Le cartable, miroir de l’histoire scolaire et de ses contradictions

Dès son apparition, le cartable a endossé un rôle symbolique qui va bien au-delà de sa première fonction logistique. Participant à des stratégies de distinction sociale, il est régulièrement au cœur de débats sur le bien-être des élèves, reflétant les enjeux scolaires de l’époque.

Sylvain Wagnon, Université de Montpellier

Crédits : davit85

Avec chaque rentrée scolaire revient le cortège des listes de fournitures, avec l’incontournable cartable. Cet objet familier accompagne les élèves depuis plus de deux siècles. Sa forme, son poids, son contenu et même son design racontent une histoire : celle de l’école, des liens entre les parents et l’institution scolaire, des évolutions sociales, culturelles et économiques.

De quelle manière le cartable, en tant qu’objet matériel et symbole pédagogique, reflète-t-il les transformations de l’école et les enjeux actuels de l’éducation ?

Objet historique et symbolique de la scolarisation

La fonction première du cartable est simple : transporter le matériel scolaire – manuels, cahiers, trousses – entre l’école et le domicile familial. Pourtant, dès ses origines, il dépasse cette utilité logistique. Il devient un emblème visuel de l’élève, un marqueur d’appartenance au monde scolaire.

Sa forme a évolué : confectionné artisanalement en toile ou en bois au XIXe siècle, il devient au XXe siècle un objet industrialisé. Dans les années 1960, le cuir cède la place à des matériaux plus légers et accessibles. Dès les années 1980, il devient support de consommation avec l’apparition de cartables à l’effigie de personnages de dessins animés, comme Goldorak, Barbie et plus tard Pokémon ou Diddl.

Le cartable participe à des stratégies de socialisation et de distinction sociale (« T’as ton tann’s » précise la publicité culte des années 1980) par des modèles haut de gamme ergonomiques ou des modèles genrés. Dans de nombreux cas, son choix devient un enjeu de surenchère et de conflit entre enfants et parents.

Dans certains pays, le cartable est élevé au rang de patrimoine : le randoseru japonais, offert à l’entrée à l’école primaire, est un exemple d’objet rituel, normé et transmis, souvent conservé toute une vie. À l’inverse, il peut aussi être un support de distinction générationnelle, de personnalisation (patchs, pins, porte-clés), de style instagrammable.

Avec les évolutions technologiques du XXIe siècle, il se double de cartables électroniques ou numériques et connectés intégrant une multitude de logiciels et documents, grâce à une tablette ou une clé USB.

Manuels, devoirs et transmission scolaires

Au-delà de sa forme, le contenu du cartable en dit long sur les choix éducatifs d’une époque. Il est le reflet matériel d’une pédagogie fondée sur la transmission, où les savoirs circulent via les manuels scolaires, les cahiers d’exercices et les devoirs à la maison. Support mobile d’un modèle éducatif, il est aussi le vecteur entre les parents et l’institution scolaire. Un cartable bien préparé, bien rangé, contenant l’ensemble des fournitures demandées ainsi que des manuels bien entretenus et protégés, notamment par des couvre-livres, est pour l’institution scolaire un signe de l’implication des parents. https://www.youtube.com/embed/y1MKAdSZ2ts?wmode=transparent&start=0 1965 : Il y a quoi dans ton cartable ? (INA Officiel).

Depuis le milieu du XXe siècle, loin de s’alléger, le cartable n’a cessé de grossir en poids et en taille, avec l’arrivée de nouveaux cahiers au grand format, de livrets de suivi individualisé, de cahiers de correspondance et des supports numériques. Certains élèves y glissent une tablette fournie par les collectivités locales.

Mais malgré l’évolution des méthodes et des pratiques pédagogiques – désormais plus actives et centrées sur l’élève, mettant en valeur son travail personnel dans le processus d’apprentissage – le cartable demeure bel et bien présent. Ces approches, qui auraient pu conduire à un allègement du poids du cartable en limitant l’usage intensif des manuels scolaires et des devoirs, n’ont pas entraîné de réelle transformation. Le cartable reste le symbole matériel de l’école, du travail à faire à l’école comme à la maison.

