Des ours un poil casaniers

Pour avancer sur la route du repeuplement, les ours bruns des Pyrénées ont appris à ne pas croiser celle de l’Homme quitte à limiter leur distribution et restreindre leur habitat. À quel point les infrastructures humaines et notamment routières influencent-elle leur utilisation de l’espace ?

En 2004, Cannelle, la dernière ourse femelle des Pyrénées, était abattue par un chasseur dont elle venait de croiser la route. Elle laissait derrière elle Cannellito, un ourson de huit mois, ultime descendant de la souche pyrénéenne de cette espèce. Aujourd’hui Cannellito partage ces forêts escarpées avec au moins 76 congénères, en grande partie issus de la réintroduction d’individus prélevés en Slovénie, et 5 portées ont été détectées cette année.

Sous les radars

Pour suivre au plus près cette population, l’office français de la biodiversité (OFB), en collaboration avec ses homologues espagnols et andorrans, s’appuie sur des méthodes non-invasives telles que les pièges photographiques ou les pièges à poils relevés chaque mois par les 450 bénévoles du réseau Ours brun. La population d’ours des Pyrénées est aujourd’hui bien connue des observateurs, « mais plus il y a d’ours, plus il y a de risques que certains d’entre eux passent sous les radars. L’effort de suivi étant déjà très important, nous avons besoin d’utiliser des modèles statistiques afin d’estimer la population réelle » explique Maëlis Kervellec, modélisatrice et doctorante au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (Cefe) en collaboration avec l’OFB.

Sous la direction d’Olivier Gimenez, chercheur au Cefe, sa thèse propose d’établir des cartes de densité pour faciliter leur recensement. C’est grâce aux modèles spatialisés de capture recapture (SCR) et à partir des données de localisation issues des pièges photographiques et des prélèvements de poils que la jeune chercheuse a modélisé, à plus large échelle, la distribution des ours. « En partant des différents endroits où l’animal a été détecté, nous essayons de représenter comment cet individu utilise le paysage dans la réalité. En combinant l’espace utilisé par chaque ours on obtient une carte de distribution qui tient compte des possibles barrières. »

Loin des routes

Réintroduits en Ariège, les ours se sont peu dispersés sur le reste de la chaîne des Pyrénées et ce malgré l’augmentation de leur population. Dans quelle mesure leur distribution est-elle limitée par celle de l’Homme ? Pour répondre à cette question, la doctorante s’est penchée sur l’impact des infrastructures routières sur la connectivité du paysage. « Le terme connectivité est ici défini comme le degré auquel le paysage facilite, ou empêche, les déplacements des individus entre des zones ou « patch » de ressources » précise Maëlis Kervellec qui, pour réaliser cette étude, a utilisé dans son modèle « toutes les routes possibles sans faire de distinction entre les grandes et les petites ».

Sans surprise, la jeune chercheuse constate que plus la densité de routes est grande, moins les ours ont tendance à utiliser l’habitat. Elle observe également que la vallée de la Garonne entre Vielha et Bagnère-de-Luchon semble restreindre la distribution de ce noyau ariègeois. « On ne peut pas affirmer que la route est responsable du fait que les ours se restreignent à l’espace utilisé actuellement car dans cette vallée on trouve aussi d’autres facteurs possibles comme la voie ferrée ou la rivière qui ne sont pas pris en compte dans mon modèle » conclut Maëlis Kervellec. Des études complémentaires permettront surement de mieux expliquer le comportement de cette espèce qui reste aujourd’hui encore en danger critique d’extinction.

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