Chikungunya, dengue, Nil occidental : en 2025, la France confrontée à une circulation virale sans précédent

Autrefois dénombrés chaque année sur les doigts d’une main, puis par dizaines, c’est aujourd’hui par centaines que l’on compte, en France hexagonale, les cas autochtones – c’est-à-dire contractés sur le territoire – d’infections par des virus transmis par les moustiques. Plus de 800 cas ont ainsi été recensés cette année, un chiffre sans précédent !

Yannick Simonin, Université de Montpellier

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L’explosion du nombre de cas d’infections par des virus transmis par les moustiques dans l’Hexagone fait de 2025 une année totalement exceptionnelle. Ce triste record est principalement dû à la circulation très active du virus chikungunya, mais notre pays est également confronté à une circulation, certes plus limitée, mais néanmoins importante, des virus de la dengue et du Nil occidental.

Nous sommes donc confrontés, pour la première fois, à une triple circulation de ces virus appelés arbovirus (de l’anglais arthropod-borne virus, « virus transmis par les arthropodes », en l’occurrence les moustiques). Cette double problématique – une augmentation importante du nombre de cas d’infections et une diversité des virus circulant – engendre une situation particulièrement complexe.

Comment qualifier la saison 2025 ? Exceptionnelle ? Inédite ? Inattendue ? Si les deux premiers qualificatifs s’imposent sans hésitation, le dernier s’avère inexact, tant les spécialistes du domaine alertent depuis plusieurs années sur le risque prévisible, voire inéluctable, de l’implantation durable de ces virus, autrefois confinés aux régions tropicales, sous nos latitudes.

La France n’est pas la seule concernée : l’Italie, l’Espagne et d’autres pays européens enregistrent également une recrudescence de cas témoignant d’une dynamique globale, même si notre pays reste l’un des plus touchés en Europe.

Le virus chikungunya se taille la part du lion

Dans l’Hexagone, le virus chikungunya est impliqué à lui seul dans près de 800 cas répartis dans 80 foyers différents, c’est-à-dire des groupes de cas liés à un même lieu ou événement.

Le virus chikungunya est transmis par le désormais célèbre moustique tigre (Aedes albopictus). Introduit en France en 2004, cet insecte est aujourd’hui le principal vecteur de maladies virales en Europe. Si le sud de la France, notamment la région PACA, reste la zone la plus touchée, des cas d’infection ont également été identifiés plus au nord, notamment en Alsace et en Île-de-France, où le moustique tigre est désormais bien implanté.

L’explication majeure de la hausse des cas de chikungunya observés dans l’Hexagone réside dans la forte circulation du virus cette année à La Réunion ainsi qu’à Mayotte, confrontées à la plus importante épidémie de chikungunya depuis plus de vingt ans. Les échanges aériens réguliers entre ces territoires ultramarins et la France hexagonale, mais aussi, plus largement, avec d’autres zones de forte circulation virale, ont favorisé l’introduction du virus sur le continent.

Preuve en est : cette année, près de 80 % des cas importés (où la maladie a été rapportée de voyage) observés en France hexagonale proviennent de La Réunion.

Ce sont ces cas importés qui sont à l’origine des cas autochtones, le moustique tigre pouvant piquer ces individus infectés et transmettre la maladie à d’autres personnes n’ayant pas voyagé. De nombreux cas importés, une répartition du moustique tigre de plus en plus vaste dans l’Hexagone : les explications de la hausse de cette année sont toutes trouvées…

Avec quelles conséquences ? Les symptômes du chikungunya sont souvent proches de ceux d’une grippe, avec de la fièvre, des maux de tête et des douleurs musculaires. Si la plupart des malades se rétablissent complètement en quelques jours. Cependant, chez certaines personnes, une forme chronique de la maladie peut s’installer avec des douleurs articulaires très invalidantes, pouvant perdurer jusqu’à plusieurs années après l’infection !

Bien que très largement majoritaire, le chikungunya n’est cependant pas le seul virus à circuler en France continentale cette année.

De nombreux cas d’infections par les virus de la dengue et du Nil occidental

Deux autres virus ont fait parler d’eux cette année. Le premier est celui de la dengue (habituellement l’arbovirus circulant le plus dans le monde), transmis lui aussi par le moustique tigre. Une trentaine de cas autochtones de dengue ont été identifiés dans l’Hexagone. Il y a encore quelques années, ce chiffre aurait été considéré comme exceptionnel !

