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Comprendre comment une épidémie se développe pour aider à la contrôler, c’est l’apport de  l’épidémiologie mathématique. Une discipline plébiscitée dès les prémices de l’épidémie de Covid-19. Mircea Sofonea, enseignant-chercheur au laboratoire Mivegec*, nous éclaire sur cette approche qui n’a peut-être jamais été autant médiatisée.

« Nombre de reproduction de base, R zéro ». Un terme qui a été sur toutes les lèvres dès le début de l’épidémie de Covid-19 et que vous n’aviez peut être jamais entendu auparavant. Ce fameux R0 est le nombre clé d’une discipline qui occupe le devant de la scène depuis quelques mois : l’épidémiologie mathématique.

« La rencontre des calculs mathématiques et de la santé publique remonte au 18e siècle », explique Mircea Sofonea, enseignant-chercheur au laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle. À cette époque, l’Europe fait face à la variole. Pour combattre cette maladie redoutable, une technique venue d’Asie consiste alors à inoculer à des personnes saines du virus prélevé sur des personnes faiblement malades. Objectif : protéger les patients d’une variole grave. Une méthode assez aléatoire puisque la variolisation – ancêtre de la vaccination – était à l’origine de varioles mortelles chez certains patients.

Développer des modèles

Comment savoir alors si cet acte devait être encouragé pour assurer une protection collective malgré ses victimes collatérales ? « Il était difficile d’envisager d’inoculer un village entier pour comparer la mortalité avec un autre village non inoculé par exemple, ça n’aurait pas été éthiquement acceptable », explique le chercheur en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses. Seule alternative : développer des modèles. « C’est-à-dire simplifier la réalité pour répondre à une question scientifique précise. » Le médecin et mathématicien suisse Daniel Bernoulli développe en 1760 un de ces premiers modèles. En se basant sur l’étude d’équations différentielles, il estime que la variolisation collective entraînerait un gain d’espérance de vie de 3 ans. « C’est le point de départ de l’épidémiologie mathématique », raconte Mircea Sofonea.

« Ces modèles répondent à trois objectifs : comprendre le passé, décrire le présent et éclairer l’avenir », explique le spécialiste, dont l’équipe a été fortement sollicitée autour de la Covid-19. Pour mieux décrire l’épidémie, les chercheurs estiment le fameux nombre de reproduction de base R0 qui reflète le potentiel de propagation d’une maladie. « Biologiquement, il correspond au nombre moyen de personnes que contamine un individu contagieux. Ce chiffre caractérise la trajectoire de l’épidémie : lorsqu’il est supérieur à 1, l’épidémie se propage, et en deçà elle est sous contrôle », détaille Mircea Sofonea. Le chercheur et son équipe ont estimé le R0 en France au début de l’épidémie entre 2,5 et 3,5. D’après leur modèle, le R0 serait tombé à 0,7 lors du confinement qui a fortement réduit les contacts individuels.

Levier comportemental

« En l’absence de solution pharmaceutique, le levier comportemental, via notamment la distanciation physique, est la seule arme contre les maladies infectieuses », explique l’épidémiologiste. C’est en particulier ce qui expliquerait que le R0 estimé à 3 en Europe en début d’épidémie se serait cantonné à 2 en Asie. « Cet écart pourrait être dû aux modes de vie et aux différences culturelles : habitudes de salutation, proximité, fréquence de lavage des mains, port du masque spontané. »

En attendant un traitement, tout est donc axé sur la prévention : « le délicat objectif est de pouvoir contenir la transmission tout en étant le moins restrictif possible ». Mais dans quelle mesure ? Pour le savoir, les membres de l’équipe Évolution théorique et expérimentale ont cherché à déterminer le meilleur contrôle à appliquer sur l’épidémie pendant les 100 premières semaines, « soit le temps estimé pour découvrir et mettre en place un traitement ou un vaccin ». Ils ont ainsi déterminé une théorie de contrôle optimal. Sa stratégie ? Mettre en place rapidement un contrôle fort pour le relâcher ensuite progressivement. « Nos modèles suggèrent que cette stratégie permettrait d’endiguer l’épidémie de manière efficace sur la période considérée. Elle donnerait de meilleurs résultats qu’une absence de contrôle mais aussi qu’une stratégie de contrôle strict constant. »

Concertation

Ces modèles peuvent-ils dicter les mesures à mettre en place ? « Il faut être prudent dans leur utilisation et ne pas se baser sur une seule simulation, répond Mircea Sofonea. Ces modèles n’ont pas de valeur prédictive au-delà du court terme, mais participent aux outils d’aide à la décision. Et le choix de la stratégie à adopter pour endiguer une épidémie doit être faite en concertation avec d’autres disciplines : l’épidémiologie, la médecine et les sciences humaines et sociales doivent collaborer pour proposer aux politiques les meilleurs mesures à mettre en place ».

*Mivegec (UM-CNRS-IRD)