Pêche baleinière et changement climatique : la double peine pour la séquestration de carbone

Une étude réalisée au sein laboratoire de biologie marine MARBEC, en collaboration avec des chercheurs américains et canadiens, propose pour la première fois une estimation de la dynamique de séquestration du carbone au fond de l’océan via les carcasses de baleines sur une période de deux siècles (1890-2100). Elle montre ainsi comment la chasse baleinière et le changement climatique contribuent à affaiblir drastiquement cette pompe à carbone naturelle. Un déficit de séquestration qui pourrait s’élever à plus de 45 mégatonnes d’ici 2100. Ces travaux menés par Anaëlle Durfort, doctorante à l’Université de Montpellier ont été publiés dans la revue scientifique Proceedings B le 2 novembre dernier.

© Nacim Guelatti

Pompe à carbone naturelle

Les baleines, ces animaux massifs et emblématiques contribuent à une fonction primordiale dans les écosystèmes marins : la séquestration de carbone dans l’océan. Lorsqu’une baleine meurt, sa carcasse coule dans les profondeurs entrainant avec elle tout le carbone contenu dans ses tissus, le piégeant ainsi pour des centaines voire des milliers d’années. Or, dans l’océan Austral, les baleines ont été décimées par la pêche et sont aujourd’hui menacées par le changement climatique mettant ainsi en péril cette pompe à carbone naturelle. Cette étude propose pour la première fois, une estimation de la dynamique de la séquestration du carbone par 5 espèces de baleines de l’océan Austral depuis 1890 jusqu’à 2100.

Double peine

Au 19e siècle, les morts naturelles de ces cinq espèces de baleines permettaient de séquestrer 0,4 méga tonnes de carbone chaque année. Au 20e siècle, l’essor de l’industrie de la pêche à la baleine, permise par les progrès technologiques, a entraîné la surexploitation de ces populations, amenant certaines espèces au bord de l’extinction. Les baleines franches et les baleines bleues ont ainsi été réduites à moins de 1% de leur abondance historique. En conséquence, en 1972, les baleines de l’océan Austral ne séquestraient plus que 0,06 mégatonnes de carbone par année, c’est-à-dire presque 7 fois moins que par le passé. L’étude estime qu’2022, la surexploitation des baleines a empêché la séquestration de 26,8 mégatonnes de carbone. Ce déficit de séquestration pourrait s’élever à 45,2 méga tonnes d’ici 2100.
La pêche commerciale des baleines a été officiellement interdite par un moratoire international en 1986. Mais, ces animaux sont toujours menacés, notamment par le changement climatique qui affecte particulièrement les eaux polaires. Le rétablissement des populations de baleines, déjà lent à cause de leur long cycle de vie est donc en péril. Le modèle proposé par l’étude prédit une séquestration de carbone de 0,17 mégatonne par an en 2100 selon le scénario actuel de changement climatique, ce qui représente moins de la moitié de sa valeur historique. Ainsi, l’exploitation passée et les menaces anthropiques actuelles, se conjuguent pour altérer la capacité de l’océan à piéger du carbone.

Au-delà des tonnes de carbone

Les répercussions de la perte des baleines dans l’océan Austral vont bien au-delà de l’affaiblissement de cette pompe à carbone océanique. Les baleines interagissent avec de nombreux autres organismes et de fait rendent de nombreux services écologiques aux écosystèmes marins. En s’échouant dans les profondeurs, les carcasses de baleines ne font pas que séquestrer du carbone, elles constituent également un apport de nourriture primordial pour les organismes qui vivent dans ces fonds marins. Tout au long de leur vie, les baleines jouent également un rôle central de recycleur de nutriments fertilisant ainsi l’ensemble de leur environnement. En effet, dans l’océan Austral où le fer est un nutriment essentiel mais limitant à la production primaire, les baleines produisent des fèces riches en fer qui permettent au phytoplancton, petites algues microscopiques de se développer. La fertilisation de ce premier maillon de la chaine alimentaire bénéficie ensuite au krill… qui sera consommé à son tour par les baleines ou qui va aussi séquestrer du carbone au fond de l’océan dans un cercle vertueux pour la nature et le climat.

Préserver les baleines et leurs fonctions ?

Outre l’interdiction de la pêche baleinière commerciale, d’autres moyens d’actions peuvent être mis en place pour préserver les baleines et les puits de carbone associés. Par exemple, la préservation des populations de krill en limitant sa pêche ou des mesures de réduction de collisions avec les navires peuvent favoriser le rétablissement des populations de baleines. Cependant, le défi principal réside dans l’atténuation du changement climatique qui reste la menace la plus grave pour l’ensemble des organismes vivants dans les océans, l’Antarctique étant certainement le plus touché.

Informations pratiques :

Date de publication : 2 novembre 2022
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