Les défis de l’authentification pour protéger la créativité à la source

L’innovation, la créativité et son expression sont les leviers fondamentaux de la réussite scientifique, industrielle, culturelle et économique d’un pays. Il devient essentiel de donner confiance aux inventeurs, en se donnant la capacité de protéger la créativité à la source. Certifier l’authenticité d’une idée nouvelle, ou de celui qui a eu l’idée nouvelle, est indispensable pour rendre plus juste notre bouillonnante époque d’inventeurs.

Michel Robert, Université de Montpellier et Jean Sallantin, Université de Montpellier

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Le défi technique est de proposer une solution de dépôt simplifié des idées ayant la capacité juridique de protéger des innovateurs en herbe ou consacrés et pouvant rapidement se déployer à l’échelle d’une nation qui respecte les nécessités de secret : seul le déposant peut la voir ; de transparence : elle est partiellement dévoilée pour que se révèlent les bonnes idées lors d’une confrontation à d’autres idées. Un défi économique et sociétal serait qu’une gestion de la multiplication d’actes de créativité individuelle soit à la source de l’émergence d’idées à l’échelle locale qui soient à la hauteur des défis notamment dus aux dérèglements du climat et aux atteintes à la biodiversité.

La créativité est mal protégée

Dans le monde académique, la reconnaissance de la prise de risque et de la créativité dans l’évaluation des chercheurs mérite de s’appuyer sur des formats pratiques d’enregistrements reconnus qui dépassent le cadre actuel trop limité et parfois inadapté – comme le dépôt de brevet – pour mesurer l’impact d’un travail de recherche.

La protection des travaux de recherche des étudiants et des doctorants dans les laboratoires est par ailleurs régulièrement posée, avec malheureusement des cas de dérives dans l’exploitation de leurs travaux en les excluant par exemple dans la signature de publications scientifiques. Il existe pourtant des dispositifs de protection dans les écoles doctorales et les laboratoires, comme le « cahier de laboratoire » consignant chronologiquement les travaux réalisés, mais ce type de dispositif n’est pas facilement adaptable à toutes les disciplines scientifiques.

Dans la société du numérique, des objets interconnectés et des usages nouveaux (jeux vidéo…), on détecte de manière croissante des étudiants talentueux – voire des lycéens – en dehors des circuits habituels du laboratoire de recherche. Les universités et écoles jouent un rôle en les accompagnant dans les divers aspects techniques, scientifiques, pédagogiques (cf. les concours de l’innovation), mais pourraient aussi jouer un rôle dans la protection des concepts développés.

La question du maintien de la richesse créative se pose aussi pour les start-up qui par essence portent les valeurs d’innovation et de créativité, mais avec de faibles taux de survie ; ceci pose la question d’une protection personnelle de la propriété intellectuelle des inventeurs ; et la question de la valorisation de ce qui est malheureusement laissé dans des cartons après une ou deux années de travail sur un projet !

Alors comment dans un contexte aussi stratégique pouvons-nous accompagner, valoriser, et garantir une authentification de la créativité ? Comment développer un écosystème protégeant tous les apporteurs de nouvelles idées ?

Comment démocratiser la protection de la créativité ?

Il existe bien évidemment des mécanismes pour conserver des traces de l’innovation comme le dépôt de brevet ou l’enveloppe Soleau, mais ils sont trop chers, trop complexes, peu connus et surtout ils interviennent trop tard et de façon non systématique dans la chaîne de valeur. Il s’agit donc de créer tout un écosystème dédié à la défense de la créativité, mais surtout à sa collecte, son inventaire et sa valorisation.

Pour répondre à ces défis, nous proposons la mise en place d’une plate-forme à la fois simple d’utilisation, accessible à tous, visible, reconnue, en charge de la défense des idées enregistrées, mais également responsable de leur valorisation.

  • Le défi sociétal est de produire un écosystème de protection et de valorisation de l’innovation déployé partout en France.
  • Le défi économique est d’établir une confiance entre les porteurs du projet et les différents acteurs.
  • Le défi technique est de réaliser un système informatique efficace, sûr et distribué physiquement sur le territoire.

L’idée simple est ici de faire diffuser sur Internet des idées protégées, car elles sont authentifiées par les notaires qui sont les spécialistes de l’authentification de toutes sortes d’actes. Ce service public serait idéalement gratuit pour favoriser la diffusion des idées que les porteurs souhaiteraient rendre publiques et pour assurer le dépôt des idées que les porteurs souhaiteraient conserver pour l’instant secrètes afin de choisir le moment de leur diffusion. Il permettrait également à des éditorialistes de faire vivre le contenu de la plate-forme en organisant des indexations dynamiques des idées qui proviendraient des débats d’idées qu’elles suscitent.

Les débats d’idées sont les moyens consacrés pour faire progresser la connaissance de tous et faire évoluer les idées elles-mêmes. C’est pourquoi il faut donner aux créateurs la capacité de protéger leur idée quand elles sont débattues, c’est-à-dire avant même la gestion des droits d’auteurs ou le dépôt de brevets d’une invention auquel elle participerait. Ainsi la protection doit se faire « à la source », elle doit être immédiate et facile d’accès.

