Le livre “Flic” ou comment certains policiers se sentent investis d’ “une mission divine”

Dans Flic, un journaliste a infiltré la police (paru le 3 septembre septembre 2020 aux éditions Goutte d’Or) Valentin Gendrot décrit ses deux années passées dans la police en tant qu’adjoint de sécurité.

Stéphane Lemercier, Université de Montpellier

Il y relate sa formation « low-cost » de trois mois, son affectation dans une brigade de roulement du XIXe arrondissement de Paris où il va assister et même participer à plusieurs actes répréhensibles perpétrés par ses collègues.

Au-delà de la polémique suscitée par le fait qu’il ne soit pas intervenu sur le moment et qu’il ait décidé de couvrir les auteurs en faisant de faux témoignages, sans jamais signaler les faits à sa hiérarchie, il n’en reste pas moins que les agissements rapportés décrivent une réalité et attestent d’une attitude « jusqu’au boutiste » de plus en plus symptomatique de certains policiers que j’appellerais les « policiers-templiers ».

De quoi s’agit-il ? Qui sont-ils ? Pourquoi ces comportements sont-ils préjudiciables à l’institution police et comment y remédier ?

Chasseurs-cueilleurs

Dans la police, les chasseurs sont les policiers qui recherchent à tout prix le flagrant délit, tandis que les « pêcheurs » sont ceux qui attendent qu’une infraction routière se commette devant eux pour la « cueillir ».

Certains de ces chasseurs sembleraient croire qu’ils sont investis d’une « mission divine ». Des reportages évoquent ainsi les insignes militaires ou religieux, détournés et épinglés sur les uniformes, valorisant ceux qui les portent et associant leur profession à une charge très forte symboliquement.

Certains pensent ainsi être le dernier rempart de la société et veulent partir en croisade contre la délinquance et la criminalité comme jadis les Templiers partaient sur les chemins de l’hexagone pour protéger les pèlerins et défendre la Terre sainte. Ces policiers sont moins préoccupés par leur mission de service public que par l’éradication de tous les délinquants, quitte à verser dans l’illégalité pour y parvenir.

Le journaliste Valentin Gendrot
Le journaliste Valentin Gendrot est devenu adjoint de sécurité quelques mois dans le cadre de son enquête au sein des services de police qui a donné lieu au livre « Flic », paru en septembre aux éditions de la Goutte d’Or.
Joel Saget/AFP, FAL

Ils veulent surtout défendre leur territoire (qui est le ressort de la circonscription de police) et leurs prérogatives (qui sont de maintenir l’ordre et la tranquillité publique), pour s’imposer par la force, au besoin, en faisant régner la terreur par l’accomplissement de rites (contrôles d’identité systématiques avec palpations très poussées et propos dégradants ou humiliants…) et des attitudes guerrières, car la virilité et la violence sont valorisées, comme le rapporte à plusieurs reprises Valentin Gendrot dans son ouvrage, quand ses collègues qui s’ennuient se plaisent à lui raconter les interpellations dangereuses et les coups distribués au cours de leur carrière.

Ils ne reculent jamais : ce serait pris pour de la lâcheté. Ils ne se dénoncent pas : ce serait trahir un « code de l’honneur » qui leur est propre et qui n’a rien à voir avec le Code de déontologie…

Le sentiment d’être les seuls à détenir la vérité

Pourquoi agissent-ils ainsi ? Parce qu’ils ont le sentiment d’être les seuls à détenir la vérité et qu’ils pensent que ce qu’ils endurent au quotidien finit par être la réalité de la vie : la violence de la rue, la misère sociale, la drogue et la mort qui rode à chaque patrouille.

Ils s’abreuvent aussi via des médias dédiés à leur profession, alimentés d’informations souvent anxiogènes. Le site actu17.com est très consulté, disposant également d’une application et de relais sur les réseaux sociaux (279 000 abonnés sur Facebook). Actu17 est cependant un média géré par un particulier et les informations présentes n’y sont pas toujours vérifiées. Ces sites jouent aussi un rôle de soupape pour les professionnels des forces de l’ordre qui ont le sentiment de n’être ni suffisamment écoutés ni correctement représentés.

Ces réseaux les incitent cependant à rester dans un certain entre soi qui n’admet que rarement les éléments extérieurs. Valentin Gendrot le décrit assez bien quand un certain Stan, le chasseur de la brigade, soupire parce qu’il va devoir patrouiller avec lui, l’ADS inexpérimenté, « le boulet ».

Ils se connaissent et se reconnaissent souvent aux outils professionnels qu’ils arborent et qui tendent vers une militarisation de l’uniforme policier (gilet tactique, gants d’intervention, armes modifiées, etc.) mais aussi dans leur attitude au travail.

Ils multiplient les contrôles systématiques au cours desquels ils défient les « bâtards » (les jeunes qu’ils croisent et à qui ils assignent automatiquement un rôle de délinquant, comme le rapporte l’auteur), ils distribuent des gifles, profèrent des menaces, des insultes mêmes, surtout quand ils sont de garde dans les geôles, mais aussi sur la voie publique. Et cela va jusqu’au tabassage en règle si la cible ose protester après avoir été insultée, bousculée ou frappée.

