Des labos de l’UM à Abivax : le fabuleux destin du médicament qui voulait mater les maladies chroniques de l’intestin
Fruit d’une vingtaine d’années de recherches, l’obefazimod pourrait faire son entrée sur le marché pharmaceutique d’ici deux ans. Imaginé par un chercheur à l’Université de Montpellier et développé par la société Abivax, ce traitement anti-inflammatoire pourrait soulager des dizaines de millions de patients atteints de maladies intestinales chroniques. Une réussite nationale et internationale, née de la synergie entre la recherche montpelliéraine et une entreprise innovante.

La méthode mûrit dans le cerveau du professeur Jamal Tazi depuis 2002. Près de 20 ans et une dizaine de brevets plus tard, il voit le fruit de ses recherches en passe de résoudre une impasse thérapeutique majeure pour près de 40 millions de patients touchés par la rectocolite hémorragique à l’échelle du monde occidental.
Quand l’aventure démarre, Jamal Tazi est professeur à l’Université de Montpellier, et il se met en tête d’identifier des molécules capables de moduler l’épissage. L’idée : avoir un effet sur ce processus cellulaire essentiel de maturation de l’ARN messager, dont les altérations sont à l’origine de nombreuses pathologies humaines (comme la dystrophie musculaire, ou le progeria par exemple). “À l’époque, aucune molécule ne permettait d’intervenir sur ce processus, et le soutien de l’État a été décisif : c’était la première fois qu’un programme national encourageait une coopération entre biologistes et chimistes”, se souvient-il.
Cette approche interdisciplinaire, menée en partenariat avec l’Institut Curie, a permis d’isoler en 2004 les premières molécules capables de corriger l’épissage. Une première mondiale… Mais il fallait encore démontrer leur utilité pour traiter les patients. Alors rapidement, l’équipe planche sur le virus du Sida, qui détourne la machinerie de l’épissage pour se répliquer. De ces travaux naît la société Splicos (2009-2014), puis Abivax (fondée en 2014), toutes deux financées par Truffle Capital et issues d’un laboratoire coopératif public-privé associant l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier (IGMM), l’Institut Curie et l’Université de Montpellier. « Nous devions synthétiser et tester plus de quarante nouvelles molécules par mois », se remémore le chercheur.
Des résultats spectaculaires
En 2014, ils découvrent enfin “le graal”. Baptisée SPL464, puis renommée ABX464, la fameuse molécule a un impact avéré sur le virus du Sida. Mais en la matière, le marché est déjà saturé. Jamal Tazi décide donc de réorienter son travail vers les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. En 2018, les résultats des premiers essais cliniques menés sur des patients atteints de rectocolite hémorragique (RCH) sont spectaculaires. “L’un des premiers patients traités devait subir une ablation du côlon ; quatre ans plus tard, il est toujours en rémission complète”, ajoute le chercheur, lauréat de la médaille de l’innovation du CNRS en 2017 et actuellement en lice dans la sélection officielle du prestigieux prix Galien.
Soutenu par le service partenariat et valorisation du CNRS, membre fondateur du Pôle universitaire d’innovation, le projet est “un bel exemple de la réussite d’un partenariat public privé”, résume Etienne Schwob, directeur de l’IBMM. “Jusqu’en 2021, dans le cadre de notre laboratoire coopératif, 50% du personnel était financé par le CNRS, et 50% par la société Abivax, soit 15 à 20 personnes selon les périodes. Dans nos murs, l’IGMM a mis à disposition ses locaux mais aussi ses instruments, sa connaissance scientifique. C’est tout cet ensemble qui a fait le succès du traitement”, détaille le directeur.
Publiés en juillet dernier, les résultats des essais cliniques de phase 3 confirment l’efficacité de la molécule. Administré à raison de 50 mg une fois par jour, le traitement nommé obefazimod a permis une rémission clinique chez 16,4 % des patients dès la huitième semaine. Le soir même, l’annonce a mis les marchés en ébullition, et la société Abivax a levé plus de 750 millions de dollars aux États-Unis en quelques heures à peine, soit près de 600 millions d’euros. Une prouesse historique dans l’univers des biotechnologies françaises.
Désormais en phase de “maintenance”, le fameux médicament pourrait entrer sur le marché d’ici 2027. Il pourrait ensuite trouver de nouvelles applications, notamment auprès des patients touchés par la maladie de Crohn.