Un stratège nommé Zika

Quel est le point commun entre Ulysse, et le virus Zika ? La ruse ! Tel le héros de l’Odyssée, Zika utilise la stratégie dite du « cheval de Troie » pour tromper et assaillir le cerveau de son hôte. Un mythe version éprouvette, dévoilé par l’Institut de recherche en infectiologie de Montpellier et publié dans la revue Nature Communications.

Le cerveau est une forteresse que le corps humain s’emploie à défendre de toute intrusion extérieure grâce à ce que l’on appelle la barrière hémato-encéphalique. Celle-ci est composée d’une armée de cellules « reliées entre elles par des jonctions extrêmement serrées au point que même l’eau ou le sang ne passe pas, décrit Raphaël Gaudin, virologue à l’Institut de recherche en infectiologie de Montpellier. Et un virus, c’est quand même beaucoup plus gros qu’une molécule d’eau ! ».

Cheval de Troie

Et pourtant, force est de constater que certains d’entre eux ne se gênent pas pour envahir nos boîtes crâniennes. Parmi ses conquérants indésirables on trouve le virus Zika. « Ce processus de transmigration de Zika vers le cerveau avait déjà été observé mais son mode opératoire restait un mystère pour les chercheurs » explique le biologiste. Si la stratégie du cheval de Troie est connue des virologues depuis les années 80, Raphaël Gaudin et son équipe ont été les premiers à tester ce scénario in vivo sur Zika et un sous-type de globules blancs appelés monocytes.

Deux types d’expériences ont ainsi été menées. Des monocytes humains infectés par le virus Zika ont d’abord été injectés chez des embryons de poissons-zèbre, un modèle animal populaire en biologie pour sa quasi-transparence. « Nous avons utilisé une lignée de poissons modifiée génétiquement pour que les cellules de leurs vaisseaux sanguins expriment la GFP, autrement dit pour qu’elles deviennent vertes et nous avons suivi, en temps réel et en 3D, le parcours du virus dans les vaisseaux du poisson ». Les chercheurs ont ainsi pu observer une accélération de la transmigration des monocytes infectés vers le cerveau par rapport aux globules sains.

Talon d’Achille

La poursuite de cette filature s’est effectuée in vitro. L’équipe de Raphaël Gaudin a collaboré avec un laboratoire hollandais spécialisé dans la création d’organoïdes cérébraux, des « mini-cerveaux » produits à partir de cellules souches embryonnaires. « Ces organoïdes ont été placés sous une barrière de cellules hémato-encéphaliques par dessus laquelle nous avons introduit des monocytes infectés, des monocytes sains et du virus libre ». Encore une fois, les chercheurs ont constaté une plus grande dissémination du virus dans le cerveau par les monocytes infectés.

Une découverte prometteuse qui pourrait bien devenir le talon d’Achille de Zika et ouvrir la voie à de nouvelles applications thérapeutiques pour combattre le virus, car si ce dernier s’avère asymptomatique chez l’adulte dans 85 % des cas, il peut très rarement être à l’origine du syndrome de Guillain-Barré voire d’encéphalites sévères. « Plus récemment une étude a indiqué que le virus pourrait être responsable, chez le singe, de certaines altérations des connexions cérébrales impliquées dans les comportements émotionnels et sexuels » ajoute le chercheur.

Un fil d’Ariane contre le cancer ?

L’équipe de Raphaël Gaudin s’attache désormais à comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’infection du monocyte par Zika. Les chercheurs ont en effet constaté que le virus agissait à l’intérieur du globule blanc pour modifier les molécules responsables de l’adhésion. « Lorsqu’on observe la façon dont un monocyte sain et un monocyte infecté adhèrent aux cellules des vaisseaux sanguins dans lesquels ils veulent migrer, on constate que le monocyte infecté s’étale beaucoup plus. Cela implique énormément de choses ! »

Comprendre ce phénomène pourrait permettre non seulement d’inhiber la migration des monocytes infectés, mais, au-delà de Zika, de « provoquer des migrations de monocytes lorsque cela est nécessaire s’enthousiasme Raphaël Gaudin. Mieux : nous pourrions comprendre et peut-être agir sur le phénomène de migration des métastases ! ». L’étude de Zika deviendrait alors, un nouveau fil d’Ariane dans la lutte contre le cancer.

Zika loin du mythe…

Le virus Zika a été découvert dans la forêt Zika en Ouganda en 1947. C’est entre 2015 et 2016 qu’il se fait connaître du grand public en provoquant une très grande épidémie dans plusieurs états du nord-est du Brésil. Le virus se contracte essentiellement par la piqûre de moustique type Aedes ou par transmission sexuelle et transfusion sanguine. Si les symptômes liés à Zika sont généralement sans gravité pour l’homme adulte, sa transmission de la femme enceinte au fœtus peut entraîner chez le nouveau-né des malformations cérébrales sévères dont la microcéphalie. En 2019, l’OMS rappelait que 87 pays sont encore impactés par Zika. En France la même année, les deux premiers cas de contaminations autochtones sont apparus dans le Var.