“La gestion des risques littoraux sera interterritoriale ou ne sera pas”

Dans le golfe du Lion 25 % des côtes sont en érosion. Ce phénomène massif, qui s’accompagne de risques de submersion marine, questionne les rapports interterritoriaux notamment à Montpellier où la recomposition spatiale ne pourra se faire sans dialogue entre métropole et communes littorales. Explications avec les chercheurs en science politique Sylvain Barone (G-Eau) et Laura Michel (Cepel) auteur de l’ouvrage Métropole et risques littoraux.

© Romain Gallet

Cette étude « Popsu » (plate-forme d’observation des projets et stratégies urbaines) a été menée en collaboration avec la métropole de Montpellier. Quelles sont les spécificités politiques de ce territoire ?
S.B. : Les politiques de gestion des risques littoraux insistent sur l’importance d’un aménagement pensé à une échelle plus large que la plage. Montpellier en tant que métropole est centrale dans cette équation mais d’un point de vue institutionnel, elle ne compte qu’une commune directement littorale, Villeneuve-lès-Maguelone. Les autres communes littorales de l’aire urbaine font partie de l’Agglomération du Pays de l’Or (POA). Les risques littoraux ont longtemps été un impensé politique pour Montpellier. Ce n’est plus le cas.

De quelles compétences relèvent ces risques ?
L.M. : Le risque de submersion reste une affaire d’Etat. L’érosion, elle, est considérée comme un risque naturel progressif pouvant être anticipé à travers les politiques d’aménagement local. Elle est donc en grande partie renvoyée à la responsabilité des acteurs locaux. Avec la loi climat et résilience, les communes concernées par le recul du trait de côte devront intégrer une cartographie des zones en érosion dans leur plan d’urbanisme avec des conséquences en termes de constructibilité.

Il n’existe aucun dialogue entre la métropole et les communes littorales sur ces questions ?
S.B. : Il y a un historique conflictuel entre Montpellier et ces communes mais il tend à s’apaiser. Une étude importante a été conduite sur l’avenir de la gouvernance du golfe d’Aigues-Mortes (GAM). Elle a été l’occasion d’un dialogue entre Montpellier et les intercommunalités voisines, mais aussi avec différents établissements publics, l’Agence de l’eau, l’Office français de la biodiversité… La gestion des risques littoraux sera interterritoriale ou ne sera pas (Midi Libre 28/04/2023).

L’Etat s’est complètement désengagé de la question de l’érosion ?
L.M. : Non, dans le cadre du Plan Littoral 21 la Région, l’Etat et la Banque des territoires accompagnent six territoires dans la mise en place de stratégies locales de gestion du trait de côte et de recomposition spatiale. Il s’agit de s’appuyer sur des formes de coopération existantes. Pour le golfe d’Aigues-Mortes, l’étude sert de marche-pied pour construire cette stratégie.

Elle pourrait prendre la forme d’une gouvernance commune ?
S.B. : Avec l’étude GAM les collectivités ont choisi un système de conventionnement qui repose sur l’accord de tous et permet d’avancer avec plus de souplesse. Une autre option aurait été une structure de type syndicat mixte mais cela implique un mode de décision à la majorité. Des collectivités minoritaires auraient pu être contraintes d’appliquer des mesures avec lesquelles elles n’étaient pas en accord.

L.M. : A l’échelle régionale, une forme de gouvernance possible était le groupe d’intérêt public mais les acteurs n’ont pas souhaité rajouter une couche dans le millefeuille de structures existantes. Mais on voit bien que cela avance, les acteurs participent aux ateliers, ils sont présents.

Il est parfois reproché à la métropole d’être un outil de mise en concurrence économique des territoires. Est-elle efficace sur les enjeux écologiques ?
S.B. : C’est une question légitime, mais à l’échelle locale aucune autre collectivité ne dispose d’autant de moyens et de compétences pour accompagner cette recomposition spatiale. Faut-il que la métropole décide et gère seule ? Non bien sûr. D’ailleurs, on est davantage sur des formes de gouvernance qui valorisent des rapports plus symétriques entre acteurs publics. Il sera intéressant au-delà d’inclure les citoyens, les associations, de faire vivre un espace public autour de ces questions.

N’y a-t-il pas aussi un décalage entre calendrier électoral et écologique ?
L.M. : Les questions d’adaptation aux risques impliquent de se projeter sur plusieurs décennies et d’avoir une approche intégrée qui dépasse l’urbanisme opérationnel à court terme. La métropole n’a pas forcément les outils pour inclure les citoyens sur des enjeux qu’on présente souvent comme techniques mais qui sont éminemment politiques parce qu’ils portent des choix qui vont peser très fortement sur les gens. Ce n’est pas facile pour un élu de dire à ses administrés qu’il va falloir déménager, ils ne doivent pas porter ces charges-là seuls.

De quelle marge de manœuvre dispose-t-on pour contrer ces risques littoraux ?
L.M. : Le changement climatique va entraîner l’élévation du niveau de la mer c’est irréversible. Mais les problèmes qui se posent aujourd’hui sont surtout dûs à l’aménagement massif du littoral et à l’exploitation des fleuves en amont. Il faut interroger le modèle d’urbanisation.

S.B. : Il faut aussi interroger le modèle touristique mais parler de recomposition spatiale à des campings ou à des hôtels en front de mer, c’est compliqué.

C’est un manque de volonté politique de la part des communes ?
L.M. : Elles sont sujettes à des injonctions contradictoires. On leur dit qu’il faut consommer moins d’espace, aller vers zéro artificialisation nette, tenir compte des risques etc. Mais on leur demande de produire du logement et leurs ressources sont largement basées sur l’urbanisation et le tourisme.

S.B. : Ce territoire est confronté à la fois à des enjeux extrêmement forts de densité de population, d’équipements, de grandes infrastructures, d’enjeux agricoles, de biodiversité et à des contraintes très puissantes avec des risques de submersion marine, mais aussi de ruissellement, de débordement de cours d’eau, d’incendie… Montpellier, c’est presque un cas limite, ce qui en fait un terrain de recherche passionnant.


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