Horizon ERC : l’audace aux frontières de la recherche

Entre 2014 et 2021, le mathématicien Jean-Pierre Bourguignon a été à la tête pendant sept années, dont une par interim, du prestigieux Conseil européen de la recherche : l’European Research Council (ERC). Le 31 mars dernier, il participait à l’événement « Horizon ERC à Montpellier : les rencontres de la recherche européenne », organisé par l’Université de Montpellier en partenariat avec le CNRS, l’INSERM et l’IRD. A cette occasion, il a partagé son expérience et ses questionnements sur les dispositifs coordonnés et financés par l’institution européenne afin de soutenir une recherche exploratoire et audacieuse. Il en est persuadé : nos chercheurs et nos chercheuses doivent être plus nombreux à postuler et surmonter à tout prix leurs doutes !

Peut-on dire que les contrats ERC sont destinés à financer des projets scientifiques « à la frontière de la connaissance » ?

Nous parlons de projets de recherche « exploratoires », ce qui signifie que le sujet de votre projet n’est pas encore très établi, et surtout que vous allez prendre des risques. Car si vous explorez, vous n’êtes pas sûr de pouvoir aller jusqu’au bout de votre idée. En revanche, vous êtes persuadé qu’il y a un fort potentiel, que vous tenez là une idée à laquelle personne n’avait encore réfléchi en profondeur. Il faut que les membres du panel qui va évaluer le projet se disent en vous lisant : « C’est vraiment une idée nouvelle à laquelle j’aurais aimé avoir pensé moi-même ! »

Pour un chercheur ou une chercheuse, il n’est pas toujours facile de savoir si son idée est bonne…

C’est pour cela que je conseille, avant de le soumettre, de tester son projet auprès d’autres personnes, et pas seulement de son entourage immédiat. C’est de cette façon que vous allez détecter si ce que vous croyez être une bonne idée en est vraiment une. En revanche, si quelqu’un vous dit « tu rêves », il ne faut pas se décourager. Surtout si, en même temps, d’autres vous disent « c’est super ! ». Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à y aller !

N’oublions pas une qualité importante : la capacité à surmonter l’échec !

Il est très important de ne pas vous décourager si vous n’avez pas été retenu à la première tentative. Au contraire, étudiez tous les rapports qui ont été produits par les membres du panel sur votre projet, de 6 à 11 en moyenne si le projet a été sélectionné pour une audition. En lisant un rapport, on n’est quelquefois pas d’accord avec le rapporteur et on estime la critique non justifiée. Prenez garde, même si vous savez très bien ce dont vous voulez parler, les membres du panel peuvent lire autre chose que ce que vous aviez en tête. Ceci souligne l’importance de faire lire son projet en amont par des gens différents. La relecture n’a pas seulement comme fonction d’améliorer la qualité de ce que vous écrivez, mais aussi de faire disparaître des ambiguïtés qui peuvent finalement être pénalisantes. 

L’audace est un élément essentiel ?

Elle est vraiment encouragée. Nous l’avons entendu à travers les témoignages des lauréats et lauréates ERC : de nombreux projets analogues soumis à une agence nationale ont été retoqués parce que le projet avait été considéré comme trop risqué. Alors que, soumis à l’ERC, cela a marché du premier coup ! Nous constatons cela non seulement en France mais aussi dans beaucoup d‘autres pays : les projets ambitieux et de rupture ont tendance à être moins bien acceptés et moins soutenus que des projets plus routiniers et rassurants. La communauté scientifique a une forte tendance à être conservatrice et à ne pas valoriser la prise de risque. C’est un fait. Il est donc vital qu’il existe un programme au niveau européen qui n’ait pas ce biais négatif pour le risque.

Selon vous, nos chercheurs et chercheuses doivent être encouragés à davantage candidater ?

La France a un déficit massif de candidatures. Si nous n’avons pas assez de projets ERC lauréats en France, c’est bien parce que les chercheurs et chercheuses qui y travaillent ne déposent pas assez de candidatures… Il faut vraiment que nous arrivions à régler ce problème qui dure. Et même s’aggrave ! Vu le niveau de soutien à la recherche en France qui stagne à 2,2 % du PIB, obtenir plus d’argent venant du budget européen est indispensable pour mieux financer la recherche dans notre pays. Lors de mes interventions sur le sujet, je ne parle pas beaucoup des prix Nobel et des médailles Fields obtenus par des lauréats et lauréates de l’ERC. Je préfère mettre en avant les quelques 10 000 chercheurs et chercheuses à qui l’ERC a permis de créer une équipe de recherche. La France étant un des grands pays européens, au moins par la taille, nous devrions y comptabiliser un nombre important de projets déposés, en relation avec les quelques 18 % du budget européen que la France paie. Or le pourcentage de candidatures à partir d’un établissement français est de seulement 12 %, un chiffre à peine corrigé par un taux de succès légèrement supérieur à la moyenne européenne.

