Comment le variant Omicron BA.2 a repoussé les limites initiales du Covid-19

Si l’épidémie de Covid est passée au second plan de l’actualité, elle n’en est pas finie pour autant. Le SARS-CoV-2 continue de circuler et d’évoluer rapidement. Chercheurs au sein de l’unité « Maladies infectieuses et vecteurs : Écologie, Génétique, Évolution et Contrôle » (Université de Montpellier, CNRS, IRD), Mircea Sofonea, maître de conférences, et Samuel Alizon, directeur de recherche, spécialistes de l’épidémiologie et de l’évolution des maladies infectieuses, font le point sur Omicron maintenant qu’il a conquis le monde. Comment expliquer ses sous-variants, que sait-on désormais de ses capacités et de l’efficacité de notre système immunitaire face aux futurs variants ?

Samuel Alizon, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Mircea T. Sofonea, Université de Montpellier

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The Conversation : Où en est-on de la circulation des variants de SARS-CoV-2, en France et plus généralement ?

Samuel Alizon : Partout dans le monde, depuis décembre 2021, le variant Omicron, et plus précisément la lignée BA.1 (ou 21K, dans la classification Nextstrain, a supplanté le variant Delta (lignée B.1.640). Ce remplacement s’est fait encore plus rapidement que celui du variant Alpha par Delta courant 2021. En France et partout ailleurs, on voit aussi se propager depuis janvier sa sous-lignée BA.1.1.

De manière encore plus inattendue, dans certains pays dont le Danemark, l’Afrique du Sud ou l’Inde, c’est une lignée cousine notée BA.2 qui est rapidement devenue majoritaire. Autant la divergence de BA.1.1 depuis BA.1 est récente (environ octobre 2021), autant on pense que l’ancêtre commun à BA.1 et BA.2 remonte à mars 2021. En résumé, ces deux lignées ont une origine commune (elles partagent plus de 30 mutations) mais elles sont déjà presque aussi divergentes que Delta l’était de Alpha (par plus de 35 mutations).

En France, grâce à une collaboration avec le laboratoire CERBA et le CHU de Montpellier, notre équipe a estimé que le variant Omicron/BA.1 était devenu majoritaire pendant la 3e semaine de décembre et hégémonique peu après. Depuis fin janvier, le pourcentage de BA.2 parmi les dépistages a doublé tous les dix jours en janvier pour devenir majoritaire à la fin février.

Amérique du Nord, Russie, Europe, Australie et Afrique du Sud sont les régions les plus touchées par Omicron
Le variant Omicron est devenu majoritaire sur la planète depuis la troisième semaine de décembre, avec sa lignée BA.1. C’est désormais BA.2 qui est en pleine croissance. (Présence mondiale d’Omicron au 11 février 2022. En rouge foncé, 100 000 cas confirmés et plus ; en gris, pas de données.).
newsnodes.com/omicron_tracker/Questzest, CC BY-SA

T.C. : Au-delà de BA.1 et BA.2, on évoque une troisième branche dans le groupe Omicron : BA.3. Qu’en est-il ?

Mircea T. Sofonea : Le sous-lignage d’Omicron BA.3 est connu depuis le 18 novembre 2021, date de son premier séquençage en Afrique du Sud, soit moins d’un mois après la détection de BA.1 au Botswana. Il présente 34 mutations sur sa protéine Spike (d’ailleurs écourtée de six acides aminés) comparée à la souche initiale de référence du SARS-CoV-2 (Wuhan-Hu-1), un nombre intermédiaire entre les sous-lignages BA.1 (39) et BA.2 (31), vis-à-vis desquels il ne présente qu’une seule mutation propre.

C’est sur la base de ces arguments que certains auteurs évoquent une recombinaison entre BA.1 et BA.2 comme origine de BA.3.

Bien qu’il soit présent dans au moins une vingtaine de pays (du sud de l’Afrique, en Europe et aux États-Unis) et qu’il possède a priori (approches in silico) un profil mutationnel le rendant plus transmissible que BA.1, il demeure ultra-minoritaire. Seules 543 séquences BA.3 ont en effet été déposées sur la base de données GISAID au 5 mars 2022, représentant moins de 0,05 % des séquences mondiales d’Omicron. En France, 17 séquences de BA.3 ont été rapportées au 28 février 2022, relevant majoritairement d’un même cluster.

Cette faible propagation rend impossible à ce stade la quantification précise de son avantage de transmission ou d’un différentiel de virulence, mais constitue un signal optimiste sur le risque que ce sous-lignage représente sur le court terme. Ce qui exclut sa classification comme variant à part entière.

T.C. : Reste que cet « ensemble Omicron » présente une diversité importante… Plus que ce qui s’observait chez les variants précédents ? Peut-on considérer qu’il y a en fait plusieurs variants Omicron ?

