“Un an après le cyclone Chido, la situation de Mayotte reste critique”
Le cyclone Chido a ravagé le département français de Mayotte le 14 décembre 2024. Si l’État est intervenu massivement pour traiter l’urgence, les promesses de reconstruction structurelles semblent loin d’avoir été tenues. Entretien avec le géographe mahorais Fahad Idaroussi Tsimanda.
Fahad Idaroussi Tsimanda, Université de Montpellier

The Conversation : Un an après Chido, où en est la reconstruction ?
Fahad Idaroussi Tsimanda : Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido a frappé Mayotte et endommagé 80 % du territoire mahorais (près de 60 % de l’habitat aurait été détérioré ou totalement détruit, mais aussi de nombreuses infrastructures, des territoires agricoles et naturels). Il s’agissait d’une catastrophe humanitaire majeure, malgré un bilan officiel limité à 40 morts et 41 disparus. Rapidement, l’État a mobilisé de forts moyens d’urgence après avoir déclaré l’état de calamité naturelle exceptionnelle. Sur place, plus de 4 000 personnels de la sécurité civile, de la police, de la gendarmerie et des armées ont été déployés. De l’aide humanitaire a été distribuée massivement – packs d’eau, patates, bananes, farine, huile, etc. La remise en état des routes et des principaux réseaux d’eau potable et d’électricité ont été effectifs au bout d’un mois environ.
Une forte mobilisation politique a également eu lieu dans le courant de l’année 2025. Pour formaliser et encadrer la reconstruction de l’île, le gouvernement a adopté une loi d’urgence en février 2025, puis une loi pour la refondation de Mayotte, fixant une trajectoire d’investissement de 4 milliards d’euros sur plusieurs années. Ces textes ont été complétés par des ordonnances visant à accélérer la reconstruction, notamment en adaptant temporairement les règles de construction pour faciliter la reconstruction des logements détruits.
Pourtant, notre constat est que, au-delà de l’urgence, la reconstruction structurelle n’a toujours pas eu lieu et la situation demeure critique sur place. Nous sommes encore très loin de ce que les Mahorais attendaient. Selon les chiffres de la députée Estelle Youssouffa, très peu d’argent a été dépensé : 25 millions d’euros seulement depuis le début de l’année, soit environ 0,6 % de l’enveloppe totale promise de 4 milliards d’euros.
J’ai pu constater que, dans le chef-lieu, Mamoudzou, plusieurs bâtiments publics (ceux du Département de Mayotte, la mairie, le commissariat, ceux de l’intercommunalité, etc.) sont toujours couverts de bâches. Au centre hospitalier de Mayotte, des travaux de toiture sont en cours, mais l’essentiel a en revanche été réalisé.
Pour ce qui concerne les particuliers, un prêt à taux zéro de reconstruction a été a été promis aux Mahorais, aux ménages sinistrés avec une enveloppe de 50 000 euros. Mais je ne connais personne autour de moi qui en ait bénéficié. Certains habitants ont déjà reconstruit, certains démarrent à peine leurs chantiers.
Je suis enseignant, et je constate que la situation des écoles est toujours très dégradée, avec beaucoup de salles de classe indisponibles ce qui conduit à charger les effectifs pour chaque classe. On estime que 40 % des établissements scolaires ont été détruits ou endommagés pendant le cyclone. Les classes fermées contraignent les élèves à un nombre d’heures de cours limités avec un système de rotation.
Les bidonvilles ont été ravagés par Chido. Que s’est-il passé dans ces quartiers depuis un an ? François Bayrou, le premier ministre de l’époque, s’était engagé à bloquer leur reconstruction. Est-ce le cas ?
F. I. T. : Dès le lendemain du passage de Chido, les familles de migrants vivant dans les bidonvilles ont reconstruit leurs maisons. Le préfet de Mayotte a interdit aux particuliers d’acheter des tôles s’ils ne pouvaient pas présenter de justificatif de domicile, afin d’empêcher la reconstruction de bidonvilles. Pourtant, il fut très facile de contourner cela avec le justificatif d’un voisin. Ceux qui avaient les moyens ont acheté des tôles et des chevrons. D’autres ont réutilisé les tôles déformées et ont débité des cocotiers tombés à terre pour les structures.
Imaginer reconstruire en dur dans ces quartiers est un leurre. Les personnes qui habitent dans les bidonvilles sont souvent en situation irrégulière, elles n’ont pas droit au logements sociaux qui sont de toute façon en nombre insuffisant. Quelle autre option est possible ? Selon les statistiques officielles, avant Chido, il existait environ neuf logements sociaux pour 1 000 habitants, ce qui est extrêmement faible. Or 40 % des logements sont en tôle à Mayotte et 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national. Les bidonvilles, reconstruits à l’identique, sont toujours aussi fragiles et vulnérables face aux intempéries.
Après Chido, les migrants ont été pointés du doigt par une partie de la classe politique française. Le gouvernement Bayrou a légiféré pour durcir l’accès à la nationalité française et a promis plus de fermeté pour lutter contre l’immigration. Comment évolue la situation sur place ?
F. I. T. : Près de la moitié des personnes vivant à Mayotte sont des étrangers, dont de nombreux illégaux, installés dans les bidonvilles. Les opérations policières massives, comme Wambushu ou Place nette pour raser les bidonvilles et expulser massivement, n’ont pas été renouvelées en 2025. En revanche, les policiers aux frontières interviennent toujours en mer et au sein de l’île pour expulser les illégaux. Mais ces derniers reviennent : l’île est facilement accessible depuis les îles voisines en bateau et les frontières sont difficiles à contrôler.
Malgré les efforts de l’État, les arrivées illégales se poursuivent. Les migrants vivent toujours dans des logements précaires, avec un accès limité aux droits fondamentaux et des inégalités qui perdurent.
Les relations entre la France et les Comores jouent un rôle central dans cette problématique migratoire. Quel est l’état de ces relations ? https://www.youtube.com/embed/aOhrlxqqv3I?wmode=transparent&start=0
F. I. T. : En 2018, un accord a été conclu entre l’Union des Comores et la France. Il s’agissait pour la France d’aider les Comores sur le plan de l’agriculture, de l’éducation, de la santé – ceci à condition que le gouvernement comorien stoppe le départ des migrants depuis l’île d’Anjouan. Mais depuis, rien n’a changé. Le président de l’Union des Comores Azali Assoumani répète avec constante que la France doit abandonner Mayotte et l’île intégrer l’Union des Comores. Il affirme que Mayotte appartient aux Comores, sans doute pour satisfaire son électorat, alors que les habitants des Comores vivent dans une grande pauvreté.
Quel est l’état d’esprit des habitants de l’île que vous côtoyez ?
F. I. T. : Les Mahorais sont résilients. Après le cyclone, ils se sont entraidés, ils étaient solidaires. Ici, la vie suit son cours. Certains critiquent le gouvernement, mais, en général, les Mahorais sont confiants dans l’avenir. Ce qui est un sujet de tension, ce sont les phénomènes de violence qui impliquent parfois des migrants. Cela ne date pas de Chido. La question migratoire est montée en puissance depuis que l’île est un département français, en 2011.
Fahad Idaroussi Tsimanda, Géographe, chercheur associé au LAGAM, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.