Philippe Combette : « L’innovation ne peut pas exister sans la confiance »

Philippe Combette, directeur de l’Institut d’électronique et des systèmes de Montpellier (IES) a été nommé vice-président chargé des partenariats et de l’innovation à l’Université de Montpellier, lors du conseil d’administration qui s’est tenu le 26 septembre dernier. Il succède à François Pierrot appelé à remplir des fonctions nationales au CNRS. Entretien avec le nouveau défenseur de l’innovation.

Philippe Combette, vous venez d’être nommé vice-président en charge des partenariats et de l’innovation, comment envisagez-vous ce rôle ?
Avant de me lancer il va falloir que j’observe le paysage qui s’offre à moi. J’ai besoin de comprendre les forces en présence et celles qui veulent être engagées pour que l’innovation reste une réussite à l’Université de Montpellier. Nous sommes régulièrement classés en tête de liste des universités tournées vers l’innovation sur des secteurs à forts potentiels. Pour autant, au niveau national les laboratoires universitaires qui s’engagent avec des partenaires industriels s’appuient sur 15 à 20% max de leur effectif. Sur ce point, nous pouvons encore progresser. D’ailleurs notre capacité à innover a été reconnue au plus haut niveau de l’État avec l’obtention du label « Pôle Universitaire d’innovation », c’est une preuve de confiance que nous devons honorer.

Comment vous la définissez cette innovation ?
Effectivement il faut être précis, pour certains l’innovation est associée à un marché et pour d’autres, elle est associée à la recherche et au développement. Pour moi, la définition qu’en fait la DGFIP est claire.

La vice-présidence c’est quelque chose à quoi vous aviez déjà pensé ?
Non, pas du tout mais je suis une personne intègre et surtout très attachée au bien public.  Je suis féru de valorisation et d’innovation et j’ai une bonne connaissance des acteurs à l’échelle régionale et nationale. J’imagine que cela faisait de moi un bon candidat.

Dans une interview, François Pierrot, votre prédécesseur, avait présenté l’innovation comme une mission de service public à l’université. Vous êtes dans ce prolongement-là ?
Oui, c’est évident. La Nation doit être en capacité de déployer une stratégie de valorisation et d’innovation et sans les universités, ce serait compliqué. Il faut que nous conjuguions l’innovation, ici et maintenant. Personnellement, je trouve très intéressant pour un chercheur, une équipe de voir une idée aboutir et être valorisée. Ce n’est pas l’aspect mercantile qui prévaut mais une forme de contribution à la société.

Comment envisagez-vous le rapport entre le monde académique et l’innovation ?
Je sais que certains labos sont réticents à l’idée de partager leurs atouts avec le monde socioéconomique. Ils considèrent qu’avant tout, leur mission est de participer à l’augmentation de la connaissance. Certes, Il y a parfois un a priori du monde académique vers le monde industriel mais la réciproque est tout autant valide.

Je pense quant à moi qu’il ne faut pas opposer ces deux mondes, ils sont les deux faces d’une même pièce : la connaissance. Et personnellement j’ai du mal à considérer que le futur de la recherche française sera uniquement académique. Il nous faudra trouver l’équilibre entre recherche fondamentale et recherche finalisée.

D’où viennent ces a priori ?
Parce que ces deux mondes n’ont pas les mêmes règles, les mêmes objectifs et tant qu’on ne partage pas ces règles ou ces objectifs on n’y arrive pas. Il faut des moments de frictions entre les labos et les entreprises, quelle que soit la taille de l’entreprise, ça peut être une startup, une TPE, une PME ou un grand groupe.

Comment peut-on les dépasser ?
Je pars du principe que l’innovation ne se décrète pas, il faut lui donner les moyens d’apparaitre naturellement et pour cela je crois plus aux petites choses du quotidien, qu’aux grandes messes. Nous le voyons lorsque des start-up sont accueillies dans les laboratoires. Cette proximité génère de la confiance. L’entreprise doit avoir confiance dans le laboratoire, dans sa capacité à répondre dans les temps, et le laboratoire doit comprendre que l’entreprise n’est pas là pour lui piquer ses idées. L’innovation ne peut pas exister sans la confiance.

