La culture entrepreneuriale est-elle vraiment plus développée ailleurs qu’en France ?

L’entrepreneuriat constitue un moteur essentiel de la santé et de la richesse de la société. Il est également un formidable moteur de la croissance économique.

Karim Messeghem, Université de Montpellier; Frank Lasch, Montpellier Business School et Justine Valette, Université de Montpellier

Creative businesswomen brainstorming using sticky notes. Young businesswomen discussing their business ideas during a meeting. Two female entrepreneurs working as a team in a modern office.

Il favorise l’innovation nécessaire pour non seulement exploiter de nouvelles opportunités, promouvoir la productivité et créer des emplois, mais aussi pour relever certains des plus grands défis de société, tels que les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies.

La promotion de l’entrepreneuriat figure ainsi au cœur des préoccupations de nombreux gouvernements dans le monde. En France, les chiffres de la création d’entreprise ont atteint de nouveaux records, avec près d’un million de nouvelles entreprises en 2021, même si ce chiffre peut être relativisé en raison de la part du micro-entrepreneuriat et de l’entrepreneuriat lié aux plates-formes. Est-ce le reflet d’une culture entrepreneuriale qui s’est développée et installée ces dernières années ? Et comment se situe la France par rapport aux autres pays dans son rapport à l’entrepreneuriat ?

Pour répondre à ces questions, nous avons mené, en 2021, deux études pour le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) dans le cadre du LabEx Entreprendre de l’Université de Montpellier : la première porte sur l’activité entrepreneuriale et est menée auprès de la population française de 18 à 64 ans (Étude APS) ; la seconde porte sur l’écosystème entrepreneurial national et est réalisée auprès d’un panel d’experts (Étude NES). Ces deux études sont répliquées dans d’autres pays par des équipes nationales adhérentes au GEM, permettant ainsi une comparaison internationale.

La France dans la moyenne

L’étude menée auprès des experts montre notamment que, parmi les pays du G7, il existe une certaine proximité sur la perception de l’écosystème entrepreneurial, qui est vu comme globalement favorable. Seuls les États-Unis (5,3/10) se distinguent légèrement. On peut noter une forte similarité entre des pays comme l’Allemagne, le Canada et la France (5,1/10) pour lesquels les conditions sont perçues globalement comme assez favorables. Ces conditions sont en revanche perçues comme moins favorables pour l’Italie et le Japon (4,7/10).

Global Entrepreneurship Monitor (2022)

Parmi les 19 pays les plus riches participant au GEM, la France se distingue en termes de politiques gouvernementales (4e/19). Les efforts réalisés au niveau national et régional depuis une vingtaine d’années pour favoriser l’entrepreneuriat sont donc reconnus et ont contribué à faire émerger un écosystème de l’accompagnement entrepreneurial particulièrement dynamique.

La France reste toutefois en retrait sur les normes culturelles et sociales (18e/19) et sur l’éducation entrepreneuriale au niveau du primaire et du secondaire (17e/19). La révolution entrepreneuriale ne semble donc pas encore faire sentir tous ses effets sur la société et des efforts sont encore nécessaires pour diffuser une culture entrepreneuriale. De même, la question de l’accès au marché apparaît comme un point faible (17e/19) de l’écosystème entrepreneurial français, ce qui fragilise le développement des entreprises émergentes.

Représentation positive

La valorisation de l’activité entrepreneuriale dans un pays, et donc le poids de la culture entrepreneuriale, peut être appréciée à l’aide de quatre indicateurs. Il s’agit d’évaluer : si l’entrepreneuriat est perçu comme un choix de carrière souhaitable, s’il confère un statut social élevé, s’il est valorisé dans les médias et si finalement il est facile d’entreprendre en France. C’est ce que nous avons fait dans l’enquête auprès de la population générale.

