Crapauds, poissons et vers nématodes, la drôle de ménagerie de la station spatiale

On les appelle les « organismes modèles » : mouches, souris, poissons-zèbre, grenouilles ou vers nématodes, autant d’animaux qui sont utilisés par les chercheurs pour des expérimentations, notamment en raison de la simplicité de leurs organisations biologiques par rapport à celles des humains.

Simon Galas, Université de Montpellier

Un aquarium pour héberger les poissons Medaka dans la station spatiale.- Nasa

C’est crucial pour la biologie fondamentale et les études en santé humaine, et cela peut se faire sur Terre mais aussi dans l’espace. Témoin, la toute récente mission NASA « Worm in space », lancée en décembre 2018, qui a envoyé dans l’espace 360 000 vers ronds Caenorhabditis elegans !

L’expérimentation animale dans l’espace n’est pas chose nouvelle. Un recensement des missions conduites par la NASA depuis 1965 jusqu’à 2011 fait état de pas moins de 382 expériences conduites sur diverses plateformes : capsule Gemini, satellites d’expérimentations biologiques, navettes de la NASA, plateforme NASA/MIR et plus récemment, au sein de la station spatiale internationale ISS, en orbite basse terrestre depuis les années 2000.

Il s’agit de mieux comprendre les effets de l’environnement spatial sur les systèmes vivants, et sur l’humain en particulier. Les astronautes, en effet, subissent des changements physiologiques progressifs qui s’accentuent au fur et à mesure de leur séjour. Ils peuvent se traduire par un risque augmenté de plusieurs pathologies : entre autres, des fractures, une déficience visuelle, une pression intra-crânienne, de l’anémie, de l’atrophie musculaire, un syndrome d’irradiation aiguë ou une altération du système immunitaire. L’utilisation d’organismes modèles soumis aux mêmes contraintes que les astronautes permet notamment de prévenir l’émergence de ces problèmes.

Quatre astronautes dans la station spatiale.
NASA

Des organismes modèles ont également été utilisés très tôt dans des missions spatiales pour définir les comportements fondamentaux du vivant. Un exemple : comment la force gravitationnelle de la terre peut-elle influencer les organismes vivants et leur développement depuis la fécondation ? Répondre à cette question a nécessité de nombreux organismes modèles (plantes, insectes, poissons, batraciens, petits mammifères) et pas moins d’une cinquantaine d’expériences menées dans l’espace.

Un crapaud fertile

Dès 1965, des œufs de grenouille et des larves de la mouche du vinaigre ou Drosophile (Drosophila melanogaster) embarqués avec la mission Gemini révélaient un développement normal en absence de gravité. Le développement embryonnaire a été également testé dans l’espace au cours d’une expérience célèbre de 1992 (frog embryology experiment, Space Shuttle Spacelab Japan mission STS47) réalisée avec un crapaud dénommé Xénope (Xenopus laevis) et qui a montré que la gravité terrestre n’était pas requise pour l’ovulation, la fertilisation, le développement embryonnaire ou la formation de têtards capables de nager.

Cage à rats pour les expérimentations spatiales.
NASA

Des expériences sur d’autres modèles ont démontré que les processus les plus importants de la reproduction et du développement étaient indépendants du degré de la force gravitationnelle. L’une d’entre elles, réalisée en 1979 au cours de la mission russe Cosmos 1129 a démontré la capacité de rates gestantes a mener des grossesses normales. Toutefois, des expériences ultérieures sur des tout jeunes rats ont révélé des déficits sensori-moteurs et démontré des réductions de croissance de neurones moteurs indiquant ainsi l’existence d’une période de sensibilité à la force gravitationnelle du système sensori-moteur au cours du développement post-embryonnaire.

Des expériences très importantes ont également été réalisées dans le domaine de la microbiologie et de l’infectiologie. Lorsque l’on connaît l’importance croissance accordée à notre microbiome, dont le poids avoisine les 2 kg, on se sent très vite concernés par les éventuelles modifications qui pourraient advenir à nos commensaux microbiens dans l’espace !