Pour cela il est nécessaire d’avoir la capacité de fournir la caution technologique la plus propice à sécuriser les utilisateurs finaux de sorte que chaque bribe de leurs innovations déposée dans la plate-forme soit inaliénablement adossée à leur identité tout en permettant une mise en vitrine de leurs avancées. Cela est aujourd’hui possible avec une approche informatique chaîne de blocs ou « blockchain ». L’idée est d’attribuer aux notaires cette charge d’authentifier et de protéger les idées des porteurs et de sécuriser leurs relations, tout en favorisant la mise en valeur de ces idées. Leur rôle d’authentificateur stimulera le processus et garantira la certification des transactions. Les notaires disposent déjà d’une infrastructure informatique distribuée mutualisée et sécurisée pour la rédaction et l’archivage des actes. Les notaires reçoivent des actes dont certains sont unilatéraux (testaments authentiques). Par la réception du dépôt, le notaire aide à lutter contre la fraude ou le vol d’identité, et donne au déposant et aux tiers l’assurance du dépôt et de sa date ; la blockchain elle, sécurise le fichier, sa pérennité et sa consultation.

Vers une boucle d’authentification de la créativité

C’est dans ce contexte qu’un prototype de boucle d’authentification de la créativité a été réalisé, pour le conseil régional des notaires de Lyon, en s’appuyant sur l’outil Hyperledger

Chaîne d’authentification de la créativité.
Fourni par l’auteur

La procédure d’authentification des idées est organisée autour de plusieurs acteurs :

  • Les porteurs de projets qui vont bénéficier du service de dépôt de protection d’idée afin de valoriser leurs travaux ;
  • Les contributeurs qui sont les personnes et institutions aux contacts des porteurs de projets (comme les universités, les écoles d’ingénieurs, les incubateurs, etc.) qui vont proposer aux porteurs de projet le dépôt de leurs idées et travaux ;
  • Les validateurs qui sont les notaires qui vont engager leur légitimité pour inscrire dans la blockchain les idées des porteurs de projets ;
  • Les éditorialistes qui ont pour vocation de faire connaitre les idées via une stratégie de communication. Ces éditeurs pourraient être des agences privées ou publiques voulant susciter de nouveaux projets, ou encore des tiers lieux faisant la promotion de la créativité présente dans leur territoire.
  • Les industriels qui pourront avoir un accès premium au catalogue des idées afin de solliciter des mises en relation directe avec les porteurs de projet.

Un nouvel écosystème vertueux et pragmatique

Par essence, la technologie blockchain avec ses principes cryptographiques et de distribution des données et transactions se prête idéalement au sujet de l’horodatage, de la traçabilité et de l’immutabilité. Sur un sujet aussi critique que la protection de l’innovation, elle apporte une caution technologique majeure pour protéger les intérêts des porteurs de projets et éviter tout conflit d’intérêts. Néanmoins elle ne reste qu’un facilitateur, et pour qu’une adoption s’opère il est primordial que cette mission soit portée par des acteurs qui y trouvent un intérêt aussi bien sociétal qu’économique. L’idée fondatrice est donc de proposer une plate-forme blockchain qui réponde simplement aux besoins immédiats des différents acteurs de l’innovation.

1) Pour les porteurs du projet dans l’incapacité technique de protéger une innovation, la plate-forme apporte une procédure digitale de protection de l’innovation simple et facilement accessible.

2) Pour ceux qui ignorent les moyens de protection à leur disposition ou qui manquent d’intérêt pour la protection de leurs idées, ils rencontreront une équipe éditorialiste qui avec le réseau notarial est en charge de produire un catalogue simplifié des innovations qui servira à établir une relation entre les porteurs de projets et avec de potentiels partenaires industriels.

3) Avec un taux de survie inférieur à 20 %, toute l’innovation d’une jeune structure, perdue dès lors que cette dernière disparaît, serait mise en lumière comme étant des innovations protégées dans un catalogue simplifié à disposition des industriels partenaires Industriel.

4) Face à la difficulté d’une structure à innover et son besoin constant d’acquérir des talents ou des nouvelles idées il y aurait un accès direct à un catalogue simplifié et anonyme de l’innovation avec la possibilité d’être mis en relation directe avec les porteurs de projet.

5) Les notaires sont face à une méconnaissance générale de l’intérêt sociétal de leur profession. Comme ils seront là une caution morale et juridique d’un dispositif, qui s’adresse à un large public plus jeune, les notaires pourraient faire valoir une mission de protection de l’innovation et de la créativité, simplement et au plus grand nombre.

On peut donc imaginer à partir de ces concepts et de la réalisation d’un prototype facilement réalisable aujourd’hui en s’appuyant sur la technique blockchain, un dépôt simplifié et dématérialisé pour encourager la créativité à la source des innovateurs. Un déploiement dans un cadre public avec la profession notariale permettrait ainsi de mettre en place rapidement à l’échelle nationale de nouveaux usages responsables valorisant la créativité.


Cet article a été co-écrit avec Denis Pierre Simon, notaire (président honoraire du conseil régional des notaires de Lyon) et Nicolas Herzog (expert en développement blockchain).The Conversation

Michel Robert, Professeur de microélectronique, Université de Montpellier et Jean Sallantin, directeur de recherche émérite au CNRS, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.