Sur les traces des rongeurs des Antilles

700 kilos de terre à tamiser et scruter 5 grammes par 5 grammes. C’est l’ampleur du chantier auquel se sont attelés Pierre-Olivier Antoine et ses collègues paléontologues sur l’île de Porto Rico. Une tâche minutieuse avec un objectif ambitieux : comprendre comment les premiers mammifères terrestres sont arrivés sur les îles des Caraïbes.

« Cette question compte aujourd’hui parmi les mystères les plus épineux en sciences naturelles », souligne le paléontologue de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (Isem*). Un mystère qui en cache un autre : comment se sont formées ces îles du point de vue géologique ? « Nous avons déjà défini des grands schémas, mais l’apport de la paléontologie nous permet d’affiner les scénarios », explique Philippe Münch, du laboratoire Géosciences Montpellier**.

Accompagnés du paléontologue Laurent Marivaux (CNRS) de l’Isem, les deux enseignants-chercheurs de l’UM ont rassemblé en février 2019 une équipe internationale à Porto-Rico où une incisive de rongeur fossile, datée d’environ – 30 millions d’années, avait déjà été mise au jour au début des années 2010. Bien que peu informative, cette petite dent révélait la présence indiscutable de ces animaux dans les Grandes Antilles à cette époque très reculée… Mais quel type de rongeur ?

La réponse est apparue dans les tamis : armés de patience, les scientifiques ont eu la chance de découvrir trois autres dents, des molaires, elles aussi datées de – 30 millions d’années. Les rongeurs étaient donc bel et bien là en ces temps lointains, mais d’où venaient-ils ? Vraisemblablement du continent sud-américain. « Il s’agit des plus anciens rongeurs connus des îles des Caraïbes, lesquels sont de proches cousins éteints d’un groupe strictement sud-américain, celui renfermant les chinchillas », détaille Laurent Marivaux.

Un indice précieux pour les géologues. Car si ces petites bêtes ont pu faire le voyage, c’est bien qu’il y avait un passage… « Cela signifie qu’il y avait à cette époque une voie terrestre plus ou moins continue entre le continent et les îles, ou encore une myriade d’îles plus proches qui leur aurait permis de gagner Porto Rico et le reste des Grandes Antilles », explique Philippe Münch. L’équipe de géologues recherche donc activement sur les îles et au fond de la mer des Caraïbes des indices de l’existence de ces anciennes îles aujourd’hui disparues. Et les paléontologues continuent de creuser la question. « Les rongeurs portoricains n’ont pas livré tous leurs secrets », confie Pierre-Olivier Antoine.

photos © Pierre-Olivier Antoine, Laurent Marivaux, Philippe Münch, Jorge Vélez-Juarbe


*Isem (UM – CNRS – IRD – EPHE)
**Géosciences Montpellier
(UM – CNRS – Université des Antilles) Marivaux, L., Vélez-Juarbe, J., Merzeraud, G., Pujos, F., Viñola López, L. W., Boivin, M., Santos-Mercado, H., Cruz, E. J., Grajales, A., Padilla, J., Vélez-Rosado, K. I., Philippon, M., Léticée, J.-L., Münch, P. & Antoine, P.-O. (2020). Early Oligocene chinchilloid caviomorphs from Puerto Rico and the initial rodent colonization of the West Indies. Proceedings of the Royal Society B.