Pourtant, il n’y a pas d’âge, pas de domaine, pas de sujet : tout est possible !

Absolument. Nous observons d’ailleurs que le déficit de candidatures en France est le plus grand du côté des sciences humaines et sociales. A l’écoute des témoignages des lauréates et lauréats, nous pouvons facilement voir à quel point le soutien de l’ERC a un impact positif, et souvent radicalement positif, sur leur carrière. Non seulement cela leur permet de mener à bien un projet ambitieux, mais cela engendre aussi un niveau de visibilité et d’attractivité internationales beaucoup plus important. Avec un contrat ERC, vous pouvez attirer des collaborations de plus haut niveau que pour un projet classique, ce qui veut dire que le travail que vous allez faire collectivement va être bien meilleur. 

Obtenir un contrat ERC permet aussi de développer son réseau ?

Des chercheurs et chercheuses m’ont expliqué que présenter leur projet devant d’autres collègues leur avait ouvert la porte à des collaborations nouvelles. Que ce soit à l’Université de Montpellier ou au sein d’autres communautés, il est très utile que des gens qui ne se connaissent pas se retrouvent pour se parler de science. Favoriser le développement d’une communauté des lauréates et lauréats ERC peut favoriser l’interdisciplinarité en partageant, entre eux et plus largement, les leçons qu’ils en tirent personnellement et leur permettre de profiter pleinement de cette extraordinaire diversité.

Vous avez d’ailleurs mentionné une part importante de projets interdisciplinaires.

Monique Smaihi, cheffe du secteur de la coordination des appels à l’agence exécutive de l’ERC, a parlé de l’évaluation anonyme que fait l’ERC, destinée à mesurer l’impact des projets qu’il finance. Elle se fait chaque année sur 250 projets tirés au hasard deux ans après leur conclusion. Nous avons ainsi découvert que les projets interdisciplinaires avaient très souvent un impact, scientifique comme économique, plus fort que les autres. C’était une vraie surprise ! Et une raison de plus pour encourager l’interdisciplinarité. 

Des conseils à donner aux porteurs et porteuses de projets ? 

Un projet ERC a besoin d’être muri ; je ne crois pas que cela soit quelque chose que l’on fait sur le coin d’une table en une soirée, voire en une semaine. Je sais que l’Université de Montpellier a mis en place des procédures d’accompagnement, ce qui est très bien car il ne faut absolument pas s’auto-censurer. Il est aussi très important d’avoir conscience que les appels ERC autorisent beaucoup de formats différents. Avant d’écrire votre projet, je vous encourage à lire plusieurs projets, peu importe la discipline, puisque l’ERC met en ligne une présentation de tous les projets soutenus. Vous vous rendrez compte de l’extraordinaire diversité. Dernière chose : j’ai souvent entendu des jeunes chercheurs et chercheuses dire « je n’ai pas le niveau »… Ce qui compte, c’est votre projet ! Vous n’êtes pas évalué sur votre CV, mais sur votre capacité à proposer un projet audacieux avec un plan précis pour le développer. Cela vaut la peine de prendre le risque. Alors si vous avez une bonne idée, allez-y !

De l’UM à Moment-UM

Le 31 mars dernier s’est tenue pour la première fois à Montpellier une journée dédiée aux dispositifs ERC du programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche et l’innovation Horizon Europe, intitulé “Horizons ERC à Montpellier : les rencontres de la recherche européenne”. Un évènement organisé par l’UM, en partenariat avec le CNRS, l’INSERM et l’IRD, avec le soutien de l’ANR et de France 2030 dans le cadre du projet Moment-UM, un des grands programmes de l’UM qui propose à la communauté scientifique montpelliéraine un dispositif d’accompagnement dédié au programme ERC. Avec plus de 15.000 lauréats et lauréates depuis sa création en 2007, ce programme de financements permet aux chercheurs et chercheuses qui portent des projets de recherche exploratoires, ambitieux et de rupture, d’obtenir des contrats après évaluation par leurs pairs, dans toutes les disciplines, sur la seule base de leur valeur et originalité scientifiques. Différents types de contrats existent selon la distance à la thèse: Starting et Consolidator grants, Advanced grants, Synergy grants, Preuve-de-concept.

Pour plus d’informations consulter le service DIPA à l’UM.