et un idéal en injonction.

Bien que sa définition soit encore à faire, il apparaît bien déjà qu’il s’agit avant tout d’un respect des droits et des besoins des enfants et des adultes par des relations humaines plus compréhensives, empathiques et constructives.

Protection de l’enfance

À l’heure de la célébration des 30 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée le 20 novembre 1989, l’éducation positive doit être replacée dans cette volonté historique de prendre en compte les besoins et « l’intérêt » de l’enfant.

Cette protection de l’enfant s’est élaborée à travers les législations sur les droits de l’enfant mais aussi ceux de l’État. En effet, le XIXe siècle a construit un « système protectionnel » face à la toute-puissance des parents, et plus précisément du père de famille sur sa progéniture.

Le refus de la maltraitance des enfants rythme la législation française jusqu’à la loi du 10 juillet 2019 sur les « violences ordinaires » que certains, en la dénigrant, nomment la loi « anti-fessée ». Pourtant cette violence insupportable existe, et les enfants restent les victimes oubliées de la lutte contre les violences.

En France, un enfant meurt tous les cinq jours des coups de ses parents, 165 000 enfants sont victimes de viols et violences sexuelles chaque année et les enfants restent les premières victimes de la violence conjugale. Tous ces éléments sont une réalité qui place l’éducation positive comme une nécessité.

Climat scolaire

Depuis la loi de refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, les textes officiels du ministère de l’Éducation nationale soulignent que « les conditions d’un climat scolaire serein doivent être instaurées dans les écoles et les établissements scolaires pour favoriser les apprentissages, le bien-être et l’épanouissement des élèves et de bonnes conditions de travail pour tous ».

La bienveillance et l’empathie participent à la notion d’un nouveau « climat scolaire » en renforçant la motivation et les compétences des élèves. Cette prise en compte est liée aux résultats d’évaluations internationales dans le cadre du programme Pisa de l’OCDE, pointant que les systèmes éducatifs qui progressent le plus sont ceux qui s’appuient sur la bienveillance. Ces éléments illustrent l’importance de la qualité de la relation pédagogique entre l’enseignant et les élèves pour un réel changement éducatif.

L’autorité positive, notion qui se diffuse à partir du milieu du sport de haut niveau, met en avant le lien entre fermeté et souplesse. Dans le domaine scolaire, la « discipline positive » souligne une nouvelle fois l’importance de l’échange, du dialogue et du respect envers les enfants et les adolescents. Les punitions scolaires ou les appréciations humiliantes, symboles d’une éducation coercitive, sont normalement proscrites.

Investissement parental

La question dépasse le cadre scolaire pour être définie par certains comme une révolution de la famille, avec la parentalité positive. Si personne ne peut s’opposer à l’aspiration à des relations harmonieuses entre enfants et parents, cette notion est sujette à débat lorsqu’elle est perçue comme un impératif.

Dans un ouvrage paru en septembre 2019, Béatrice Kammerer a souligné les risques de culpabilisation des mères que causeraient ces exigences d’un travail émotionnel sans que soit modifiée la répartition des rôles entre parents.

Émission de La Maison des maternelles (France 5), 2018.

Être parent, c’est tâtonner et expérimenter. L’éducation n’est jamais une science exacte, et heureusement. Certes les connaissances scientifiques et en particulier les neurosciences sont des apports mais cela ne doit et ne peut donner une norme éducative. Pourtant, les tenants d’une psychologie positive tentent le plus souvent de la valider par des résultats mesurables.

L’idée d’une évaluation d’une éducation et surtout des finalités sont posées. Que veulent les parents avec cette éducation positive : épanouissement de leur enfant, performances cognitives des enfants, suppression des conflits familiaux, meilleure obéissance ?

Le risque de la norme

L’évolution actuelle est liée à cette recherche du bonheur. Dans Happycratie, Éva Illouz et Edgar Cabanas analysent le contrôle progressif de nos vies par les valeurs de la psychologie positive qui soutiennent l’impératif à l’épanouissement personnel et au bien-être. Ce n’est pas cette volonté de bonheur qui est en cause, bien au contraire, mais les moyens utilisés et les intentions.

Le fait de transformer un processus et un idéal en injonction amène les individus à une frustration et à une quête sans fin. Le syndrome du bien-être peut amener à une souffrance liée à cette injonction de la positivité et l’incapacité à être heureux. N’y a-t-il pas, derrière la question de ce que l’on appelle être heureux, le risque de créer un archétype de la personne positive, jeune, bien portante et belle ?

Ainsi il apparaît bien que l’éducation positive est une nécessité face à la maltraitance et la coercition que subissent certains enfants. C’est un préalable. Maintenant il convient de penser cette éducation positive pour les droits, le respect et la liberté de l’enfant et de ses parents en évitant la définition d’une norme éducative unique et par nature coercitive.The Conversation

Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l’éducation, Faculté d’éducation, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.