20% des ménages déclarent avoir froid dans leur logement

Baisser le chauffage, ce n’est pas juste un choix environnemental, c’est surtout une nécessité économique pour les 12 millions de français qui vivent en situation de précarité énergétique et qui subissent de plein fouet l’augmentation des prix de l’énergie. Comment définit-on et mesure-t-on cette précarité particulière ? Explications avec Sandrine Michel, économiste au laboratoire ART-Dev*.

Comment définit-on la précarité énergétique ?

S.M. : Le concept même de précarité énergétique est apparu au Royaume-Uni dans les années 1990, suite à la dérégulation du secteur de l’énergie. Le parlement européen la définit comme la situation dans laquelle un ménage est obligé de dépenser plus de 10 % de ses revenus pour chauffer et éclairer son domicile selon une norme acceptable. Il existe également une définition française arrêtée en 2010 par la loi Grenelle 2 de l’environnement qui dit qu’est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat.

Cette définition de 2010 est-elle en adéquation avec la situation actuelle ?

S.M. : Le contexte de l’époque était bien différent, d’une part parce qu’en 2010 le prix de l’énergie ne variait pas dans les proportions actuelles, mais aussi parce qu’à cette période l’inflation était pour ainsi dire anesthésiée alors qu’aujourd’hui son retour provoque un fort ralentissement du pouvoir d’achat. D’autre part il faut noter que cette définition est aveugle sur la question des transports alors que la dépense énergétique des ménages est consacrée pour moitié au logement et pour moitié à la mobilité.

De quels facteurs résulte cette précarité ?

S.M. : Elle résulte en premier lieu de la précarité économique et est donc en lien avec la pauvreté. Mais la précarité énergétique fait également intervenir le prix de l’énergie qui fluctue, le niveau de ressources des ménages, leurs pratiques mais aussi la qualité de l’habitat et de l’équipement de chauffage. C’est d’ailleurs un point essentiel quand on sait que selon l’enquête Phebus menée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en 2018, 7,4 millions de ménages vivent dans des logements au diagnostic de performance énergétique classé F ou G, les fameuses passoires thermiques. Un chiffre qui passe même à 11 millions de ménages selon la fondation Abbé Pierre ! Pour y remédier la première loi sur la rénovation énergétique a vu le jour en 2015, mais il faut bien constater qu’avec 50 000 rénovations de logements par an, le projet avance à la vitesse d’un escargot sous Prozac.

Est-ce qu’on peut chiffrer les conséquences économiques pour les habitants de ces passoires thermiques ?

S.M. : On estime que pour une passoire thermique la dépense annuelle de chauffage moyenne s’établit entre 5 000 et 6 000 euros par an. De fait il y a une double peine de la pauvreté : les ménages les plus pauvres accèdent aux logements les moins bien isolés et ce sont eux qui subissent le plus l’augmentation du prix de l’énergie.

Qui sont aujourd’hui ces français qui souffrent de cette précarité énergétique ?

S.M. : Une personne en situation de précarité énergétique est plutôt locataire pour 73% et majoritairement dans le parc privé. Pour 43 % c’est une personne seule plutôt plus jeune que la moyenne et qui vit en zone urbaine. Mais il faut prendre avec précaution cette idée de profil type. Si l’on prend par exemple un couple de retraités qui vit dans un logement ancien construit avant 1975 et donc mal isolé, ils peuvent avoir une facture énergétique considérable alors même qu’ils sont propriétaires.

Concrètement, comment cette précarité énergétique se traduit-elle dans le quotidien des personnes concernées ?

S.M. : 36 % des ménages concernés déclarent avoir restreint le chauffage chez eux pour ne pas avoir des factures trop élevées, et il s’agit là de données de 2021 qui ne répercutent donc pas la totalité de l’augmentation du prix de l’énergie. En 2020-2021, 20 % des ménages déclarent avoir froid dans leur logement, c’est 40 % de plus qu’en 2018 ! Il y a des impacts importants sur la qualité de vie : 48 % des adultes en précarité énergétique souffrent de migraines, 41 % d’anxiété et de dépression, 22 % de bronchites chroniques. L’exposition à la précarité énergétique multiplie par 4 les symptômes de sifflements respiratoires des enfants. Elle multiplie aussi par 3,5 les risques de présence de moisissures dans le logement.

Vous insistez sur l’importance de bien mesurer la précarité énergétique, pourquoi ?

S.M. : Justement parce que les mesures unidimensionnelles qui ne tiennent compte que du revenu ne reflètent pas cette réalité. Il existe une deuxième manière de mesurer la précarité énergétique, multidimensionnelle celle-là, qui intègre non seulement les dimensions financières, mais aussi le confort du logement, les ressentis des habitants, leur sécurité, leur santé, l’environnement et qui permet d’avoir une mesure plus complexe et plus fine. Cette approche multidimensionnelle est certes plus difficile à mettre en œuvre, mais elle donne une définition plus précise, et montre clairement que le chantier de la précarité énergétique est considérable. Une meilleure définition qui permettrait aussi de mieux cibler les publics et améliorerait l’efficacité des moyens d’action.


*Art-Dev (CIRAD, CNRS, UPVM, UPVD, UM)


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