Tomasz Hueckel, chercheur aux pieds d’argile
Tomasz Hueckel, professeur émérite à Duke University (Durham, Caroline du Nord, Etats-Unis), rejoint la communauté grandissante des docteurs Honoris causa de l’Université de Montpellier. Ingénieur, chercheur, enseignant, il collabore depuis plus de 15 ans avec les équipes de l’Université de Montpellier, en particulier celles du Laboratoire de mécanique et génie civil (LMGC). La cérémonie du 16 mai 2025 était l’occasion de retracer son parcours pas à pas, de sa Pologne natale aux Etats-Unis, tout comme ses apports significatifs dans le domaine du génie civil et environnemental.

Pour venir au pupitre, il s’aide d’une canne, discrète, pour se déplacer avec aisance sans jamais se départir d’un sourire généreux. Tomasz Hueckel rayonne comme quelqu’un qui n’a rien à prouver. La tête dans la recherche depuis plus de 50 ans, mais les pieds bien ancrés. Enracinés, même. Dans son discours prononcé dans un français fluide, il commence d’ailleurs par mettre à l’honneur ses racines familiales. Son père, Stanislaw Hueckel, professeur de génie maritime à l’école polytechnique de Gdańsk et membre de l’Académie des sciences, qui l’a « introduit aux sciences de l’ingénieur ». Et son arrière-grand père botaniste, Edward Hückel, véritable « légende familiale ».
Terre d’accueil
Si Tomasz Hueckel est honoré en tant que professeur émérite à Duke University (Durham, Caroline du Nord, Etats-Unis), son parcours commence en Pologne, son pays natal. Il y fait ses études, obtient brillamment un diplôme en ingénierie civile à l’Université de technologie de Gdańsk en 1968 avant de poursuivre avec un doctorat en mécanique appliquée à l’Académie polonaise des sciences à Varsovie en 1974 sous la direction du professeur Zenon Mróz, figure de la mécanique des milieux continus qu’il considère comme l’un de ses « maîtres ». Comme pris par un pressentiment, il part en Italie seulement deux mois avant le coup d’état communiste militaire qui secoue la Pologne en 1981. L’Italie devient sa terre d’accueil pendant des années. Il enseigne à Rome puis Milan, où il avait effectué son postdoc en 1975 sous la direction du professeur Giulio Maier, avant de partir en France compléter sa formation par un doctorat d’état en sciences physiques à l’Université de Grenoble en 1985. A cette époque, il est déjà remarqué pour ses recherches exploratoires innovantes dans le domaine de la géomécanique multiphysique, avec des applications à l’énergie souterraine et à la géomécanique environnementale. Il s’intéresse au sol, et même au sous-sol. Le sujet est nouveau : mettre à profit la thermo-mécanique de l’argile comme barrière géologique du stockage de déchets nucléaires, ce qui implique de développer une nouvelle théorie de la thermoplasticité des argiles. Ainsi, de 1983 à 1987, il collabore avec l’industrie de stockage des déchets nucléaires à l’ISMES de Bergame. Avant de sauter le pas et de survoler l’océan Atlantique, direction les Etats-Unis.
Bâtisseur de la géomécanique multiphysique
En 1987, Tomasz Hueckel arrive à Duke University en Caroline du Nord en tant que spécialiste du génie civil et environnemental. Faute de pouvoir continuer ses recherches sur le stockage souterrain des déchets nucléaires, tous les programmes sur le sujet étant à l’arrêt dans le pays, il s’intéresse désormais à la chimio-mécanique. Multilingue, il collabore avec des collègues d’universités situées au Canada et en Europe : Belgique, France, Suisse, et bien sûr Italie. Son expertise est alors largement reconnue à l’international. Il s’implique autant sur le plan de la recherche, de l’enseignement que de la vie de son établissement universitaire. S’adressant à son collègue et ami dont il est le parrain dans le cadre de cette cérémonie de remise de doctorat honoris causa, Moulay Saïd El Youssoufi, chercheur au LMGC et directeur de l’UT de Nîmes, met en avant « une carrière marquée par une vraie passion et un engagement permanent pour la recherche fondamentale et appliquée dans le domaine des sols ». Ce qui lui vaut de voir son œuvre scientifique récompensée à de nombreuses reprises, notamment par la médaille John Booker de l’IACMAG en 2008 « pour ses travaux pionniers dans le domaine de la géomécanique environnementale, en particulier pour ses articles fondateurs sur la thermoplasticité des géomatériaux et sur le couplage chimio-mécanique ». Et de cofonder une revue Elsevier de référence dans le domaine : Geomechanics for Energy and the Environment.
Son parrain insiste sur l’importance de ses recherches : « Grâce à vos travaux, la prise en compte du caractère multiphysique et multi échelle est devenue une forme d’exigence dans toute étude sérieuse en géomécanique. Vous êtes d’une certaine manière un bâtisseur de la géomécanique multiphysique et l’un des pionniers mondiaux dans ce domaine. » Citant ses nombreux travaux innovants, comme la thermoplasticité des sols et la chimio-plasticité, et bien sûr l’exploration des « phénomènes d’évaporation et de fissuration, les instabilités capillaires et les ponts liquides entre grains ». Un thème de recherche qui a rapproché Tomasz Hueckel des équipes du LMGC de l’Université de Montpellier, auxquelles Moulay Saïd El Youssoufi appartient, dès 2007.
Le stockage des déchets radioactifs
A partir 2008, le chercheur américano-polonais est professeur invité à Montpellier à neuf reprises, codirigeant des recherches, donnant des cours, co-écrivant des articles (une trentaine) et participant à la formation de doctorants et stagiaires. « Vous avez été aussi l’un des rares experts internationaux à évaluer les travaux de l’ANDRA, dans le cadre du projet national Cigéo sur le stockage géologique des déchets radioactifs. Votre engagement dans les réseaux européens, dont ALERT et, IRN GeoMech, a renforcé les liens scientifiques entre nos institutions », précise le directeur de l’IUT de Nîmes. En 2021, le scientifique reçoit la médaille de recherche géotechnique 2021 de l’Institution of Civil Engineers (Londres) avec les Montpelliérains Boleslaw Mielniczuk et Moulay Saïd El Youssoufi. Une belle reconnaissance pour une collaboration durable et fructueuse.
Aux yeux de Moulay Saïd El Youssoufi, le scientifique incarne « la rigueur, l’inventivité, l’humilité, le partage des connaissances, et bien sûr la liberté académique ». Ce qui en fait avant tout « un grand scientifique, passeur de savoir, collaborateur fidèle et ami de l’Université de Montpellier ». En 2023, Tomasz Hueckel devient professeur émérite à Duke University, où il continue à contribuer avec enthousiasme à la recherche et à la formation des jeunes générations. Une façon de continuer à rendre hommage à ses racines tout en contribuant à enraciner dans la recherche d’autres pionniers et pionnières des deux côtés de l’Atlantique.