Guillaume Cassabois : Matières quantiques
Grâce à des résultats originaux sur les nanostructures semi-conductrices et en particulier sur les propriétés physiques du nitrure de bore, le physicien Guillaume Cassabois du laboratoire Charles Coulomb de l’UM vient de recevoir le Grand Prix Jean Ricard 2025 de la Société française de physique. Si la récompense salut une réussite individuelle, le chercheur souligne l’importance du collectif tout au long de ses recherches.

Guillaume Cassabois travaille à l’échelle de l’infiniment petit, là où règnent les lois quantiques. Pour ceux qui craindraient de ne pas comprendre sa recherche, le physicien du laboratoire Charles Coulomb, professeur à l’Université de Montpellier, se veut rassurant : « Nous vivons tous dans un monde quantique. » Le laser, l’imagerie IRM ou les transistors composants les ordinateurs sont des technologies héritées d’un siècle de recherche en mécanique quantique.
De l’arsenure ou graphène
Lui étudie les nanostructures semi-conductrices par spectroscopie optique. Il contribue ainsi à la deuxième révolution quantique, celle qui a démarré dans les années 2010 et qui cherche à appliquer dans de nouvelles technologies, les propriétés quantiques à l’échelle de l’atome. Parmi ces technologies, le projet le plus connu – et peut être le moins abouti – est l’ordinateur quantique qui utiliserait la capacité de la matière à être dans deux états à la fois pour calculer beaucoup plus vite.
Après une thèse soutenue en 1999 à l’Ecole normale supérieure, Guillaume Cassabois consacre justement le début de sa carrière au qubit, ce bit quantique qui, à la différence de nos ordinateurs actuels où les transistors manipulent des 0 ou des 1, peut être à la fois 0 et 1. Alors maitre de conférences à Jussieu, il essaie de fabriquer ce qubit en créant une boite quantique, un objet de quelques nanomètres en arsenure d’indium. Finalement, les supraconducteurs l’emportent sur la boite quantique dans la course au qubit. Et le chercheur se réoriente vers les nanotubes, une nanostructure faite à partir de graphène, un matériau d’une couche d’atomes de carbone organisés en nid d’abeille, et qui peut émettre des photons uniques. Parmi les applications quantiques, le photon unique est une denrée recherchée. Comme pour la cryptographie quantique, où l’impossibilité de créer une copie parfaite d’un photon permet de coder les messages de manière incraquable.
Les défauts du silicium
En rejoignant l’Université de Montpellier en 2010, Guillaume Cassabois explore encore une nouvelle voie : les défauts optiques du silicium. « Un tel défaut existe dans le diamant et permet d’émettre des photons uniques à la demande à des longueurs d’onde du visible. Mon intuition était de trouver l’équivalent dans le silicium, un matériau très répandu de la microélectronique et qui pourrait émettre dans l’infrarouge, aux longueurs d’onde de la fibre optique télécom. »
Bingo. Son équipe est la première en 2019 à observer les défauts recherchés. Guillaume Cassabois insiste justement sur le rôle du collectif dans cet aboutissement : « Anaïs Dréau [chercheuse au L2C et lauréate 2025 du Prix Gustave Ribaud de l’Académie des Sciences] était en train de mettre en place un dispositif expérimental très performant pour étudier le carbure de silicium, une opération que Vincent Jacques (L2C) a pu soutenir financièrement avec des reliquats de financements de son ERC. » Et de défendre que la collaboration et les « petits bas de laine » dans les laboratoires sont décisifs pour rester dans la course face aux poids lourds étasuniens et chinois. Aujourd’hui, l’équipe montpelliéraine contribue aux avancées internationales pionnières dans l’application technologique de cette découverte, qui permet d’intégrer des émetteurs quantiques dans des puces silicium.
Nitrure de bore à bord
Tirant profit d’un autre atout de son laboratoire, la spectroscopie optique dans l’ultraviolet maitrisée localement par Bernard Gil, Guillaume Cassabois s’attaque aux propriétés d’un autre matériau semi-conducteur, le nitrure de bore (BN). « Au départ, en travaillant sur des cristaux massifs de quelques millimètres, j’avais plutôt l’impression de faire de la physique des années soixante. Je n’avais pas idée des propriétés physiques incroyables de ce matériau, qui a une structure proche du graphène ». Avec son collègue Pierre Valvin, ils réalisent une prouesse expérimentale « en utilisant la spectroscopie à deux photons dans l’ultraviolet profond » et révèlent les propriétés optiques exceptionnelles de ce matériau, qui pourrait permettre de fabriquer des LED dans l’ultraviolet profond pour la stérilisation de l’eau et la désinfection de surfaces.
« Ce travail fondateur a marqué la naissance d’un nouveau champ, aujourd’hui en plein essor : la photonique à base de nitrure de bore », pointait un article de la Société française de physique, à l’occasion du Grand Prix Jean Ricard 2025.Prix qui récompense un physicien pour un travail remarquable et original. Exemple parmi d’autres du rayonnement international de ses travaux, Guillaume Cassabois a lancé à Montpellier en 2023 le premier workshop international sur le nitrure de bore, conférence qui depuis s’est enchainée en Australie, aux États-Unis et bientôt en Corée…
