Pêche et changement climatique : quels impacts sur la séquestration du carbone dans l’océan ?

Une équipe internationale menée par des chercheurs de l’Université de Montpellier, du CNRS, de la World Maritime University (WMU) et de l’Université de Californie a quantifié l’impact passé, présent et futur de la pêche et du changement climatique sur la capacité des espèces d’intérêt commercial (poissons et autres macro-invertébrés) à séquestrer du carbone au fond de l’océan. Leurs résultats, publiés dans la revue Nature Communications, montrent que le changement climatique entraînerait une réduction de la séquestration de carbone par les espèces commerciales de 13,5% d’ici la fin du siècle. En revanche, l’impact du changement climatique reste bien plus faible que celui de la pêche, qui a déjà diminué cette séquestration de 47% par rapport à 1950. Ces travaux appellent donc à une gestion plus durable de l’océan, qui prend en compte l’impact que peut avoir la pêche sur la séquestration de carbone.

Et si la macrofaune marine pouvait aider à piéger plus de carbone ?

Les Solutions Naturelles pour le Climat (SNC) ont l’avantage de faire d’une pierre deux coups : limiter le changement climatique tout en luttant contre l’érosion de la biodiversité, grâce à la restauration, la protection ou la meilleure gestion d’écosystèmes tels que les forêts. Mais à l’heure où les forêts brûlent, la communauté scientifique se tourne peu à peu vers l’océan pour trouver de nouvelles SNC. Dans leur rapport conjoint de 2021, les experts du GIEC et de l’IPBES suggèrent que notre façon de gérer les ressources alimentaires que l’océan nous fournit doit évoluer de façon à nous aider à lutter contre le changement climatique. Mais quel est le lien entre un océan riche en biodiversité, la pêche, le changement et la séquestration de carbone ? Ce sont les questions auxquelles cette nouvelle étude tente de répondre.

Comment la macrofaune marine séquestre-t-elle du carbone ?

Le rôle des poissons et macro-invertébrés (macrofaune) est loin d’être négligeable étant donné qu’ils sont responsables de 30% du carbone piégé par l’ensemble des organismes marins. Leur alimentation, composée de carbone, est en partie accumulée dans leur chair, ou expulsée via des pelotes fécales. C’est quand la macrofaune va produire des pelotes fécales, mourir de maladie ou de vieillesse, que le carbone contenu dans celles-ci va couler dans les profondeurs océaniques, piégeant, par la même occasion, le carbone qu’elles contiennent. Ainsi, l’étude montre qu’en 1950, avant l’émergence des effets combinés de la pêche et du changement climatique, la macrofaune d’intérêt commercial avait la capacité de piéger 0,23 milliard de tonnes de carbone par an, dont 90% via les pelotes fécales.

L’impact historique de la pêche

Aujourd’hui, cette macrofaune d’intérêt commercial ne piège plus que 0,12 milliards de tonnes carbone par an, soit -47% par rapport aux années 1950. « A chaque fois que la pêche diminue la biomasse des espèces commerciales de 1%, la séquestration de carbone va diminuer de 0,8% », précisent les auteurs de l’étude. La pêche impacte plus fortement la séquestration de carbone via la chute des carcasses comparée à la séquestration via la chute des pelotes fécales. « Ceci est lié au fait que la pêche cible les plus gros organismes, soit ceux qui sont les plus susceptibles de mourir de vieillesse. Outre les impacts que cela peut avoir sur la séquestration de carbone, cette diminution de l’arrivée de carcasses sur le fond de l’océan est aussi synonyme de diminution de l’arrivée de nourriture dans les abysses, les carcasses étant un mets de choix pour les organismes qui y vivent. Ainsi, nous sommes peut-être en train d’affamer un tas d’organismes abyssaux que nous connaissons à peine », concluent-ils.

Impact du changement climatique : le serpent qui se mord la queue

Plus le changement climatique s’aggrave, plus la capacité des espèces commerciales à séquestrer du carbone sera faible, ce qui accentue le réchauffement. Si l’Accord de Paris est respecté (+1,5°C), la séquestration baissera de 4% d’ici 2100, mais jusqu’à 13,5% si la température augmente de +4,3°C. Pour chaque degré de réchauffement, une réduction de 2,46% est attendue. Ainsi, pêche et climat combinés pourraient réduire la séquestration de 56% d’ici 2100 par rapport à 1950.

Une nouvelle solution naturelle pour le climat ?

L’étude quantifie pour la première fois les bénéfices d’une restauration des populations de poissons et macro-invertébrés : jusqu’à 0,4 milliard de tonnes de CO2 séquestrées par an, soit un potentiel comparable à celui des mangroves. Sur plusieurs décennies, cela représenterait 240 milliards de tonnes de CO2, soit l’équivalent de six années d’émissions humaines. Les SNC liées à la restauration des populations des espèces commerciales semblent donc être une piste intéressante, mais leur contribution au respect des objectifs climatiques restera minime si ces mesures ne sont pas considérées complémentaires à une réduction drastique et immédiate des émissions de gaz à effet de serre. Les chercheurs soulignent aussi de nombreuses incertitudes autour de ce champ de recherche qui est nouveau. « Par exemple, l’effet de la restauration des espèces commerciales sur leurs proies, elles aussi impliquées dans la séquestration, reste inconnu. S’il est difficile de conclure à une nouvelle SNC, nos résultats illustrent néanmoins l’importance de gérer plus durablement l’océan pour éviter l’anéantissement d’un puits de carbone dont la protection pourrait apporter des bénéfices pour la biodiversité et le climat », concluent-ils.   

Informations pratiques :

  • Date de publication : 27 octobre 2025
  • L’article complet : ici