À ceci s’ajoutent près de 1 000 cas importés, provenant majoritairement de Guadeloupe, de Polynésie française et de Martinique, mais aussi de nombreuses autres régions du globe. Le nombre réel de cas est probablement largement sous-estimé, car la dengue est principalement asymptomatique et, chez les personnes qui développent des symptômes, ceux-ci peuvent être facilement confondus avec ceux d’autres maladies, puisqu’ils se traduisent par de la fièvre, des maux de tête, et des douleurs musculaires.

Heureusement, dans la grande majorité des cas, la dengue provoque une infection sans gravité. Cependant, chez environ 1 % des personnes infectées, la maladie peut prendre une forme beaucoup plus grave, hémorragique, pouvant s’avérer mortelle.

Le dernier membre de ce trio inédit qui a fait s’emballer les compteurs cette année est le virus du Nil occidental avec près de 60 cas répertoriés, principalement dans le sud de la France. À la différence des deux virus précédents, celui-ci est propagé par le moustique commun (Culex pipiens), une espèce de moustique indigène, présente en Europe depuis des millénaires et largement répartie sur l’ensemble de notre territoire.

Par ailleurs, on ne parle pas de cas importés ou autochtones ici, tous les cas identifiés étant des infections locales. Pourquoi ? Parce que l’être humain ne peut pas transmettre le virus à un autre humain par l’intermédiaire du moustique.

Ce sont les oiseaux infectés, venus bien souvent de pays lointains au cours de leur migration, qui vont transmettre le virus du Nil occidental à d’autres oiseaux « locaux », par l’intermédiaire des moustiques communs. Ce sont également ces derniers qui peuvent transmettre ensuite nous le transmettre. Il s’agit donc ici d’un cas typique de zoonose : la transmission d’une maladie de l’animal à l’être humain.

Cette situation, plus difficile à anticiper, est encore rendue plus complexe par le fait que le virus du Nil occidental peut également se transmettre par don de sang ou transplantation d’organes. Cette année, en France, deux personnes ont ainsi été contaminées après une transplantation de rein, en raison de l’infection par le virus du greffon du donneur. Ces transmissions alternatives nécessitent de revoir nos stratégies de don de sang et d’organes en période de circulation de ce virus…

Fait marquant : le virus du Nil occidental, principalement cantonné au sud de l’Europe, s’étend désormais plus au nord. L’Île-de-France a ainsi été touchée pour la toute première fois avec une vingtaine de cas identifiés, illustrant l’extension de la menace.

Ce virus, anodin pour la majorité des personnes infectées, peut néanmoins, chez certaines personnes, notamment les plus âgées, cibler notre cerveau et à provoquer des encéphalites ou des méningites (inflammation du cerveau ou des méninges) pouvant s’avérer fatales. C’est de ce fait l’arbovirus qui provoque le plus de décès en Europe, avec plus de 60 morts identifiés en Europe en 2025, dont malheureusement les deux premiers en France cette année…

Le changement climatique en toile de fond

L’augmentation actuelle des cas est probablement le prélude à ce qui nous attend dans les prochaines années… Cette hausse, amorcée timidement au début des années 2020, est pour de nombreux spécialistes inéluctable.

Les explications sont multiples, comme l’augmentation du transport aérien favorisant l’importation de cas, dans un monde de plus en plus interconnecté. Mais un des facteurs les plus importants est sans doute le réchauffement climatique. En effet, les insectes comme les moustiques, ne pouvant pas réguler leur température, sont extrêmement sensibles aux variations climatiques.

Dans certaines régions, le changement climatique en cours accroît leur période d’activité. On observe ainsi des moustiques de plus en plus tôt dans l’année et leur disparition survient de plus en plus tardivement. Par ailleurs, jusqu’à une certaine température, la durée de vie des moustiques augmente avec la chaleur et leur métabolisme, accéléré, favorise la multiplication des virus dans leur organisme. Un cocktail détonnant…

Pour faire face à cette nouvelle situation, il est impératif de renforcer les réseaux de surveillance de ces virus émergents. En outre, l’élimination de l’eau stagnante (qui favorise la reproduction des moustiques) reste, avec les moyens de protection individuels contre les piqûres (moustiquaires, produits répulsifs), la meilleure stratégie actuelle pour lutter contre ces nouvelles menaces. Des menaces difficiles à anticiper, mais dont nous savons qu’elles deviendront quotidiennes dans les années à venir…

Yannick Simonin, Virologiste spécialiste en surveillance et étude des maladies virales émergentes. Professeur des Universités, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.