Montpellier pionnière de l’écologie parasitaire

Pour mieux gérer les effets des parasites sur la santé humaine, il faut comprendre comment ils s’inscrivent dans leur écosystème. C’est l’objet de l’écologie parasitaire, une discipline née à l’Université de Montpellier avec les travaux de Louis Euzet.
C’est un bien étrange organisme vivant. Qui utilise un autre organisme vivant, appelé hôte, comme habitat et comme source d’énergie. Le parasite peut être responsable de maladies humaines parfois graves : le paludisme, la bilharziose, la dengue ou encore le chikungunya. Pour maîtriser ces maladies, les médecins ne peuvent pas se passer de l’apport des chercheurs en écologie parasitaire. Leur travail : « comprendre comment les parasites circulent dans les écosystèmes, décrypter leurs relations avec leurs hôtes ainsi que les paramètres qui les font évoluer », explique Catherine Moulia, enseignante chercheuse à l’Institut des sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM).
Si des chercheurs du monde entier pratiquent aujourd’hui cette discipline, elle doit beaucoup aux travaux du professeur Louis Euzet qui a dirigé le laboratoire de parasitologie comparée à l’Université Montpellier 2 de 1969 à 1990. Père de « l’école montpelliéraine de parasitologie », il compte avec Claude Combes, son élève, parmi les précurseurs de cette écologie parasitaire dont l’un des objectifs est de comprendre les aspects évolutifs des interactions entre hôtes et parasites. « Nos équipes montpelliéraines, ISEM, MIVEGEC… sont les héritières de cette école Euzet-Combes », souligne Catherine Moulia.

Quand le parasite prend les commandes

Les élèves du laboratoire de Louis Euzet ont ainsi été parmi les premiers à montrer que les parasites pouvaient modifier le comportement de leur hôte pour augmenter leur chance d’être transmis à un autre hôte. « C’est ce qu’on appelle le phénomène de favorisation », explique Alain Lambert, ancien enseignant chercheur aujourd’hui retraité qui a fait sa carrière à l’UM2 avec Louis Euzet. Exemple : la petite douve du foie. Au cours de son cycle biologique, la petite douve parasite d’abord une fourmi. Pour continuer son cycle et devenir adulte elle doit ensuite parasiter un mouton.
Problème : comment passer de l’un à l’autre sachant que les moutons ne sont pas particulièrement friands de fourmis ? La douve du foie a trouvé une réponse fascinante : elle modifie le comportement de la fourmi qui au lieu de vaquer autour de la fourmilière avec ses congénères va se jucher au sommet d’un brin d’herbe pour augmenter ses chances de se faire manger par un mouton qui brouterait par là. « Le parasite prend le contrôle du cerveau de son hôte », résume Alain Lambert. « Combes a montré que toute une partie de la chaîne alimentaire est contrôlée par les parasites, précise Laurent Gavotte, enseignant chercheur à l’ISEM. C’est une donnée-clé dans la gestion des populations et des écosystèmes ».

Couper la transmission entre l’hôte et le parasite

Et lorsqu’il s’agit de lutter contre les maladies humaines, la connaissance la plus fine possible du mode de vie du parasite et de ses interactions avec son hôte est capitale. Les chercheurs ont ainsi réussi à limiter la transmission de la bilharziose, maladie tropicale qui a longtemps sévi en Guadeloupe. « Il ne s’agit pas d’éradiquer le schistosome, parasite responsable de cette maladie, mais de mettre en œuvre des mesures sanitaires pour éviter que les gens ne soient en contact avec les eaux où vivent ces parasites », explique Catherine Moulia. « Cela revient à couper la transmission entre l’hôte et le parasite ». De la même façon, le paludisme qui sévissait en France — et dans l’Hérault en particulier — a été éradiqué après-guerre. Comment ? « En procédant à l’assainissement des gîtes larvaires et en généralisant l’utilisation de la quinine », explique Alain Lambert.
Mais la disparition d’un parasite n’est parfois pas sans conséquence sur son hôte. « Il y a des zones en Afrique où sévissent à la fois des vers intestinaux et une forme neurologique grave de paludisme. On s’est aperçu que les enfants qui avaient reçu des soins pour éliminer ces vers attrapaient beaucoup plus fréquemment le neuropaludisme, qui est beaucoup plus dangereux », explique Laurent Gavotte. Il est donc vital de comprendre les interactions croisées entre parasites pour soigner au mieux les pathologies qui en découlent.

Trouver des solutions environnementales

« L’apport des scientifiques non médicaux est capital pour comprendre ces interactions », souligne Catherine Moulia. Des chercheurs de plus en plus sollicités par les médecins, qui ont besoin d’avoir une vision plus globale de la situation. « Il faut avoir une approche multifactorielle qui implique de comprendre chaque système et chaque contexte environnemental », précise Alain Lambert. « Et tenir compte des dynamiques globales changeantes », complète Laurent Gavotte. Ce fut là l’un des apports fondamentaux de Louis Euzet : dépasser le cadre médical pour apporter une vision plus large. Aujourd’hui les chercheurs en écologie parasitaire s’attachent à trouver des solutions environnementales durables. « On n’éradique jamais totalement un parasite, explique Catherine Moulia, on essaye de le maintenir à un taux supportable pour limiter l’impact, notamment économique, des maladies qui y sont associées ». Un travail sans fin dans un environnement en changement perpétuel. L’écologie parasitaire et sa fille l’épidémiologie ont de beaux jours devant elles…