Si les plantes ne nous nourrissaient plus ?

« Mangez cinq fruits et légumes par jour. » Un slogan qui pourrait bien devenir has been dans les années à venir. En cause ? La dégradation, par la hausse de la concentration du CO2 dans l’atmosphère, de la qualité nutritionnelle des plantes. Un phénomène encore mal compris sur lequel s’apprêtent à plancher les chercheurs du laboratoire montpelliérain de biochimie et physiologie moléculaire des plantes.

« Dans 50 ans l’augmentation de la teneur en CO2, que l’on ne maîtrise plus maintenant, va probablement stimuler sensiblement la production agricole mais ces productions seront d’une qualité nutritive moindre. » C’est le constat alarmant que partage Alain Gojon, chercheur au laboratoire de biochimie et physiologie moléculaire des plantes.

Un défi alimentaire mondial

Tout avait pourtant bien commencé. Pour une fois, la hausse de la concentration de CO2 dans l’atmosphère provoquée par l’activité humaine et responsable, entre autres, du réchauffement climatique, avait une conséquence positive. Elle stimulait la croissance de très nombreuses espèces de plantes en boostant leur photosynthèse. « La photosynthèse, explique Alain Gojon, c’est la capacité des plantes à faire des sucres avec le CO2, la lumière et l’eau. C’est la base de la chaîne alimentaire de la vie. »

Dès les années 90, les chercheurs y voient un double espoir, celui de stimuler la production alimentaire mondiale tout en piégeant le CO2 en excès. « C’est une des solutions possibles au défi alimentaire auquel la planète est confrontée, reprend Alain Gojon. Nous serons 9 milliards d’habitants en 2050, plus de 10 milliards avant la fin du siècle. Il va falloir nourrir tout le monde. » Les premiers calculs effectués sur la base des projections d’augmentation du CO2 tablent sur une hausse de la production agricole de 40 %. Une manne.

Moins de minéraux mais plus de sucre

Plus de 2600 expériences ont été réalisées pour tester cette prédiction. Ces dernières appelées FACE pour free air CO2 enrichment, consistent à reproduire une bulle artificielle de CO2 sur des cultures en plein champ grâce à un système de buses injectant en continu du gaz carbonique. Des centaines d’espèces végétales dont le blé, la tomate, le riz, la pomme de terre ou encore les haricots ont été testées partout dans le monde. « Les premières publications sortent dès 1998, mais c’est seulement depuis 3 ou 4 ans que nous avons des synthèses de toutes ces expériences. » Avec à la clé, deux conclusions.

D’abord le gain de productivité agricole, bien moindre finalement que ne l’avaient espéré les chercheurs. « Nous sommes plus autour de 10 % que de 40 % », précise Alain Gojon. La seconde, inattendue, est la perte significative des éléments minéraux et des protéines contenus dans ces plantes cultivées sous CO2 : « La perte d’azote, qui est un constituant majeur des protéines, est d’environ 15 %. Pour les minéraux comme le phosphore, le potassium, le calcium, le magnésium ou le fer, on est à moins 10 %. »
Des études récentes effectuées sur des variétés de riz rapportent même une perte en vitamines pouvant aller jusqu’à 40 %. On y trouve par contre plus de sucre puisque la teneur en carbone est augmentée.

Des conséquences graves sur la santé

D’ici cinquante ans, les plantes de consommation courante pourraient donc être plus riches énergétiquement mais plus pauvres en éléments nutritionnels essentiels avec potentiellement des conséquences graves sur la population humaine.
« Une étude récente indique qu’à l’échelle mondiale, 120 millions de personnes supplémentaires souffriront d’une carence en protéines et c’est un milliard et demi de femmes et d’enfants supplémentaires qui souffriront d’anémie aggravée à cause du manque de fer. » Encore une fois c’est le Sud qui payera le prix fort. « Au Nord, poursuit le chercheur, le déséquilibre nutritionnel pourrait se traduire par une hausse de l’obésité et du surpoids en raison de l’augmentation de la teneur en sucre des plantes. » Pour mieux cerner ce phénomène, le laboratoire QualiSud procèdera à une analyse des modifications de la qualité nutritionnelle des aliments produits sous fort CO2 afin d’en mesurer l’impact sur la santé humaine.

Un processus qui pourrait déjà être enclenché puisqu’en comparant des plantes sauvages contemporaines avec des échantillons prélevés sur des herbiers datant de l’ère pré-industrielle, des chercheurs constatent que pour les mêmes espèces, la teneur en éléments minéraux est déjà inférieure. « Le problème, poursuit Alain Gojon, c’est que rien dans ce qu’on connaît actuellement de la physiologie de la nutrition minérale des plantes ne nous permet d’expliquer ça. » Et c’est bien l’enjeu des recherches qui débuteront à Montpellier dès janvier 2019.

Deux hypothèses

« La première hypothèse est que, pour une raison qu’on ne comprend pas, l’augmentation du CO2 affecte le fonctionnement des plantes qui sont alors moins efficaces pour prélever les éléments minéraux dans le sol. » La seconde sur laquelle travaillera le laboratoire Eco&Sol de Montpellier en association avec l’équipe d’Alain Gojon est que « le CO2 pourrait avoir un effet sur le fonctionnement des cycles biogéochimiques des éléments dans le sol. L’idée c’est que les plantes fonctionnent peut-être toujours aussi bien mais qu’il y a moins d’éléments minéraux disponibles pour elles dans le sol ».

En vérifiant ces hypothèses les chercheurs espèrent bien sûr comprendre ce mécanisme mais peut-être aussi, trouver des solutions à cette future crise. « Grâce aux dispositifs uniques dont dispose l’Ecotron de Montpellier, nous allons utiliser 140 lignées de plantes et essayer d’identifier quels sont les déterminants génétiques de l’impact négatif du CO2 élevé sur la qualité nutritionnelle des plantes. »
Avec l’espoir peut-être de produire des variétés de plantes moins impactées par l’augmentation du CO2.