On travaille de la même manière avec un grand groupe et une start-up ?
Non. Les grands groupes, finalement, sont souvent sur des échelles temporelles qui sont presque synchrones avec les nôtres, ils s’inscrivent sur des grands plans. La dynamique est différente avec des PME ou des startups, qui sont fragiles, parfois en devenir et pour lesquelles le temps est un facteur important. C’est ce qu’a initié François Pierrot avec la possibilité d’accueillir ce type de sociétés au sein des laboratoires, car elles représentent l’essentiel du réseau industriel français. C’est là que l’université a son rôle à jouer comme mentor et souvent, c’est ce type de sociétés qui viennent nous voir et ont besoin de nous.

Quelle image ces entreprises ont de l’Université ?
Elles ont l’impression de rentrer dans une grande tour d’ivoire donc à nous de leur faire comprendre que le monde académique a changé.

L’Université de Montpellier est devenu EPE, le PUI se profile… Quels seront les grands challenges de votre mandat ?
Le monde est en devenir. Les startups sont en devenir, les unités qui ne font pas de valo et qui pourraient en faire sont en devenir. Et surtout les jeunes sont en devenir. On compte de plus en plus d’étudiants et d’étudiantes entrepreneur(e)s. Il faut continuer de développer ce genre d’initiative et le faire avec les collectivités, la Métropole, la Région, le Département… Il y a tout un ensemble d’acteurs qui vont participer à ce fameux PUI.

C’est ce que vous avez voulu faire en créant à l’IUT de Montpellier Ob.i Lab ?
Oui c’est un lieu de friction entre les laboratoires, les entreprises et les étudiants.  Il faut mixer ces mondes et s’appuyer sur nos jeunes pour faire en sorte que les esprits évoluent. Il faut offrir aux étudiants et aux étudiantes des nouveaux lendemains, c’est à dire des moyens de se projeter dans l’entreprise. C’est aussi cela le but de l’innovation.

Vous avez parlé de la Région, de la Satt également qui fête ses dix ans. Comment envisagez-vous les rapports avec les partenaires de l’innovation ?
Nous avons besoin de tout le monde et il faut que chacun ait une place bien définie. Qui fait quoi ? À quel niveau? A partir de quels liens ? En fait, il faut savoir se connaître et se reconnaître.

Vous étiez jusqu’à présent directeur de l’Institut d’électronique et des systèmes. Qu’est-ce que vous retirez de cette expérience? Vous avez travaillé sur la valorisation là-bas ?
Oui, nous avons créé en 2021 une cellule de valorisation séparée en deux entités :  IES Engineering et IES&Companies. La première est plutôt orientée recherche et développement avec pour objectif de répondre à des problématiques purement industrielles.

Et IES Companies ?
C’est l’accueil de start-up dans les locaux du laboratoire, il y a des contrats et des conventions d’hébergement. Actuellement une dizaine d’entreprises y sont hébergées et payent un loyer au laboratoire tout en bénéficiant d’un environnement scientifique de très haut niveau. C’est ce que je disais tout à l’heure, on se connaît bien et on peut aller ensemble répondre à des appels à projets régionaux, nationaux et internationaux.

Et cela a porté ses fruits ?
En 18 mois, le chiffre d’affaires est passé de quelques dizaines de milliers d’euros à pratiquement 2 millions d’euros. Donc oui cela fonctionne.

Vous venez de l’IES, François Pierrot venait du Lirmm, est-ce qu’il y a une plus grande culture de l’innovation dans les sciences dites technologiques que dans les autres ?
Il y a l’IES, le Lirmm et il y a la chimie aussi. En fait, il y a une proximité avec les industriels qui fait que c’est dans notre ADN mais ce n’est pas parce qu’on travaille avec les industriels qu’on n’a pas besoin de la recherche fondamentale, au contraire. C’est un peu la métaphore de l’arc bandé, la force, c’est la recherche fondamentale, les savoir-faire, les expertises… La flèche qui atteint la cible, c’est l’innovation issues des sciences y compris des sciences sociales dont on ne parle pas assez et qui ont pourtant toute leur place dans ce secteur.

Pour vous que change cette nomination ?  Allez-vous continuer à enseigner ?
Je vais moins enseigner, mais je veux garder un minimum de contact avec les étudiantes et les étudiants parce que c’est vraiment là qu’on rencontre la vraie vie. J’adore la culture asiatique, je pratique les arts martiaux depuis 35 ans et il y a cette sagesse de considérer le présent comme un cadeau. Et bien, les étudiants me font sentir, parfois de façon positive ou négative, mais ils me font sentir ce qu’est le présent. J’aimerais employer cela dans mes nouvelles fonctions de VP, me nourrir du présent pour mieux nous projeter dans l’avenir.