M.T.S. : Pour le moment l’appellation « variant Omicron » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) renvoie bien à l’ensemble des lignages BA.1, BA.1.1, BA.2 et BA.3… Mais il convient en effet de souligner les différences non seulement entre le groupe Omicron et les autres variants, et celles entre BA.1 et BA.2, notables sur le plan virologique et épidémiologique.

Rappelons, contre l’intuition fantasmée d’une évolution virale linéaire, que le groupe Omicron n’est pas issu du variant Delta mais a vraisemblablement émergé à la même période : soit dans les premiers mois de 2020, à la faveur de l’infection chronique d’un hôte immunodéprimé ou d’une rétrozoonose depuis un réservoir murin.

Ces deux hypothèses permettraient en effet d’expliquer l’accumulation importante de mutations dans ce groupe au moment de sa détection : au moins 31 sur sa seule protéine Spike, soit plus du double de celle du variant Delta.

Les études structurales et fonctionnelles de la protéine Spike d’Omicron (au moyen de cryo-microscopes électroniques à haute résolution dont la France manque cruellement) ont permis de mettre en évidence les nombreuses conséquences (synergiques) de ces mutations sur sa virologie, sa pathogénicité et son épidémiologie.

Vue 3D de la protéine Spike
Une trentaine de mutations ont été localisées sur la seule protéine Spike d’Omicron (en jaune, substitution d’un de ses acides aminés par un autre, en rouge perte et en vert gain).
Opabinia regalis, d’après Structure, Function, and Antigenicity of the SARS-CoV-2 Spike Glycoprotein, in Cell, CC BY-SA

T.C. : Maintenant qu’on a un peu plus de recul, quelles informations peut-on tirer de l’étude de ces mutations ?

M.T.S. : De nombreuses capacités d’Omicron ont en effet pu être identifiées ou précisées :

● Affinité accrue pour le récepteur cellulaire humain ACE2 mais une moindre capacité de fusion membranaire,

● Exploitation d’une seconde voie d’entrée dans les cellules par endocytose (indépendante d’une enzyme nécessaire à l’entrée des autres variants),

● Potentiel de réplication augmenté dans l’épithélium (tissu composé de cellules jointives) des voies aériennes supérieures (bouche, nez, gorge, etc.) et diminué dans celui des voies aériennes inférieures (poumons…),

● Délai intercontamination (intervalle sériel) raccourci de 4,1 (Delta) à 3,7 jours,

Échappement immunitaire, à l’origine d’une réduction importante de la neutralisation par les anticorps d’origines post-infectieuse, vaccinale ou thérapeutique (anticorps monoclonaux).

La conjugaison de ces propriétés confèrent à Omicron une transmissibilité multipliée par un facteur deux à trois et une létalité réduite d’environ 70 % par rapport au variant Delta.

Notons toutefois que cette baisse de virulence n’est pas homogène selon l’âge : des collègues britanniques ont ainsi montré que le risque d’hospitalisation dû à une infection par Omicron est équivalent à celui de Delta chez les moins de 10 ans, mais quatre fois moindre chez les 60-69 ans.

T.C. : Qu’en est-il de la vaccination avec Omicron ?

M.T.S. : Selon la dernière synthèse publique britannique, l’efficacité vaccinale vis-à-vis de l’infection symptomatique par Omicron est faible et décroît rapidement. Avec seulement deux doses, la protection n’est plus que de 10 % après 6 mois, contre plus de 40 % pour Delta. En revanche, elle se maintient au-dessus de 40 % jusqu’à 6 mois après la 3e dose. Heureusement, l’efficacité vaccinale vis-à-vis de l’hospitalisation dépasse les 75 % jusqu’à six mois après le rappel.

Dans l’état actuel des connaissances, ces estimations sont équivalentes entre les deux sous-lignagnes principaux d’Omicron, BA.1 et BA.2, lesquels présentent des sévérités comparables. Les deux différences notables entre eux résident dans un avantage de transmission relatif de 40 % pour BA.2 – en lien avec une réplication plus rapide dans le nasopharynx, et un intervalle sériel encore plus court (3,3 jours) – ainsi qu’une absence de neutralisation détectable par les seuls anticorps monoclonaux encore actifs sur BA.1, à savoir le sotrovimab et la bithérapie tixagévimab/cilgavimab.

T.C. : Sommes-nous encore bien immunisés contre de nouvelles lignées ?

M.T.S. : Entre l’immunité post-infectieuse et l’immunité vaccinale, moins d’un dixième de la population française est désormais immunologiquement « naïf » vis-à-vis du virus du Covid-19.

