Un nouveau champignon pathogène menace les chauves-souris
Une équipe internationale dirigée par des scientifiques de l’Université de Montpellier, en collaboration avec des scientifiques du CNRS et des partenaires en Allemagne, Bulgarie, Finlande et Ukraine, a analysé un nombre colossal d’échantillons du champignon responsable de la plus grande mortalité de mammifères jamais documentée. Ce travail d’envergure, épaulé par plus de 360 bénévoles, a été publié dans la prestigieuse revue Nature ce 28 mai 2025. Il bouleverse la compréhension actuelle de la maladie du nez blanc, en révélant des éléments inédits sur l’identité et la diversité des agents pathogènes impliqués.
La maladie du nez blanc, une maladie que l’on pensait bien connaitre !
Les maladies ne frappent pas que les humains : en 2006-2007, une mortalité massive et inexpliquée de chauves-souris a été observée dans une grotte de l’État de New York. Les animaux présentaient une poudre blanche sur le museau, causée par un champignon alors inconnu, Pseudogymnoascus destructans. Cette maladie fongique, appelée « maladie du nez blanc », s’est rapidement propagée à travers l’Amérique du Nord, décimant les populations hibernantes avec des taux de mortalité annuelle dépassant 90 %, et causant la mort de plusieurs millions de chauves-souris. Les chercheurs ont découvert que ce champignon était originaire d’Eurasie, où il coexiste avec les chauves-souris locales sans provoquer de mortalités massives. Son introduction accidentelle en Amérique du Nord a déclenché l’une des épidémies les plus dévastatrices jamais documentées chez les mammifères sauvages.
Pendant presque 20 ans, on a cru que l’histoire de ce pathogène était relativement simple : un agent unique, une origine géographique identifiée (l’Europe), et des mécanismes bien établis. Mais les nouvelles données génétiques révèlent une histoire bien plus complexe, remettant en question nos certitudes sur l’origine, la diversité et la dynamique évolutive de ce champignon pathogène.
Non pas une, mais deux espèces de champignons causent la maladie !
Jusqu’à récemment, Pseudogymnoascus destructans était considéré comme l’unique agent responsable de la maladie du nez blanc. Toutefois, cette étude, fondée sur l’analyse d’un nombre impressionnant d’échantillons (5 479) provenant de 27 pays et de trois continents, met en lumière l’existence de deux espèces distinctes de champignons capables de provoquer la maladie, bien qu’une seule des eux espèces ait été introduite en Amérique du Nord. Cette découverte remet en question l’idée d’un agent pathogène unique et révèle la complexité de la dynamique de la maladie. Elle ouvre ainsi de nouvelles perspectives sur l’évolution de la virulence et sur la manière dont ces agents pathogènes interagissent avec leurs hôtes selon les contextes géographiques.
« Nous pensions connaître notre ennemi, mais nous découvrons aujourd’hui qu’il est double, et potentiellement plus complexe que nous l’imaginions », résume Nicola Fischer, première auteure des travaux, qui a effectué son doctorat sur le sujet entre l’Université de Greifswald en Allemagne et l’Université de Montpellier.
Un risque significatif pour la conservation des chauves-souris
La découverte d’un deuxième champignon pathogène, capable de provoquer la maladie du nez blanc et présentant une spécialisation d’hôte différente, représente un risque considérable pour la conservation des chauves-souris. Bien que la seconde espèce soit actuellement absente d’Amérique du Nord, son introduction pourrait menacer des espèces de chauves-souris qui n’ont pas encore été affectées par la première. De plus, même les espèces de chauves-souris qui commencent à se remettre de l’exposition au premier pathogène pourraient se retrouver confrontées à de nouveaux défis si le deuxième venait à se propager. Cette situation rappelle l’exemple des champignons chytrides qui ont dévasté les populations d’amphibiens, où l’émergence d’une seconde espèce plus spécialisée après une première espèce généraliste a eu des effets dévastateurs. Dans le cas de la seconde espèce de P. destructans, il est encore possible d’agir de manière préventive pour renforcer la biosécurité mondiale et limiter les risques associés à cette nouvelle menace.
En Eurasie, les deux espèces de champignon sont déjà présentes, mais les populations fongiques y sont très fortement structurées géographiquement. Le principal risque réside dans le rapprochement, souvent induit par les activités humaines, de populations auparavant isolées. Cela pourrait favoriser des recombinaisons génétiques au sein d’une même espèce, un mécanisme bien connu chez les champignons pour générer de nouvelles variantes, parfois plus virulentes. Une telle émergence représenterait une menace sérieuse pour les chauves-souris eurasiennes, même si celles-ci ne semblent pas affectées jusqu’à présent.
L’origine de l’introduction en Amérique du Nord enfin élucidée
Grâce à l’analyse génétique de plus de 5400 échantillons collectés à travers l’Eurasie et l’Amérique du Nord, l’étude identifie pour la première fois avec précision la région d’origine de la lignée responsable de l’épidémie nord-américaine de la maladie du nez blanc : la région de Podillia, en Ukraine. Cette zone, qui abrite certains des plus vastes systèmes de grottes au monde, est depuis la fin de l’Union soviétique une destination prisée des spéléologues internationaux, notamment nord-américains. Les résultats suggèrent que l’introduction accidentelle du champignon en Amérique du Nord, vraisemblablement via des échanges avec des explorateurs de grottes de l’État de New York, où la maladie a été détectée pour la première fois, provient d’un événement unique. Ce travail met fin à près de deux décennies de spéculations sur l’origine de la maladie du nez blanc outre-Atlantique et illustre de manière frappante l’impact qu’un seul événement de translocation peut avoir sur la faune sauvage.
Spéléologie et biosécurité : un enjeu crucial pour la prévention des maladies
Cette découverte met en lumière les risques majeurs que représentent les activités de spéléologie pour la dispersion d’agents pathogènes, et souligne l’urgence d’une meilleure connaissance de la “pollution biologique” liée aux déplacements humains. La prévention du transport involontaire de champignons pathogènes comme Pseudogymnoascus destructans doit devenir une priorité dans les stratégies de conservation et de gestion sanitaire, tant pour la faune que pour les humains. Le nettoyage systématique et rigoureux de l’équipement de spéléologie lors des voyages s’impose comme une mesure essentielle : des études montrent qu’il permet de réduire drastiquement la présence de spores viables et limite ainsi la propagation du champignon qui cause la maladie du nez blanc.
Des bénévoles au cœur de la découverte scientifique
Cette étude n’aurait pas été possible sans une mobilisation hors norme. Grâce à un effort collectif de collecte à l’échelle de l’hémisphère nord, impliquant plusieurs centaines de bénévoles — majoritairement chiroptérologues — les chercheurs ont pu analyser un jeu de données exceptionnel.
« Ce projet démontre la force de la science participative. Des bénévoles bien formés, dans le bon réseau, peuvent contribuer à générer des données de qualité exceptionnelle à des échelles impossibles à atteindre autrement », conclut Sébastien Puechmaille, coordinateur de l’étude à l’Université de Montpellier.
Informations pratiques :
- Date de parution : 28 mai 2025
- L’article complet : ici
- DOI : 10.1038/s41586-025-09060-5