Coups de chaud sur les forêts froides

Alors que les grands feux ont ravagé ces dernières années des millions
d’hectares de forêts boréales, les scientifiques s’interrogent sur l’évolution
de ces écosystèmes sous l’effet du réchauffement climatique. Sachant que
l’évolution de ce gigantesque puits de carbone naturel aura des répercussions
sur le système climatique terrestre.

© edb3_16- stock.adobe.com

Les grands feux ne datent pas d’hier. Depuis des millénaires, ces incendies remplissent des fonctions essentielles dans les forêts boréales, en favorisant la régénération des arbres et le cycle des nutriments. Mais au cours de la dernière décennie, leur ampleur et leur fréquence se sont accrues. Au Canada, plusieurs millions d’hectares de forêt boréale ont brûlé dans les Territoires du Nord-Ouest en 2014, puis en Colombie-Britannique en 2017 et 2018. En 2023, le pays enregistre un nouveau record avec plus de 18 millions d’hectares partis en fumée. Des incendies record ravagent aussi les forêts boréales de Sibérie. Au cours de l’été 2021, plus de 18 millions d’hectares de taïga ont ainsi brûlé brûlé (Les forêts froides brûlent, 22/07/2021, Université de Montpellier). Ces méga-feux affectent la santé de la forêt boréale dans l’ensemble de l’hémisphère Nord et augmentent les émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Les scientifiques cherchent à anticiper l’évolution de ces écosystèmes boréaux sous l’effet du réchauffement climatique.

Regarder dans les archives terrestres

« Les forêts froides représentent un tiers de la forêt mondiale. L’avenir de cet énorme réservoir de carbone, accumulé principalement dans des tourbières plurimillénaires, aura des répercussions sur l’équilibre climatique de la planète », souligne Adam Ahmed Ali, de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (ISEM)1. Le chercheur en paléoécologie a rejoint le réseau international Forêts froides, basé à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. La paléoécologie permet de regarder dans les archives terrestres comment, à travers les millénaires, le climat a influencé ces écosystèmes. En regardant dans les sédiments au fond des grands lacs du Québec boréal, Adam Ahmed Ali et son équipe ont mesuré la quantité de charbon de bois pour chaque période climatique de l’holocène. Et ses résultats – publiés dans la revue PNAS en 2012 – sont contre-intuitifs.

« On aurait pu s’attendre à trouver des grands feux, surtout pendant l’optimum climatique de l’holocène, il y a 6 000 ans, quand le climat était plus chaud et plus sec qu’aujourd’hui (+2 °C). Or, ils se concentrent au contraire pendant la période « froide et humide » de l’holocène, c’est-à-dire en – 4 000, durant le néoglaciaire », raconte le chercheur. Cette configuration s’expliquerait par des épisodes récurrents de sècheresses exceptionnelles printanières et estivales aux alentours de l’an 1 000, durant le réchauffement médiéval. L’augmentation de l’occurrence des grands feux de forêt durant ce redoux climatique a été enregistrée à divers endroits de la forêt boréale du Canada. « Ces données montrent que les processus qui contrôlent le régime des feux, notamment les grands feux de forêt, sont complexes. Est-ce que l’année 2023 préfigure des conditions semblables à celles enregistrées durant l’anomalie du réchauffement médiévale ? »

Le paradoxe de l’œuf et de la poule

Beaucoup d’incertitudes demeurent avant de confirmer un tel scénario. D’abord parce que la rapidité du réchauffement est inédite et qu’une « augmentation de 3 à 4 °C en moyenne des températures annuelles, comme le suggèrent certaines prédictions, n’a jamais été enregistrée dans les archives sédimentaires de l’holocène », explique Adam Ahmed Ali. Par ailleurs, l’évolution des précipitations est incertaine (Le climat a déterminé le cycle des incendies et les humains ont influencé la fréquence des incendies). Les modèles de climat n’arrivent pas à prévoir si les régions boréales seront plus ou moins arrosées qu’aujourd’hui. Plus largement, les climatologues ont encore plus de questions que de réponses sur le climat à venir de l’ère anthropocène, comme la fréquence et l’ampleur des évènements extrêmes, ou l’évolution des courants océaniques qui sont des régulateurs puissants du climat.

Autre donnée intéressante à prendre en compte, selon le chercheur, l’augmentation des conifères inflammables comme l’épinette noire (Picea mariana) et le pin gris (Pinus banksiana), durant la période froide du néoglaciaire (Une histoire de 8500 ans d’interactions climat-feu-végétation dans le domaine bioclimatique de l’épinette noire et de la mousse de l’Est des Maritimes). Est-ce le climat qui a changé la végétation qui, par la suite, a changé le régime des feux, ou bien est-ce le régime des feux qui a changé la végétation ? « Le fameux paradoxe de l’œuf et de la poule », résume Adam Ahmed Ali. La nature des essences est en effet une question cruciale pour comprendre l’évolution des feux. En particulier la proportion de feuillus qui composent la forêt boréale, car ils sont moins sensibles aux incendies. Or, le réchauffement va permettre la migration des feuillus de la forêt tempérée vers la forêt boréale et devrait donc favoriser la diminution des feux de forêts. Si ces éléments montrent la difficulté d’anticiper leur ampleur à long terme, les scientifiques sont unanimes pour dire que les grands feux vont être plus fréquents dans les décennies à venir.


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  1. Isem (CNRS, UM, IRD)
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