En creux, le cartable révèle aussi des inégalités profondes. Certains enfants possèdent des sacs complets, ergonomiques, bien remplis ; d’autres, des sacs usés, incomplets ou parfois vides. Ces disparités traduisent des inégalités d’accès aux ressources éducatives. Les politiques de lutte contre la précarité – comme les distributions de fournitures scolaires à la rentrée par les collectivités ou par des associations – utilisent souvent le cartable comme indicateur de vulnérabilité scolaire.

Surcharge physique et fatigue cognitive

À partir des années 1990, la question du poids du cartable devient un enjeu de santé publique. Les alertes médicales se multiplient : maux de dos, fatigue musculaire, troubles posturaux. Depuis plus de vingt ans, plusieurs circulaires ministérielles recommandent de ne pas dépasser 10 % du poids de l’enfant, une norme rarement respectée encore aujourd’hui dans les écoles.

Face à ces alertes, des réponses matérielles sont mises en place : cartables à roulettes, sacs à dos ergonomiques, emploi du temps allégé, casiers dans les établissements. Des campagnes de sensibilisation, notamment des fédérations de parents d’élèves, sont lancées, mais les effets restent inégaux. Car si le contenant évolue, le contenu reste dense : manuels lourds, cahiers multiples, matériel artistique ou sportif, outils numériques. https://www.youtube.com/embed/N06s22L4C3g?wmode=transparent&start=0 « Le poids des cartables des collégiens » (France 3 Grand Est, 2021).

Le cartable devient alors le symptôme d’un système scolaire qui ne prend pas suffisamment en compte le bien-être des enfants. La surcharge de contenus et la pression constante des notations pèsent, au sens propre comme au figuré, sur les épaules des élèves.

Le cartable incarne alors une tension profonde entre, d’un côté, l’idéal d’une école capable de s’adapter aux mutations rapides de notre société, plus attentive aux besoins individuels et au développement global de l’enfant, et, de l’autre, l’inertie d’un modèle éducatif qui continue de reproduire les inégalités et d’imposer une vision traditionnelle de l’apprentissage.

Le cartable du futur

L’arrivée des technologies numériques reconfigure en profondeur la fonction du cartable. Celui-ci ne se limite plus au transport de cahiers et de manuels scolaires : il contient désormais des ordinateurs portables, tablettes, écouteurs, chargeurs, et autres outils numériques devenus indispensables.

L’usage généralisé des environnements numériques de travail (ENT) dans l’institution scolaire transforme la gestion des devoirs, le suivi des évaluations, ainsi que la communication entre les enseignants, les élèves et les familles.

Certaines expérimentations pédagogiques vont même jusqu’à envisager une école sans cartable physique, où l’ensemble des ressources serait dématérialisé et stocké dans le cloud. Cependant, ce modèle rencontre plusieurs limites : fracture numérique persistante, coût élevé des équipements, inégalités d’accès aux outils, mais aussi résistances culturelles, symboliques et pédagogiques face à une éducation entièrement virtuelle. Dans les faits, la matérialité du travail scolaire reste dominante, et le cartable, sous ses formes traditionnelles ou hybrides, demeure un élément central du quotidien scolaire.

Pour autant, le cartable évolue. Il tend à devenir plus écologique et éthique. Certains fabricants le conçoivent désormais à partir de matériaux recyclés et promeuvent des modèles eux-mêmes recyclables.

Le cartable reste donc un objet scolaire toujours essentiel, un témoin privilégié de l’école et de ses contradictions. Il nous invite à réfléchir à ce que signifie le fait d’apprendre, de transmettre, d’enseigner, d’éduquer. Considérer les évolutions de cet objet, ne serait-ce donc pas aussi une manière d’interroger le modèle scolaire que nous voulons construire pour demain ?

Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l’éducation, Faculté d’éducation, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.