Les chauves-souris victimes de calomnie

Dans un article scientifique novateur publié dans Biology Letters, une équipe internationale de biologistes, de virologues et de défenseurs de l’environnement dont Sébastien Puechmaille de l’Institut des sciences de l’environnement de Montpellier (Isem), remet en question l’idée reçue selon laquelle les chauves-souris, en particulier celles d’Afrique, seraient à l’origine d’une myriade de virus nocifs pour l’homme. Contrairement à ce que l’on croit généralement, cet examen approfondi des études publiées n’apporte que peu de preuves substantielles, en dehors des virus de Marburg et de Sosuga, que les espèces de chauves-souris africaines servent de réservoirs ou d’hôtes intermédiaires pour les virus qui se propagent à l’homme et provoquent des maladies graves.

© Sébastien J. Puechmaille. Phyllorine en vol à l’entrée d’une grotte

La communauté scientifique et le public ont souvent été confrontés à des représentations de chauves-souris comme porteuses de nombreux virus dangereux transmis aux humains. Cependant, l’équipe de recherche, dirigée par Natalie Weber, a procédé à un examen exhaustif et critique de la littérature disponible, en se concentrant spécifiquement sur les virus détectés chez les chauves-souris en Afrique. Ils ont méticuleusement examiné 162 articles publiés entre 1978 et 2020 et, sur la base de données provenant de plus de 80 000 individus appartenant à plus de 167 espèces de chauves-souris, aucune preuve substantielle n’a été trouvée quant à une espèce de chauve-souris autre que la roussette d’Égypte jouant un rôle central dans la transmission de virus à l’homme dans cette région.

L’objectif de notre étude était de fournir une évaluation équilibrée et fondée sur des preuves des connaissances disponibles concernant les virus des chauves-souris et leur pertinence pour la transmission des virus des chauves-souris à l’homme en Afrique. Après un examen et une analyse méticuleux, nous n’avons trouvé aucune preuve convaincante pour étayer l’idée dominante selon laquelle les chauves-souris abritent un grand nombre de virus qui sont transmis à l’homme. Au contraire, nos résultats ne révèlent que deux systèmes chauve-souris-virus dans lesquels la transmission est clairement documentée“, déclare Natalie Weber.

Approche plus nuancée

Les chercheurs ont systématiquement évalué les données disponibles et déterminé quelles espèces de chauves-souris ont été échantillonnées, à quelle fréquence et dans quel pays, si elles ont été échantillonnées de manière létale ou non, quelles métadonnées ont été collectées et quels virus ont été détectés avec quelle méthodologie. Les résultats de ces analyses interpellent non seulement la communauté scientifique, mais également la perception qu’a le grand public des chauves-souris, en soulignant l’importance d’une compréhension fondée sur des preuves. DeeAnn Reeder, coauteur de l’étude, note que “les résultats soulignent la nécessité d’une approche plus nuancée et mieux informée du discours public sur le rôle de la faune sauvage dans l’émergence des maladies“. Les auteurs proposent donc un schéma pour faciliter l’évaluation standardisée des hôtes de virus à l’avenir et appellent à une plus grande collaboration interdisciplinaire dans les études sur les chauves-souris et les virus.

Cet examen a également révélé que les erreurs d’identification des chauves-souris et les assignations d’espèces obsolètes étaient courantes dans les études publiées sur les virus. Pourtant, l’identification des espèces est d’une grande importance pour les enquêtes de suivi, en particulier lorsqu’il est établi qu’une chauve-souris particulière est l’hôte d’un virus d’intérêt. En outre, les chauves-souris sont souvent considérées comme une entité unique, mais il est crucial de reconnaître la diversité substantielle au sein de ce groupe, qui s’est diversifié au cours de dizaines de millions d’années ; l’Afrique à elle seule n’abrite pas moins de 324 espèces de chauves-souris différentes.

Lors de l’examen de la relation entre les espèces de chauves-souris et les virus, la précision du langage est vitale. Au lieu d’affirmer de manière générale que “les chauves-souris hébergent le virus de Marburg”, il est plus exact de préciser que “la roussette d’Égypte, une espèce spécifique de chauve-souris, héberge le virus de Marburg”. Cette approche succincte préserve la précision et évite d’associer à tort toutes les espèces de chauves-souris au virus de Marbourg“, explique Sébastien Puechmaille, coauteur de l’étude et chercheur à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier.

Une communication prudente

Alors que les maladies infectieuses émergentes continuent de susciter des inquiétudes au niveau mondial, les chercheurs espèrent que leurs travaux contribueront à une meilleure compréhension de la dynamique complexe entre la faune sauvage, en particulier les chauves-souris, et la santé humaine. Leur étude soulève également des inquiétudes quant à l’impact de la communication réitérée de la recherche liant les chauves-souris aux virus, basée sur des preuves manquantes, sur la perception du public des chauves-souris, ainsi que sur les conflits entre l’homme et les chauves-souris et sur les efforts de conservation des chauves-souris.

La peur et la persécution active des chauves-souris augmentent considérablement et il est probable que les populations diminuent dans toute l’Afrique. Une communication prudente et scientifiquement fondée des résultats ainsi qu’un équilibre entre les risques potentiels et les avantages seront essentiels à atteindre pour permettre aux humains et aux chauves-souris de vivre côte à côte dans notre monde changeant“, déclare Dina Dechmann, coauteur de l’étude. Les implications de cette recherche s’étendent au-delà de l’Afrique, encourageant une approche plus réfléchie et basée sur des preuves pour l’étude des maladies zoonotiques dans le monde entier.