La vague d’Omicron BA.1 a conféré une immunité collective croisée vis-à-vis de BA.2, les réinfections étant rares. Mais celle-ci est en partie temporaire, comme on le voit avec le vaccin.

Le SARS-CoV-2 ne pouvant être éradiqué (contagiosité élevée, immunité imparfaite et déclinante, réservoirs animaux), de nouveaux variants émergeront, sélectionnés en particulier sur leur capacité à contourner la réponse immunitaire. Le moment de leur apparition et leurs propriétés antigéniques sont pour le moment imprédictibles.

Le renouvellement de la vaccination, si possible par des formes actualisées ou plus robustes, sera toujours d’actualité, au moins pour les personnes vulnérables. Il faudrait d’ailleurs déjà plancher sur l’optimisation du calendrier des prochaines campagnes de vaccination et des critères de retours, temporaires et localisés, des gestes barrières, en cas de reprises épidémiques.

T.C. : Vous parlez de l’émergence de nouveaux variants qui va se poursuivre. La coexistence entre variants est-elle possible ?

S.A. : Cela va beaucoup dépendre de l’immunité croisée. Selon la théorie de la dynamique des populations, dans les situations les plus simples, deux espèces ne peuvent pas coexister si elles exploitent la même « niche écologique ». Les variants Omicron semblent amorcer un tournant avec la colonisation d’une nouvelle « niche » dans les voies respiratoires supérieures.

Si on aborde la question du côté immunologique, cette coexistence pourrait être facilitée par le fait que l’immunité générée suite à une infection par Delta ou à la vaccination s’étend peu aux voies respiratoires supérieures, peu irriguées par le système immunitaire. De plus, les premiers résultats suggèrent que l’immunité naturelle suite à une infection Omicron protégerait peu contre les autres variants.

Enfin, il faut préciser à quelle échelle on se place pour parler de coexistence. On sait que deux variants peuvent coexister au sein d’une même personne, comme le démontrent l’existence d’un virus recombinant entre le variant Alpha et d’autres lignées, ou de récentes co-infections par Omicron et Delta au Royaume-Uni.

À l’échelle inverse, on voit depuis le début de l’épidémie certains variants demeurer majoritaires dans certains pays uniquement. Là encore, l’écologie scientifique nous enseigne que les contraintes géographiques facilitent la coexistence des espèces.

T.C. : L’émergence d’Omicron et BA.2, qui écrasent tous les autres variants, marque-t-elle un « essoufflement » de l’épidémie en termes de capacité de diversification ?

S.A. : Du point de vue de l’évolution virale, c’est plutôt le contraire. Il est impressionnant de voir que BA.2 diffère de la séquence de SARS-CoV-2 de Wuhan par près de 80 mutations, alors que pour BA.1 on est à 70 et pour Delta « seulement » à 50.

Plus un virus circule, plus il évolue rapidement. Et le variant Omicron circule extrêmement vite… Un autre exemple de cette circulation massive vient des rares suivis des réservoirs animaux : des analyses de données de séquençage suggèrent que des lignées cryptiques semblent infecter la faune des égouts de New-York.

L’augmentation de la « biodiversité » de ce virus fragilise les espoirs de voir d’aboutir à des « culs-de-sac évolutifs », c’est-à-dire des situations où les mutations nécessaires à sa propagation (par exemple lui permettant un échappement immunitaire) soient tellement coûteuses qu’elles ne peuvent pas se propager. En effet, le risque est élevé qu’une des innombrables lignées trouve une solution viable.

Il faut aussi se méfier de la croyance séculaire selon laquelle les virus deviendraient moins virulents avec le temps. Comme le montre la découverte cette année d’un variant de VIH plus virulent que la moyenne circulant depuis la fin des années 1990, c’est plutôt le contraire. Certes, la létalité des infections diminue, mais cela reflète avant tout l’amélioration de la réponse sanitaire, des vaccins ou des traitements.

Un des enseignements de la modélisation est qu’il faut se méfier de nos biais de perception. En phase de croissance épidémique, l’inquiétude augmente, et, à l’inverse, en phase de décroissance, nous avons tendance à être plus optimistes… La difficulté pour les scientifiques est de s’en tenir aux faits. De ce point de vue, il nous manque encore beaucoup de certitudes concernant les variants Omicron. Quelles sont la durée et la portée de l’immunité post-infectieuse ? Quels sont les effets à long terme des infections ? Verra-t-on, comme pour les autres variants, des Covid longs se déclarer dans les mois à venir ?

Sur toutes ces questions essentielles, nous guettons les résultats des équipes de recherche à l’étranger qui ont bien plus de moyens pour travailler.The Conversation

Samuel Alizon, Directeur de Recherche au CNRS, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Mircea T. Sofonea, Maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses, laboratoire MIVEGEC, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.