Si l’on compare la France par rapport aux économies du G7, elle se situe là encore dans la moyenne. Pour un peu plus des deux tiers des Français interrogés, l’entrepreneuriat constitue un choix de carrière souhaitable. Pour autant, seule une courte majorité (55,4 %) considère qu’il s’agit aujourd’hui d’un statut social élevé.

Global Entrepreneurship Monitor (2022)
Global Entrepreneurship Monitor (2022)

Cette représentation positive est un marqueur de l’évolution de la culture entrepreneuriale. Cette dernière est influencée par les médias qui contribuent à diffuser une image plus ou moins favorable de l’entrepreneuriat. Les Français ont le sentiment dans une large majorité, que ce soit dans les médias ou sur Internet, que les histoires de nouvelles entreprises qui réussissent sont mises en valeur (Figure 8).

On peut citer par exemple le programme « Qui veut être mon associé » sur M6 qui met en scène des entrepreneurs à la recherche de fonds. Ce programme de téléréalité, présent depuis une vingtaine d’années dans d’autres pays, a été diffusé en France pour la première fois en 2021 et contribue à démocratiser l’entrepreneuriat et la question de la levée de fonds.

Au-delà de la désirabilité perçue, la question de la faisabilité perçue est importante. Selon les pays et les époques, les barrières perçues qui tiennent à la facilité d’enregistrement, au poids de la bureaucratie peuvent freiner l’intention et le comportement entrepreneurial. Une courte majorité considère qu’en France, il est facile de démarrer une entreprise (Figure 9).

Global Entrepreneurship Monitor (2022)
Global Entrepreneurship Monitor (2022)

Depuis une vingtaine d’années, les pouvoirs publics adoptent en effet des mesures pour simplifier la création d’entreprise. Cette perception varie fortement d’un pays à l’autre : les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni se distinguent avec le sentiment qu’il est facile d’entreprendre par opposition avec le Japon, l’Italie ou l’Allemagne.

« Gagner sa vie »

Cependant, selon notre étude, la motivation la plus forte des entrepreneurs est de « gagner sa vie car les emplois sont rares » (51,2 %). Ce résultat laisse à penser qu’une majorité d’entre eux se lance dans l’aventure entrepreneuriale par nécessité. Ce score est plus élevé au Canada (70,7 %), en Italie (61,3 %) ou au Royaume-Uni (63,8 %). Il est en revanche plus en retrait aux États-Unis (45,8 %), en Allemagne (40,9 %) et au Japon (40,1 %).

Les entrepreneurs visent dans une moindre mesure la carrière entrepreneuriale pour « bâtir une grande richesse ou obtenir un revenu très élevé » (39,4 %). Les deux autres motivations ne concernent qu’un quart à un cinquième des entrepreneurs. La création d’entreprise motivée par la volonté de faire une différence dans le monde n’est exprimée que par 25,8 % des entrepreneurs interrogés alors qu’aux États-Unis (71,2 %) et au Canada (70,4 %), les proportions sont beaucoup plus élevées. Il en va de même de la motivation pour « perpétuer une tradition familiale » qui ne concerne que 22,9 % des entrepreneurs en France contre 41,5 % aux États-Unis et 50 % au Canada.

Global Entrepreneurship Monitor (2022)
Global Entrepreneurship Monitor (2022)

L’étude confirme donc l’idée que la France devient une société entrepreneuriale. Pour autant, la culture entrepreneuriale ne semble pas imprégner toute la société. Des actions restent nécessaires pour lever certains freins. Comme le soulignent les experts du panel, la France est en retard par rapport aux autres pays les plus riches sur la question de l’éducation entrepreneuriale au niveau du primaire et du secondaire.

Des assises sur l’éducation entrepreneuriale au niveau du primaire et du secondaire pourraient par exemple permettre d’une part de mieux comprendre les bonnes pratiques en France et l’étranger, et d’autre part de concevoir une stratégie adaptée à la diversité des contextes.

Karim Messeghem, Professeur des universités, Université de Montpellier; Frank Lasch, Full professor in Entrepreneurship, Montpellier Business School et Justine Valette, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.