“L’ouverture à la concurrence dans le secteur électrique se paie très cher”

Comment et par qui sont fixés les prix de l’électricité ? Qu’est-ce qu’un tarif réglementé de vente ? Un marché de l’électricité ? Pourquoi les prix ont-ils augmenté si fortement ? François Mirabel, chercheur à Montpellier Recherche en Économie (MRE), décrypte le modèle économique de l’électricité en France et ses évolutions récentes.

Qui fixe le prix de l’électricité en France ?
F. M. : Le secteur de l’électricité est un service public à caractère industriel et commercial. Historiquement, en France et dans la plupart des pays, l’État a mis la main sur ce marché et a créé un monopole pour produire, transporter et fournir l’électricité. Le tarif payé par les clients a pris la forme d’un tarif réglementé de vente (TRVE) fixé par l’État pour permettre à l’entreprise en monopole (en France EDF) de couvrir ses coûts de fourniture d’électricité.

Pourquoi avoir mis en place un tarif réglementé ?
F. M. : Parce qu’il s’agit d’un service public. La fourniture d’électricité doit être universelle et égale pour toute personne qui en fait la demande où qu’elle soit en France, avec la fixation d’un « tarif abordable ». On a donc mis en place un tarif réglementé de vente de l’électricité avec une péréquation spatiale tarifaire,comme pour le timbre-poste !

Vous en parlez au passé, ce tarif réglementé n’existe plus ?
F. M. : Avec l’ouverture à la concurrence le tarif réglementé de vente a peu à peu disparu, il n’existe plus que pour les résidentiels et il est désormais calculé selon une méthode dite « par empilement ». Au lieu d’être fixé en fonction des coûts d’EDF, il se cale en partie sur le coût d’approvisionnement des concurrents qui se fournissent sur le marché de l’électricité. Pour faire simple : cela permet aux concurrents d’EDF d’être compétitifs (on parle de « contestabilité » des TRVE) mais cela a surtout contribué à faire augmenter le tarif réglementé de vente. (Décryptage : L’ouverture à la concurrence en Europe aux racines de la flambée des prix de l’électricité, The Conversation, 20/09/2022).

De quand date l’ouverture à la concurrence ?
F. M. : C’est une directive électricité de 1996, qui a été transposée dans le droit national français en 2000. Elle a d’abord concerné les professionnels puis les particuliers en 2007. Mais c’est surtout le traité européen de Rome en 1957 qui a été le déclencheur de cette ouverture à la concurrence à travers son article 90 §2 : « toutes les entreprises chargées des missions d’intérêt économique général seront soumises aux règles de la concurrence ». Cela concerne le secteur électrique, le secteur gazier, la Poste, les télécoms, le transport aérien, ferroviaire etc.

Pourquoi l’ouverture à la concurrence a-t-elle conduit à cette hausse des tarifs ?
F. M. : La plupart des fournisseurs ne sont pas producteurs d’électricité, ils doivent donc l’acheter. Avec l’ouverture à la concurrence, EDF s’est vu imposer de mettre un quart de sa production nucléaire (100 TWh/an) à disposition des fournisseurs concurrents au prix réglementé de 42 €/MWh. C’est ce qu’on appelle l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique). Évidemment ce n’est pas suffisant pour couvrir tous les besoins des fournisseurs qui sont aussi obligés de s’approvisionner sur le marché de l’électricité. Et sur un marché, par définition, les prix fluctuent en fonction de l’offre et de la demande !

EDF doit revendre sa production à ses concurrents qui la revendent derrière à leurs clients c’est ça ?
F. M. : Oui, en économie on appelle ça la « double marge » et ça ne fait pas baisser les prix ! Clairement, l’ARENH a été un moyen de partager la très forte rente d’EDF qui vendait son électricité bien plus chère que son coût ! Mais n’oublions pas qu’EDF c’est l’État,et cela n’est pas choquant que l’État puisse faire des rentes qui pourront ensuite être redistribuées pour des politiques sociales par exemple.

Malgré cette « double marge », certains fournisseurs ont pu proposer des offres très attractives ?
F. M. : Oui, on a vu arriver des offres attractives avec des tarifs de marché inférieurs au TRVE. Simplement, ces tarifs étaient le plus souvent des tarifs variables avec à l’issue, des augmentations délirantes pouvant atteindre des sommets !

A quoi sont dues ces augmentations ?
F. M. : L’électricité ne se stocke pas à grande échelle, cela veut dire qu’il faut équilibrer en temps réel l’offre et la demande alors que nous dépendons de phénomènes exogènes : un coup de froid et la demande explose et donc les prix. Il faut une planification des investissements pour assurer des marges de capacité et donc la continuité de service même en cas de pics de consommation. Aujourd’hui ces marges n’existent plus car le marché est organisé à court terme et qu’il n’offre pas suffisamment de lisibilité et de stabilité des prix pour investir et garantir ainsi des capacités fortes.

On a aussi parlé de la guerre en Ukraine pour expliquer la hausse des prix ?
F. M. : Oui, l’envolée du prix du gaz liée à la guerre en Ukraine,mais aussi le déficit hydrique dans les barrages, la mise à l’arrêt de réacteurs nucléaires… Tous ces facteurs conjoncturels ont créé de la rareté et sur un marché, quand il y a pénurie d’offre et qu’il y a beaucoup de demande, les prix explosent ! C’est le fonctionnement normal d’un marché qui n’est pas acceptable dans le secteur électrique.

Pourquoi ?
F. M. : Parce qu’on est sur un besoin essentiel à usage captif et sans substitution possible. Un marché signale la rareté d’un bien avec l’augmentation du coût. Cela ne me dérange pas que des fraises coûtent 10 € le kilo en décembre, les gens pourront manger des pommes. Mais avec l’électricité, c’est quoi la substitution ? On veut peut-être que les gens allument un feu dans le jardin pour se chauffer les mains ?

Et les politiques d’aides publiques ne sont pas suffisantes ?
F. M. : On propose des chèques énergie ou chèques mobilité pour compenser, mais ce sont des rustines pour pallier les dysfonctionnements des marchés. L’Union européenne propose des réformettes, mais on sent bien que la seule vraie réforme consisterait à revenir à quelque chose de très centralisé.

Et qu’est ce qui l’empêche ?
F. M. : Il n’est clairement pas possible de revenir à des monopoles au regard des règles de concurrence en Europe. Le drame, c’est que l’on a créé des marchés de l’électricité sans se donner les moyens d’avoir une véritable politique énergétique européenne pour planifier des investissements à long terme et « penser » une Europe de l’énergie efficace et soucieuse des missions d’intérêt économique général ! On sait que l’ouverture à la concurrence dans le secteur électrique se paie très cher, et ce n’est pas seulement dû au conflit avec l’Ukraine, il faut avoir l’honnêteté de le dire !


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