Virulences dans l’espace

En 2006 et 2007, des bactéries comme Salmonella enterica typhimurium (agent infectieux de la salmonellose), Pseudomonas aeruginosa (infections nosocomiales), Candida albicans (champignon responsable de la candidose) ou encore Streptococcus pneumoniae (responsable des pneumonies) envoyées dans l’espace ont révélé l’apparition de virulences que n’avaient pas développées les cultures témoins sur Terre. L’analyse de ces bactéries a révélé qu’elles devaient l’apparition de leur virulence dans l’espace à un gène unique (Hfq), démontrant de facto l’intérêt immédiat de cette découverte pour préparer les astronautes à leur voyage mais également pour mieux connaître ces agents bactériens infectieux de plus en plus résistants aux traitements et responsables de nombreux morts chaque année sur Terre.

Une salmonelle. Un séjour dans l’espace la rend plus dangereuse.
Wikipedia

Autre sujet important : les muscles des astronautes évoluent rapidement dans l’espace sous l’effet de la microgravité. Des expériences d’évaluation de l’évolution musculaire de rats dans l’espace ont été conduites dès 1965 par la NASA. Ces expériences ont démontré une diminution rapide de la force de contraction musculaire, une augmentation de la vitesse de contraction musculaire (vélocité), une diminution de la résistance avec une augmentation de la fatigue musculaire et un raccourcissement de la longueur des fibres musculaires. Ce dernier phénomène a été associé chez le rat comme chez l’humain à la posture fœtale adoptée dans l’espace qui entraîne une lente atrophie des muscles.

Les modifications de la physiologie musculaire observées chez les rats au cours de vols spatiaux ont été vérifiées chez l’humain et ont permis de définir tout un ensemble d’exercices (marche et footing sur tapis de course) à réaliser obligatoirement tous les jours pendant 2h30 par les astronautes afin de ralentir ces évolutions qui affectent les muscles, parfois très rapidement, au début du séjour spatial.

La liste ci-dessous donne des exemples d’observations réalisées sur les organismes modèles au cours de missions spatiales en relation avec la santé humaine :

  • Poulet, gecko, caille, souris, rat pour des observations sur la physiologie des os dans l’espace ;
  • Mouche du vinaigre (Drosophile), cellules humaines en cultures, souris, rat pour des observations sur les réactions du système immunitaire vis-à-vis de la microgravité ;
  • Bactéries, champignons, cellules humaines en culture, levure pour des observations sur la croissance des microbes et leur virulence ;
  • Poulet, souris, nématode, rat pour des observations sur la physiologie musculaire dans l’espace.
  • Cricket, poisson, caille, souris, triton, rat, crapaud, escargot pour des observations sur la neurophysiologie.

« Worm in space »

Worm in space.
NASA

La mission « Worm in space » de ce mois de décembre 2018 met en lumière le nématode Caenorhabditis elegans. Ce vers rond, non parasite, d’un millimètre de long peut se rencontrer sur la plupart des continents et s’alimente de bactéries dans les champignons, les végétaux ou les fruits en décomposition.

Pas moins de trois découvertes majeures de la biologie moderne ont été déjà réalisées grâce à son observation méticuleuse, notamment les mécanismes de l’apoptose (mort programmée des cellules), et la survenue de cancers suite à des anomalies de ce processus. Les nématodes sont un modèle de choix pour étudier le fonctionnement du processus de l’apoptose dans l’espace afin de prévenir les risques de pathologies cancéreuses pour les astronomes. Elles sont associées d’une part à l’exposition aux rayonnements dangereux de l’espace et, d’autre part, à des modifications possibles du fonctionnement normal de l’apoptose chargé d’éliminer les cellules modifiées par les rayons.

