Filière cuir : une nouvelle chaire pour promouvoir un tannage révolutionnaire et vertueux
L’Université de Montpellier a inauguré la chaire industrielle SICLE.e, autour d’un procédé de tannage du cuir innovant à base de silicium. C’est l’un des premiers projets en Occitanie à décrocher un financement dans le cadre de l’appel à projets Chaires industrielles de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Repéré lors d’un webinaire de sensibilisation aux “Laboratoires Communs“ organisé dans le cadre du Pôle universitaire d’innovation (PUI) de Montpellier, le projet a ensuite été accompagné par la Direction de l’innovation et des partenariats (DIPA) de l’université.

Si c’est lui qui a porté le projet devant l’ANR, Gilles Subra insiste : cette nouvelle chaire est le fruit d’un travail éminemment “collectif”. Inaugurée le mardi 20 mai à l’Université de Montpellier en présence du président Philippe Augé, la chaire SICLE.e regroupe en effet de multiples partenaires : le groupe CTC, l’Institut des biomolécules Max Mousseron (IBMM), l’Institut Charles Gerhardt de Montpellier (ICGM), et le laboratoire BioWooEB du Cirad. Leur but : promouvoir une filière cuir plus vertueuse en développant de nouvelles technologies basées sur l’utilisation du silicium.
L’histoire démarre en 2021. A l’époque, dans le secret de leurs laboratoires, l’équipe d’Ahmad Mehdi de l’ICGM et celle de Gilles Subra, à l’IBMM, planchent déjà depuis plusieurs années sur la combinaison du silicium et du collagène, “dans le cadre de problématiques de santé et de médecine régénérative”, confie Gilles Subra, chercheur à l’IBMM. Alors quand un doctorant de son équipe apprend que le groupe Centre technique du cuir (CTC) est en quête de partenaires pour trouver des solutions de tannage innovantes, lui et ses collaborateurs se positionnent. “Le collagène étant le constituant principal du cuir, nous nous sommes rapidement aperçus que les techniques que nous utilisions pour la médecine régénérative pourraient être utilisées pour tanner la peau”, explique-t-il.
“Game changer”
Dans la foulée, les chercheurs et le groupe CTC s’accordent sur trois contrats de recherche pour démarrer la collaboration, puis deux brevets en 2024, avant de déposer ensemble ce projet de chaire industrielle auprès de l’ANR cette même année. “Il y avait tellement de possibilités de développement qu’il était impossible de continuer sur des contrats au coup par coup. Il fallait se donner plus de temps pour explorer de nouvelles technologies et donner aux projets la chance d’aboutir ; la chaire était la solution parfaite”. Une coopération durable en somme, et des pistes de recherches très prometteuses. “Dans les prérequis imposés par l’ANR, il fallait une innovation de rupture, un “game changer”, et qu’elle ait un intérêt pour toute une filière économique, pas juste une entreprise. Une chaire implique un impact sur toute une chaîne de valeurs”, détaille Gilles Subra. Après avoir coché toutes ces cases, en juin 2024, l’équipe a été la toute première lauréate de l’appel à projet Chaires industrielles de l’ANR en région Occitanie.
Concrètement, elle est en passe de développer une véritable alternative au tannage au chrome, qui donnait jusqu’ici les résultats les plus qualitatifs en dépit de l’impact potentiel sur l’environnement. A l’inverse des métaux utilisés dans la majorité des cas, le silicium est une ressource inépuisable et non toxique. “Le cœur de notre innovation, c’est que l’acide silicique est capable de polymériser quand il entre dans la peau, et de créer des réseaux entre les chaînes de collagène. C’est ce qui transforme la peau en cuir, en lui conférant des qualités imputrescibles”, explique Gilles Subra.
Deux brevets
A la différence des tannages traditionnels, qui donnent une peau bleutée, le tannage au silicium développe des cuirs blancs. “Ce qui permet d’imaginer des teintes pastels qu’on ne pouvait pas obtenir auparavant”. Autre avantage, et non des moindres, ce procédé ne produit aucun déchet toxique. Enfin, les chaînes de silice qui figent le tannage sont capables de former des liaisons durables avec des molécules de diverses propriétés, et de “fonctionnaliser” le cuir de manière durable. En bref, il est possible de créer un cuir antifongique via une molécule susceptible de se répandre sur tout le réseau de silice, mais aussi un cuir déperlant, fluorescent, ou encore “anti-contrefaçon” en y insérant un marquage invisible capable de se révéler quand on l’expose à certaines lumières… Un aspect révolutionnaire qui a fait l’objet du deuxième brevet de l’équipe, après le premier brevet sur le procédé de tannage en lui-même.
Si l’équipe portait déjà ces technologies avant la création de la chaire, la Direction de l’innovation et des partenariats (DIPA) de l’Université de Montpellier a, elle, accompagné le montage du dossier auprès de l’ANR. “La DIPA a été à la manœuvre pour nous aider à rédiger le dossier, calculer le budget, et nous donner des ‘tips’ pour pouvoir présenter notre recherche au mieux…”, ajoute Gilles Subra.
Convaincre les professionnels du luxe
Désormais, l’équipe espère pouvoir monter en gamme. “On sait que notre technologie est déjà implémentable en tannerie. Plusieurs d’entre elles utilisent déjà notre procédé pour former leurs salariés. Mais nous voulons atteindre une qualité équivalente à celle du tannage au chrome en termes de souplesse, d’aspect, et de toucher, selon les plus hauts standards de la maroquinerie. Les professionnels du luxe sont les plus gros donneurs d’ordre ; si on réussit à les convaincre, toute la filière suivra”. Les chercheurs espèrent aussi pouvoir améliorer le conditionnement et la durée de vie de l’acide silicique, qui pour l’heure n’est stable qu’une quinzaine de jours en bidon. Enfin, ils vont poursuivre l’exploitation des chutes de cuir et les mille possibilités de valorisation des déchets : ôter le silicium pour composter les restes, utiliser la peau pour faire de la gélatine à destination de l’agroalimentaire animal, concevoir de nouveaux matériaux composites à bases de morceaux inutilisés, ou encore transformer les déchets en biochar, ces charbons utilisés en agriculture pour capter l’eau dans les sols arides et réguler le pH…
Au complet, l’équipe regroupe un chercheur à plein temps, deux doctorants sur les quatre ans, et 12 étudiants de master en stage de recherche six mois chacun. Sans oublier les personnels des laboratoires associés, et les huit personnes du groupe CTC dédiées au projet, qui bénéficie d’un budget total de 4,5 millions d’euros, dont 1,04 millions spécifiquement fléchés sur la chaire industrielle dans le cadre de l’appel à projets. “Si nous progressons assez vite, nous espérons voir nos premiers articles destinés au grand public dès l’année prochaine”.