L’engouement pour la résilience implique désormais une évolution des paradigmes comptables

L’idée de « résilience » ne remonte pas à 2020. À l’origine, ce terme provient de la science physique et de l’ingénierie et faisait référence à la capacité d’un objet à résister à une perturbation et à encaisser un choc avant de retrouver sa forme initiale.

Quentin Arnaud, Université de Montpellier; Amel Ben Rhouma, Université de Paris; Clément Carn, IAE de Poitiers et Souâd Taïbi, Audencia

Il ne s’agit pas uniquement, pour les entreprises, de savoir faire face à leur environnement…

Depuis peu, le concept se trouve mobilisé dans différents champs disciplinaires : psychologie, géographie, physique ou encore écologie. La crise sanitaire liée au Covid-19 l’a même fortement médiatisé.

Si l’on s’en remet au dictionnaire, la résilience renvoie à la capacité d’une personne à ne pas se laisser abattre. Mais au-delà de cette vision individualiste, elle peut être pensée à une échelle systémique comme le propose le Stockholm Resilience Center :

« La résilience est la capacité d’un système, qu’il s’agisse d’un individu, d’une forêt, d’une ville ou d’une économie, à composer avec un changement et à continuer de se développer. »

Dans un contexte de crise économique a ainsi pu émerger la notion de « résilience organisationnelle », mobilisée pour désigner la capacité d’une entreprise à s’adapter à un environnement en perpétuel changement. Cela correspond désormais à une norme ISO.

L’engouement pour ce concept irrigue l’ensemble de la société. Sa mesure dans des dispositifs comptables mérite cependant d’être questionnée.

Une comptabilité à sens unique ?

La définition donnée de la résilience organisationnelle semble mobiliser l’attention sur les aspects économiques et financiers de la performance. On considère l’entreprise dans ses limites classiques et les ressources environnementales et sociales sont ainsi prises en compte à sens unique.

Cela apparaît, par exemple, lorsque les actionnaires des majors pétrolières exigent des dirigeants une meilleure prise en compte du changement climatique. Il s’agit avant tout de questionner la résilience financière de ces organisations face à l’anthropocène, c’est-à-dire l’ère qui se caractérise par le rôle prépondérant de l’homme dans la modification de son environnement.

C’est dans ce même sens que le G7 a constitué un groupe de travail, la Task force on climate-related financial disclosures (TCFD). Le rapport de ce groupe de travail, rendu en juin 2017, préconise aux organisations de rendre compte des effets qu’aurait le réchauffement climatique sur leurs activités et les stratégies retenues pour en limiter l’influence négative.

Cette vision de l’extérieur vers l’intérieur trouve cependant ses limites. Puisque flexibilité et adaptabilité, dans un environnement dynamique et incertain, sont des qualités clés pour parvenir à la résilience, des entreprises ont intégré leur dépendance à un écosystème multidimensionnel mais ont aussi modifié leurs outils de contrôle pour rendre compte des conséquences de leurs activités sur leur écosystème.

C’est le cas notamment des approches IR et capitals coalition. Elles œuvrent à l’émergence d’une comptabilité multi-capitaux dont l’objet est de piloter l’évolution de la valeur des capitaux dont elle dépend. Ainsi, une connexion entre les concepts de résilience et de responsabilité sociale des entreprises peut-elle être créée.

Changer de cap

Des chercheurs démontrent néanmoins qu’il peut exister une déconnection entre les actions d’une entreprise et sa communication en RSE. Volontairement ou involontairement, les entreprises se concentrent sur des facteurs qui leur semblent fondamentaux, délaissant certains aspects essentiels pour d’autres communautés ou ignorant le caractère connecté et global des systèmes sociaux et environnementaux que la crise actuelle a remis en lumière.

En complément de la vision extérieur-intérieur, les organisations doivent également adopter une vision inverse : intérieur-extérieur. Il semble souhaitable que la comptabilité intègre des indicateurs de la contribution des organisations pour la résilience d’un système traversé par des crises multiples.

L’exercice ne se limite plus à la poursuite de la résilience de l’organisation, mais bien à celle de son système. Ce changement de cap est nécessaire afin que les entreprises puissent faire face aux défis et enjeux de plus en plus importants de l’anthropocène.

Cela s’accompagne d’un changement de paradigme : en intégrant les contraintes du système où elle s’inscrit, l’organisation passe alors d’une comptabilité de sa résilience à une comptabilité pour la résilience du système socio-environnemental.


Cet article a été rédigé par un collectif de chercheurs dans le cadre d’un « speed blogging » collaboratif organisé en marge de la conférence académique en ligne CSEAR France/EMAN Europe 2021. Le speed blogging consistait à écrire dans un temps limité, en collaboratif, un article sur le thème de la conférence « la comptabilité du développement durable dans l’anthropocène ». À l’issue de cet évènement, 3 articles ont été co-écrits par des chercheurs confirmés, juniors et doctorants.The Conversation

Quentin Arnaud, Doctorant en Comptabilité, Université de Montpellier; Amel Ben Rhouma, Maître de conférences en Sciences de gestion, Université de Paris; Clément Carn, ATER en sciences de gestion, IAE de Poitiers et Souâd Taïbi, Enseignante-chercheur en comptabilité du développement durable, Audencia

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.