Ce petit ver n’en est pas à son premier vol dans l’espace. Au cours de la mission STS-42, menée en 1992 sur la navette Discovery, les nématodes arrivaient à s’accoupler et à se reproduire sur deux générations sans aucun problème apparent. Mais quelques années après, la mission STS-76 menée en 1996 à bord de la navette Atlantis a révélé tout autre chose ! Un taux anormal de mutations a été observé chez les nématodes indiquant pour la première fois un effet direct des rayons cosmiques sur le vivant.

Les vers survivent à la catastrophe de Columbia

À l’issue de ces expériences, il a été proposé d’utiliser les nématodes dans l’espace comme dosimètres permettant de renseigner les astronautes sur les risques de mutations liées aux rayons cosmiques. Les nématodes étaient également à bord de la navette Columbia le 1er février 2003 pour la mission STS-107. Un accident tragique survenu au cours de la mission a provoqué une explosion qui a pulvérisé l’appareil et provoqué la mort de ses sept occupants. Mais des scientifiques ont réussi à retrouver, dans des débris de Columbia retombés au Texas, un étui de 4 kg contenant les nématodes de l’expédition scientifique. Ils avaient survécu. Protégés dans leur boîte, ils s’étaient déjà reproduits sur plusieurs générations.

Revenons à la mission « Worm in space ». Le lundi 3 décembre, la capsule Soyouz MS-11 a rejoint la station spatiale internationale avec trois astronautes et à son bord près de 360 000 nématodes Caenorhabditis elegans. Cette expérience est dédiée à l’étude de la perte musculaire de 40 % qui affecte les astronautes lors de missions longues. Ce déficit est comparable à la perte musculaire que l’on peut observer chez un homme âgé de 40 à 80 ans au cours d’un processus naturel que l’on appelle sarcopénie.

Les muscles du nématode

Installés dans des sacs spéciaux avec leur nourriture artificielle, les nématodes vont y rester six jours et demi à l’issue desquels ils seront congelés pour ensuite revenir sur Terre pour analyse en 2019. Plusieurs expériences vont être menées. L’une d’elles consiste à étudier un groupe contrôle de nématodes normaux contre un autre groupe de nématodes chez lesquels on a modifié des gènes importants pour le fonctionnement normal de l’insuline. Cette hormone est connue pour être liée aux mécanismes de la sénescence et du vieillissement via son effet sur l’utilisation du glucose par les tissus et en particulier les muscles. L’utilisation de Caenorhabditis elegans modifiés génétiquement et comportant des variations dans l’utilisation du glucose aidera à mieux définir l’implication de l’insuline dans le processus de sarcopénie. Cette étude est destinée à mieux comprendre pourquoi les muscles de l’homme s’affaiblissent quand il vieillit en relation avec le rôle de l’insuline.

Le vers modèle C. elegans ([Goldstein Lab](http://labs.bio.unc.edu/Goldstein/movies.html))

Une autre expérience va consister à définir si l’expression de certains gènes sont modifiés chez C. Elegans par un séjour en microgravité. Il a été observé, au cours de missions précédentes, que 150 gènes du nématode étaient diminués dans leur expression au cours d’un séjour dans l’espace. Cet ensemble de 150 gènes identifiés va être à nouveau étudié au cours de cette mission afin d’observer si certaines drogues peuvent prévenir ou ralentir la perte musculaire au cours des séjours spatiaux. Une expérience complémentaire va permettre d’observer le fonctionnement des motoneurones du nématode qui lui servent à déclencher la contraction de ses muscles.

D’autres perspectives sont ouvertes. On songe par exemple à la mise au point de systèmes automatiques permettant d’envoyer des nématodes sur d’autres planètes pour étudier leur devenir au cours de multiples générations. L’idée générale de ces expérimentations spatiales est de mieux comprendre comment l’humain vit dans l’espace pour préparer des missions sur Mars. Et, sur Terre, de mieux comprendre le fonctionnement du corps humain grâce à l’observation des processus biologiques intervenants dans cet environnement hostile qu’est le cosmos.The Conversation

Simon Galas, Professeur de Génétique et de Biologie moléculaire de l’Aging, CNRS – Faculté de Pharmacie, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.