Le prix de la forêt

Encourager les petits propriétaires terriens à ne pas couper les arbres en leur versant une compensation financière, c’est ce qu’on appelle des paiements pour services environnementaux. Mais est-ce réellement efficace pour réduire la déforestation en Amazonie ? Pour le savoir, l’économiste Gabriela Demarchi a mené une évaluation inédite.

© Gabriela Demarchi

543 940 km², c’est la superficie de la France métropolitaine. C’est aussi à peu de choses près la surface de forêt détruite en Amazonie en l’espace de 10 ans. « Le Brésil est le pays qui perd le plus de forêt tropicale chaque année », précise Gabriela Demarchi, chercheuse en économie au laboratoire Moisa1. A ce rythme, le fonds mondial pour la nature WWF estime que 55 % de la forêt amazonienne pourraient disparaître d’ici 2030.

Une catastrophe écologique aux conséquences étendues. « Ces forêts très denses sont peuplées d’arbres très anciens qui stockent beaucoup de carbone. La déforestation et les changements d’utilisation des terres constituent la deuxième source d’émission de gaz à effet de serre, juste derrière l’utilisation des combustibles fossiles », précise la chercheuse.

Limiter le réchauffement climatique

Réduire la déforestation en Amazonie est un enjeu capital et un levier majeur pour limiter le réchauffement climatique. Parmi les outils proposés pour y parvenir figure le dispositif REDD+, pour réduction des émissions issues de la déforestation et de le dégradation forestière. « Ce dispositif propose que les pays développés qui émettent le plus de gaz à effet de serre versent une compensation aux pays en voie de développement pour maintenir leur couverture forestière », explique Gabriela Demarchi qui précise qu’au cours des dernières décennies, on a assisté à une prolifération de projets de ce type en Amazonie brésilienne.

L’économiste s’est penchée lors de sa thèse au Centre d’économie de l’environnement de Montpellier sur l’un de ces programmes mis en œuvre entre 2013 et 2017. Objectif : évaluer son efficacité pour réduire la déforestation. Ce programme appelé PAS est basé sur ce qu’on appelle les paiements pour services environnementaux. « Cette initiative pilote repose sur une compensation financière pour inciter les agriculteurs à ne pas couper les arbres sur leurs terres », explique la chercheuse brésilienne.

Jumeaux statistiques

En pratique, 350 petits exploitants agricoles ont perçu une somme d’argent en échange de l’engagement de maintenir une couverture forestière sur leur exploitation. « Les agriculteurs coupent des arbres pour transformer la forêt en terres agricoles ou pour élever du bétail, on leur verse donc de l’argent pour compenser leur manque à gagner et leur fournir une alternative pour vivre », détaille Gabriela Demarchi.

Mais comment évaluer l‘efficacité d’un tel dispositif ? « Avec un tel scénario il semble compliqué de savoir si l’agriculteur aurait ou non déforesté ses parcelles même s’il n’avait pas perçu de compensation monétaire, ces programmes sont donc compliqués à évaluer ». Alors l’économiste a eu recours à ce qu’on nomme une évaluation d’impact basée sur la reconstitution de la situation contrefactuelle. « Nous avons trouvé des ménages ruraux aux caractéristiques les plus proches possibles de ceux qui avaient été enrôlés dans le programme, on appelle cela des jumeaux statistiques. » Si le comportement du jumeau statistique diffère de celui du jumeau qui participe à l’étude, alors on peut en déduire que le programme a bien eu un impact. Et cet impact, les chercheurs ont pu le quantifier : « le programme a permis de diminuer de 15 à 43 % la déforestation sur ces exploitations entre 2013 et 2017 », précise Gabriela Demarchi. Mais que se passe-t-il quand le programme prend fin et que les propriétaires arrêtent de recevoir les subventions ? « Le risque c’est qu’ils coupent davantage d’arbres pour rattraper le retard des années précédentes, en économie c’est ce qu’on appelle un un effet rebond. »

Effet rebond

Les chercheurs ont observé que si les agriculteurs ont bien repris leurs pratiques habituelles après l’interruption des paiements compensatoires, ils n’ont pas rattrapé leur « retard de déforestation ». « Ce qui signifie que le gain environnemental généré par le programme a été maintenu, donc la forêt a bel et bien été préservée », souligne Gabriela Demarchi.

Un impact bénéfique pour l’Amazonie et des conséquences vertueuses pour le réchauffement climatique, car chaque arbre préservé est autant de gaz à effet de serre en moins. « Si l’on convertit le gain environnemental en gain monétaire sur la base du coût social du carbone, alors nous pouvons estimer que les bénéfices du programme ont été supérieurs à ces coûts et qu’on peut le considérer comme rentable », explique l’économiste.

Rentable mais néanmoins perfectible. Le programme aurait-il été encore plus efficace si le contrat proposé aux agriculteurs avait été plus flexible ? « Là le deal c’était qu’au moindre arbre coupé ils sortaient du programme. On peut imaginer un contrat où couper quelques arbres engendrerait des pénalités sans pour autant mettre fin aux subventions, ce qui permettrait de garder plus de participants dans le programme », détaille Gabriela Demarchi. En poursuivant cette étude, les chercheurs ont mis en place une évaluation de type essai contrôlé randomisé. La première du genre à être réalisée en Amazonie pour tester l’efficacité de l’introduction de la flexibilité dans ce type de programme. Les résultats suggèrent qu’une telle mesure permettrait de préserver davantage de forêt, mais les coûts associés pourraient rendre l’opération peu rentable au final.

Des recherches qui peuvent inciter les décideurs à miser sur ce type de dispositifs, « mais aussi permettre de mieux répartir les sommes investies pour que le programme soit encore plus efficace », souligne la chercheuse qui ambitionne désormais d’étudier cette question à plus grande échelle et sur une période plus longue. « On risque aussi d’avoir ce qu’on appelle un effet de fuite : lorsqu’on arrête de couper à un endroit on coupe davantage ailleurs, il faut donc analyser l’impact de ces programmes à grande échelle ».


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  1. Moisa (Cirad, Inrae, IRD, Institut Agro, Ciheam)
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