Faire bloc

C’est ce qui est arrivé à ce journaliste infiltré, sur un banal contrôle d’identité de 3 ou 4 adolescents qui traînaient au pied d’un immeuble. L’un d’entre eux va se faire gifler devant ses camarades, puis se faire embarquer dans le véhicule de police où il sera roué de coups de poing par un policier, avant d’être placé en garde à vue pour outrage et menaces.

Le jeune déposera plainte et les policiers intervenants seront entendus. Mais tous feront bloc autour de leur collègue pris en faute, y compris ceux qui n’étaient visiblement pas d’accord (ce qui semblait être le cas de la chef de patrouille qui avait fait une remarque au policier fautif sur sa façon de faire mais qui ne l’en a pas empêché…).

Et Valentin Gendrot l’explique très bien : il raconte comment les policiers se comportent entre eux, comment il se replient sur eux-mêmes, ou encore comment ils communiquent entre eux. En effet, ils se renferment sur leur groupe professionnel avec un ennemi identifié et commun, le jeune issu de l’immigration ou tout simplement le « cassos » qui gangrène la société. Ils utilisent les messageries privées qui leur permettent de se retrouver et de se « lâcher » facilement, sans être contredits.

De plus, à cause des horaires décalés qui les empêchent d’avoir une vie sociale en dehors du travail, ils se coupent de la société à cause d’une perception biaisée de la réalité alimentée par des sites d’actualité qui font la part belle aux faits divers tragiques, aux mesures de justice laxistes et aux policiers blessés ou tués, sans parler des suicides de policiers : on en compte 28 pour 2020 dont trois la seule semaine passée.

« Le ressentiment est la chose la mieux partagée au monde »

Tous ces facteurs favorisent un repli identitaire professionnel dans laquelle ils puisent la force de continuer à travailler en s’érigeant en véritable guerrier (pour ne pas dire, héros !) en lutte contre la délinquance et la criminalité, dernier rempart d’une société en déliquescence.

En 2006, dans un essai, le philosophe allemand Peter Sloterdijk constatait que « le ressentiment est la chose la mieux partagée au monde ».

Et il ajoutait plus loin : « La fureur du ressentiment s’éveille à partir de l’instant où le vexé décide de se laisser sombrer dans la vexation comme s’il s’agissait d’une élection… ». Ce que décrit Valentin Gendrot est malheureusement tristement banal. Dans un ouvrage intitulé La peur a changé de camp, le journaliste Frédéric Ploquin reproduit les propos d’un brigadier :

« C’est vrai qu’on mettait parfois des lattes, mais les mecs baissaient la tête. »

Ce sont des termes du même registre qui sont employés par les collègues du journaliste infiltré : ils « mettent des lattes, des beignes, des bouffes ».

Ils estiment que ça calme les esprits, mais souvent ça dégénère. Mais, est-ce vraiment honorable de faire baisser la tête à un adolescent en lui mettant une claque ? Qui n’a jamais ressenti un sentiment d’humiliation et la volonté d’une vengeance décuplée en recevant un coup, une insulte devant ses camarades ou sa famille ? Ce genre de comportement condamnable génère de la rancœur, du ressentiment et même souvent de la haine. Dès lors, comment peut-on s’étonner que les policiers se fassent caillasser quand ils passent dans certains quartiers ? Les jeunes finissent par baisser la tête quand ils sont seuls ou en infériorité numérique mais dès qu’ils se retrouvent en bande, ils prennent leur revanche comme n’importe quel être humain humilié…

L’urgence de l’instant

Le problème est que les policiers agissent dans l’urgence de l’instant, avec les codes de comportement traditionnels qui leur ont été inculqués par les anciens, plutôt que de penser aux éventuelles conséquences de leurs actes pour l’avenir. Ce que Max Weber expliquait ainsi :

« Les activités qui relèvent du comportement traditionnel fait d’attitudes acquises autrefois cèdent parfois le pas à d’autres activités en réaction sans fin à une excitation insolite, où les directions de l’action sont élaborées de manière consciente selon une rationalité axiologique ou selon une rationalité téléologique. »

La première réalité étant que les agents se conforment à des impératifs ou des devoirs qui s’imposent à eux (devoir, dignité, piété…) sans se soucier des conséquences prévisibles de leurs actes. La seconde étant que les agents confrontent systématiquement les fins, les moyens et les conséquences principales ou subsidiaires de leurs activités et s’orientent en conséquence. C’est donc vers une rationalité téléologique que devraient tendre les membres des forces de l’ordre.

Si les policiers prenaient conscience que toujours plus de violences finiront par nuire à la cause qu’ils défendent, celle de l’État de droit, alors les choses pourraient évoluer favorablement. Le malaise est prégnant dans la police depuis des années et il est urgent de la réformer.

Cela nécessiterait une meilleure formation initiale, un meilleur taux d’encadrement des jeunes recrues et une refonte de l’éthique du policier. Celle-ci valoriserait le dialogue plutôt que la violence et se baserait sur un discernement empathique et non autoritariste.The Conversation

Stéphane Lemercier, Chargé de cours – Membre de l’Equipe de Droit Pénal de Montpellier (EDPM), Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.