Une nouvelle jeunesse pour “L’étang de Thau et le mont Saint-Clair”
Le tableau « L’étang de Thau et le mont Saint-Clair » exposé à la station marine de l’environnement littoral à Sète a bénéficié d’une restauration qui a littéralement redonné sa dimension d’origine à cette toile du peintre montpelliérain Max Leenhardt. La conservatrice et restauratrice d’œuvres peintes Marie Connan qui a fait partie de l’équipe de professionnels ayant mené à bien cette mission nous détaille les étapes de ce travail délicat.

Quand vous poussez la porte de la grande salle située au dernier étage de la station marine de l’environnement littoral à Sète, la baie vitrée située en face offre une magnifique vue sur l’étang de Thau. Mais si vous tournez la tête vers la gauche, une autre vue de l’étang s’offre à vous, au moins aussi majestueuse. Un petit bateau de pêche, un enfant les pieds dans l’eau, le Mont Saint-Clair en arrière-plan baigné d’une douce lumière… Vous contemplez une œuvre du peintre montpelliérain Max Leenhardt qui, avec ses 4,20 mètres de long et ses 1,65 mètre de haut, occupe toute la longueur du mur de la salle à laquelle il offre une double vue sur « L’étang de Thau et le mont Saint-Clair ». C’est aussi là le titre du tableau, réalisé en 1900 à la demande d’Armand Sabathier, le fondateur de la station marine, apparenté au peintre qui aurait d’ailleurs offert cette toile gracieusement à la station selon les recherches d’Isabelle Laborie qui a consacré une thèse en histoire de l’art à Max Leenhardt.
Plus de 120 ans donc que la toile orne les murs du bâtiment, dans des conditions de conservation pas toujours optimales qui n’ont pas épargné l’œuvre, ternie par le temps. Un accident non identifié a même percé le tableau qui a perdu de sa superbe. « En 2024, la restauration de l’œuvre a pu être programmée en concertation avec l’équipe de la station, grâce à un financement de l’UM à hauteur de 23000 euros », explique Caroline Ducourau, directrice de la direction de la culture scientifique et du patrimoine historique. Et c’est Marie Connan, conservatrice et restauratrice d’œuvres peintes, qui se chargera avec ses collaborateurs Danièle Amoroso, Alexandra Deneux, Séverine Padiolleau et Thierry Martel (pour la dépose et la repose) de cette mission délicate.
Une frise surprise
En juillet 2024, l’équipe de restaurateurs vient décrocher le tableau pour évaluer l’ampleur de la tâche. Et là, surprise : tout autour de la toile, repliée derrière un châssis en bois, se cache une frise composée d’animaux marins entremêlés dans les algues. « Pour faciliter le pliage sur le châssis les quatre coins de la toile avaient tout bonnement été découpés », se souvient Marie Connan. Elle est son équipe choisissent alors de restituer le format original de l’œuvre en réintégrant les manques de toile.
Mais pour cela, et pour mener à bien l’ensemble du processus de conservation et de restauration, il leur fallait emmener le tableau dans les locaux de l’atelier Amoroso Waldeis, situé à Villeneuve-lès-Avignon. « Avec ses dimensions ça s’est vite avéré trop complexe de la déplacer telle quelle, nous avons donc décroché la toile de son châssis en bois après y avoir apposé une protection de surface temporaire et l’avoir enroulée ». Et c’est là que le travail commence.
“Lasagnes” de peinture
« Il faut savoir que Max Leenhardt utilise une technique particulière, la peinture est appliquée en couches superposées et épaisses qui font du tableau une véritable « lasagne » de peinture, ce qui augmente le risque de perdre de la matière, comme nous l’avons constaté par exemple au niveau de la tête de l’enfant », détaille la restauratrice. Et quand on s’approche de près, l’œuvre montre un réseau de craquelures, « un vieillissement naturel qu’on ne peut pas empêcher, de la même manière qu’on ne peut pas empêcher les rides d’apparaître sur la peau avec le temps », image Marie Connan.
A défaut de pouvoir corriger les rides du tableau, les restaurateurs se sont attelés à « détendre et relaxer » la toile, afin d’aplanir l’œuvre et de limiter le risque de perdre davantage de matière, avant de combler les endroits où la peinture avait disparu. « Nous avons également procédé à un décrassage de la surface pour enlever l’empoussièrement, les dégoulinures et les coulures et redonner un peu de l’éclat d’origine aux couleurs ». Une tâche rendue délicate par la nature de cette peinture réalisée à l’huile et non vernie. « Nous devons proposer le même niveau de brillance que la toile d’origine lors de la phase de retouche », explique Marie Connan. Et si la brillance initiale a pu être conservée, les couleurs et lumières ont été ravivées par cette cure de jouvence. Une différence qui saute tout de suite aux yeux des habitués de la station marine qui ont vu cette œuvre avant et après sa restauration.
Restauration semi-illusionniste
Autre différence qui saute aux yeux : la fameuse frise qui encadre la toile et que les conservateurs-restaurateurs ont reconstituée. A défaut de savoir ce qui figurait dans ces angles morts, les spécialistes ont dû s’autoriser une légère part d’interprétation pour reconstituer l’œuvre telle qu’elle était probablement. « Nous avons proposé ce que l’on appelle une restauration semi-illusionniste : de près on voit la différence avec les parties rajoutées et l’originale, mais de loin on ne s’en aperçoit pas ».
Un travail de restauration d’ampleur, techniquement complexe qui aura permis au tableau de réintégrer un an plus tard, en juillet 2025, les murs de la station marine, offrant aux visiteurs cette fameuse double vue sur l’étang de Thau. Un évènement qui en préfigure peut-être d’autres comme l’espère Caroline Ducourau : « il y a un patrimoine culturel important à la station marine dont certains tableaux qui mériteraient eux-aussi d’être restaurés ».










