Flore en migration

La flore française n’est plus telle qu’elle était il y a 10 ans. Des chercheurs viennent en effet de montrer que l’identité et l’abondance des espèces végétales dans l’Hexagone a changé entre 2009 et 2017. En cause ? Le réchauffement climatique.

© Jean-Michel Dreuillaux / CNRS Photothèque

Comment les plantes sont-elles affectées par le réchauffement climatique ? Si les chercheurs ont depuis longtemps montré que la hausse des températures modifie l’aire de distribution de nombreux animaux comme les oiseaux ou encore les poissons, les conséquences sur la flore restaient mal connues… Jusqu’ici. Une étude récente a en effet exploré l’évolution des espèces végétales entre 2009 et 2017 et ses résultats sont sans appel : la flore française est en train de changer.

Sciences participatives

« Des résultats croustillants : clairs, nets, et solides », souligne Vincent Devictor. Le chercheur de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier a participé à cette vaste étude menée grâce notamment au programme de sciences participatives Vigie-Flore. Des botanistes amateurs ou professionnels qui échantillonnent la flore sauvage aux quatre coins de la France et partagent leurs observations avec le Museum national d’Histoire naturelle. Une avalanche de données précieuses pour les chercheurs. « Au total ce sont 320 observateurs bénévoles qui ont suivi plus de 3 000 sites chaque année pendant 9 ans avec un protocole d’observation standardisé », explique Vincent Devictor. Ce sont ainsi 2 500 espèces végétales qui ont été suivies en plaine dans différents milieux — urbains, agricoles, forestiers ou en prairie — sur les 6 000 espèces de plantes qui existent en France métropolitaine.

Pour apprécier l’évolution de la flore, les chercheurs ont pris en compte la préférence thermique de chaque plante. « C’est la température optimale nécessaire à leur développement, leur température préférée », précise le chercheur. Ces derniers ont considéré cet indice pour un assemblage de 550 espèces représentatives de la flore commune de l’Hexagone. « Nous avons ensuite calculé la température moyenne préférée de cet assemblage et observé son évolution au cours du temps ». Les chercheurs se sont alors aperçus que cette fameuse température moyenne préférée avait augmenté entre 2009 et 2017.

Température préférée

En pratique ? « Cela signifie que la végétation française est composée de plus en plus d’espèces tolérant bien les températures élevées au détriment d’espèces préférant les climats plus frais ». Les végétaux à préférence thermique forte sont de plus en plus présents et colonisent de nouveaux territoires. C’est notamment le cas de l’Avoine barbue ou du Brome de Madrid à qui la situation semble profiter. À l’inverse les espèces à préférence thermique faible ont vu leur abondance décliner et ont perdu du terrain à l’image de la Renouée faux-liseron ou du Cerfeuil sauvage qui disparaissent à des endroits où elles étaient présentes il y a peu. Un réel changement de visage de la flore française en seulement 8 ans.

Une évolution aussi rapide peut-elle être causée par le réchauffement climatique ? Pour le vérifier les chercheurs ont étudié les relevés de températures des sites suivis par les observateurs de Vigie-Flore et ont constaté une hausse significative des températures moyennes entre 2009 et 2017. « Cette augmentation semblait liée aux modifications constatées au sein des communautés végétales », précise l’écologue. En effet, les sites avec variations importantes de températures sont aussi ceux qui ont subi un fort remplacement d’espèces au cours du temps, les espèces les moins tolérantes à la chaleur cédant la place aux plus tolérantes.

Temps court

De là à dire que le réchauffement climatique est responsable de cette modification de la flore, il n’y a qu’un pas… « Mais avant de le franchir il fallait s’assurer que d’autres facteurs comme la préférence des plantes aux nitrates ou au CO2 ne soient pas responsables de cette modification », ajoute Vincent Devictor. Des paramètres qui n’ont pas significativement changé au cours du temps sur les sites suivis. « On peut donc affirmer clairement que le réchauffement climatique est directement responsable de ces réarrangements de la flore sauvage. C’est la première fois qu’une réponse de la flore à la hausse des températures est mise en évidence à l’échelle nationale sur un temps aussi court », insiste l’écologue.

Avec quelles conséquences ? « On pourrait y voir une bonne nouvelle en se disant que la flore s’ajuste rapidement face à la hausse des températures, mais il est très peu probable que cet ajustement thermique se fasse parfaitement, tempère le chercheur. Il y aura un retard qui risque de se répercuter sur l’ensemble des écosystèmes, car les plantes sont à la base de la survie de l’ensemble des autres groupes », rappelle Vincent Devictor. À méditer lors d’une future balade dans la garrigue… dans le nord de la France.