Nous n’irons plus au bois

Les tempêtes ont longtemps représenté le plus grand danger pour la forêt française. Mais depuis une vingtaine d’années une autre menace pèse sur son avenir et met l’Homme face à l’expérience d’un douloureux constat : non seulement la forêt ne nous permettra pas de lutter contre le changement climatique, mais pire : ce changement est déjà en train de la tuer.

© Patrick Aventurier

 « On observe une hausse de 50% de la surmortalité des arbres et une diminution de leur croissance. Sur la base des scénarios actuels, d’ici à la fin du siècle la forêt pourrait laisser place à une savane arborée dans le sud de la France.  Au nord la compétition pour l’eau éclaircira les rangs », constate Isabelle Chuine chercheuse au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive1 et coordinatrice pour l’Académie des sciences d’un rapport sur l’état des forêts françaises.

La sécheresse est une des premières conséquences létales du changement climatique pour les arbres (Changement climatique et biosphère). « Quand il fait plus chaud, l’évaporation et la transpiration des arbres sont plus importantes, l’eau stockée dans le sol repart donc plus vite dans l’atmosphère leur laissant moins de ressources en eau disponibles. » Une tendance aggravée par la baisse de pluviométrie qui touche à des degrés différents beaucoup de régions de France.

Dégâts considérables

Tout aussi liée au changement climatique, la survenue de plus en plus fréquente de canicules précoces comme ce fut le cas en juin 2019. « Même la forêt méditerranéenne, particulièrement bien adaptée à ces phénomènes, a connu des dégâts considérables » (La fécondité du chêne vert ne s’acclimate pas à un monde plus sec), se souvient la chercheuse. En cause : le fonctionnement spécifique de ces espèces sempervirentes qui ne perdent pas leurs feuilles en hiver et fabriquent un nouveau feuillage plus tardivement. « Cette adaptation leur permet d’éviter les gels tardifs de printemps. Mais si la canicule survient alors que les feuilles n’ont pas atteint leur maturité, elles ne pourront pas encaisser ces températures comme elles l’auraient fait au cœur de l’été. »

Sécheresse et canicules provoquent une réponse immédiate chez l’arbre dont les feuilles sont pourvues de stomates. Des petits trous s’ouvrant et se refermant pour capter le CO2 indispensable à la photosynthèse, mais qui laissent aussi s’échapper de l’eau. « En cas de sécheresse les feuilles vont fermer leurs stomates pour économiser l’eau. Mais ce faisant, elles n’absorbent plus de CO2 et donc ne photosynthétisent plus » résume Isabelle Chuine. Si la sécheresse se poursuit, s’en suit la mort des feuilles, voire des rameaux, voire de l’arbre entier selon la sévérité de l’épisode. Les survivants en sortiront affaiblis et deviendront des cibles privilégiées pour les ravageurs et les pathogènes. Sans compter les incendies eux aussi favorisés par la sécheresse.

Les lauriers sont coupés

Une autre menace commence à poindre : le réchauffement de l’hiver. « Sous nos latitudes, un arbre fait des nouvelles feuilles et des fleurs au printemps, des fruits à l’automne avant de perdre ses feuilles » rappelle la spécialiste. Cet automne dans la hêtraie de la Massane dans les Pyrénées orientales et dans la forêt de Puechabon, les scientifiques ont observé un éclatement massif des bourgeons à l’automne. En 2015, un peu partout en France, des floraisons massives à l’automne ont aussi été observées. « Un comportement extrêmement risqué car ces jeunes feuilles ne survivent pas à l’hiver, et les fleurs ne produisent pas de fruits, ce qui est une perte sèche pour l’arbre. Toutes ces situations vont devenir de plus en plus fréquentes d’ici la fin du siècle. » (Décrypter les multiples effets du changement climatique sur le décalage temporel du déploiement des feuilles) Comment peut-on envisager lutter contre le changement climatique avec des forêts qui dépérissent ?

La forêt française stocke actuellement près de 3 gigatonnes de carbone, mais le puits de carbone qu’elle constitue a été divisé par deux en une dizaine d’années seulement, « et si on regarde région par région, beaucoup ne sont plus des puits de carbone ». La réponse politique s’est traduite jusqu’à présent par une hausse des prélèvements, autrement dit des coupes. « La stratégie nationale bas carbone en France a été construite sur l’idée que, puisque les forêts allaient mourir, mieux valait les récolter et stocker le carbone des arbres dans des produits bois longue durée, puis replanter des essences plus résistantes. Problème : seulement 3% du bois récolté sont aujourd’hui transformés en produit bois longue durée de vie ».

Grandeur nature

Une autre approche consiste à laisser faire la nature.  Diversifier les essences et le matériel génétique des forêts pour les rendre plus résistantes est une piste. « Personne ne sait vraiment si on va pouvoir maintenir la forêt qu’on connait dans certaines régions. Faute d’avoir anticipé cette situation malgré les alertes des scientifiques, nous sommes maintenant dans l’expérimentation grandeur nature » conclut Isabelle Chuine.

Vos papiers s’il vous plaît !

A quoi ressemblerait la carte d’identité des forêts françaises métropolitaines ? « Elles couvrent à peu près 30 % du territoire et sont aux trois quarts privées, détaille Isabelle Chuine. On y trouve deux tiers de feuillus contre un tiers de résineux. »  En tête des espèces les plus représentées : le chêne « et même de très vieux chênes », le hêtre, l’épicéa dans le nord-est, mais aussi le pin maritime très présent dans les Landes qui est désormais le premier massif forestier de France.

La forêt française se caractérise par sa composition en futaies régulières. « C’est une pratique séculaire qui a été inscrite à l’inventaire national du patrimoine culturel immatérielle. C’est l’image de la forêt avec des grands arbres d’une seule espèce, des gros troncs… » Pour le reste on trouve surtout des taillis qui sont des formations arborée plus basses et souvent coupées ou des taillis sous futaies.

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  1. Cefe (CNRS, UM, IRD, EPHE) ↩︎