Virus « exotiques » dans l’Hexagone : que faut-il savoir du chikungunya ?
Depuis le début de l’été, un nombre record de cas autochtones d’infections par le virus chikungunya a été recensé dans l’Hexagone. Voici ce qu’il faut savoir de ce virus, propagé par les moustiques appartenant au genre Aedes, comme le moustique tigre Aedes albopictus.
Yannick Simonin, Université de Montpellier

Le virus chikungunya a été décrit pour la première fois en 1952 en Tanzanie, sur le plateau du Makonde. Son nom dérive du mot signifiant « se déformer » en langue kimakonde, parlée notamment dans le sud-est de la Tanzanie. Il décrit la façon dont la posture des malades, perclus de graves douleurs articulaires, se transforme durant la maladie.
Si la plupart des patients finissent par se rétablir complètement, ce virus est particulièrement dangereux pour les nouveau-nés et les personnes âgées. Dans un grand nombre de cas, il peut aussi être à l’origine de lourdes séquelles, notamment des douleurs articulaires ou une fatigue chronique. Ces dernières peuvent perdurer pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, dégradant la qualité de vie des personnes concernées.
Biologie et transmission
Le virus chikungunya (CHIKV) est un arbovirus, autrement dit un virus transmis par les arthropodes (« ARthropod-BOrne VIRUS, en anglais). Il s’agit d’un virus enveloppé avec comme génome de l’ARN.
Il est propagé par les femelles de différentes espèces de moustiques appartenant au genre Aedes. Les espèces d’Aedes le plus souvent responsables de sa transmission sont Aedes aegypti et Aedes albopictus, le tristement célèbre moustique tigre. Dans les régions rurales du continent africain, Aedes furcifer et Aedes africanus sont aussi impliqués, ainsi que plusieurs autres espèces d’Aedes.
Sur le continent africain, divers réservoirs animaux ont été identifiés (primates, rongeurs, oiseaux…), impliqués dans le cycle du virus. Le virus peut donc se transmettre de l’animal à l’être humain, ce qui en fait une zoonose.
Le bétail peut aussi être un réservoir, mais son rôle dans la transmission n’est pas clairement déterminé.

Si les moustiques du genre Aedes piquent toute la journée durant, ils sont toutefois plus agressifs en milieu de matinée et en milieu d’après-midi. Les risques de transmission de la maladie sont donc plus importants pendant cette période.
Lorsqu’une femelle moustique se nourrit sur un individu dont le sang contient le virus, ce dernier se multiplie dans l’organisme de l’insecte pendant une dizaine de jours, notamment dans son système digestif et ses glandes salivaires. Quand le moustique infecté pique une nouvelle cible, il lui injecte systématiquement sa salive, principalement pour empêcher la coagulation du sang et ainsi faciliter le repas sanguin. C’est de cette façon qu’il transmet le virus.
Une fois dans le sang de son nouvel hôte, le virus se multiplie à nouveau en quelques jours. Les moustiques qui piqueront l’individu nouvellement contaminé seront à leur tour infectés, poursuivant le cycle de transmission du virus… C’est ainsi qu’apparaissent des foyers de cas autochtones, voire des épidémies.
Lors des flambées humaines, c’est donc la transmission du virus d’une personne à une autre qui entretient l’épidémie. Une personne porteuse du virus peut le transmettre durant la phase « virémique » (lorsqu’il est présent dans le sang), soit un à deux jours avant le début des symptômes et jusqu’à sept jours après.
La contamination peut aussi se faire via une exposition au sang contaminé (transfusion, piqûre avec une aiguille contaminée, projection ou contact…). Par ailleurs, bien que rare, le virus peut aussi être transmis de la mère à l’enfant au cours de l’accouchement, avec de graves conséquences pour le nouveau-né.
Très fragile en dehors de son hôte, le virus chikungunya survit mal dans l’environnement. Il ne se transmet donc pas par des objets ou des surfaces contaminées, contrairement à bon nombre d’autres virus.
Symptômes
Selon les études, l’infection par le virus n’est asymptomatique que dans 5 à 40 % des cas. La majorité des personnes infectées développent donc des symptômes, contrairement à d’autres virus transmis par les moustiques comme la dengue ou le Zika.
Chez les personnes symptomatiques, les signes de la maladie débutent généralement d’un à douze jours après la piqûre d’un moustique infecté (en moyenne plutôt de deux à trois jours).

Cette fièvre s’accompagne de douleurs articulaires souvent sévères, qui touchent principalement les extrémités (mains et pieds, poignets, chevilles) ainsi que les genoux, et plus rarement les hanches ou les épaules. Ces douleurs sont principalement liées à l’inflammation consécutive à l’infection. Les patients présentent aussi souvent des maux de tête et des douleurs musculaires importantes (dans 70 % à 99 % des cas), ainsi qu’une éruption cutanée sur les membres et le tronc.
La plupart des malades se rétablissent complètement. La fièvre disparaît généralement en deux à sept jours, l’éruption cutanée en deux à trois jours et des douleurs articulaires en quelques semaines.
Cependant, chez certaines personnes, notamment les plus de 40 ans ou les personnes ayant des antécédents de maladies articulaires, une forme chronique de la maladie peut s’installer. Certains symptômes persistent alors. Les douleurs articulaires peuvent notamment perdurer jusqu’à plusieurs années après l’infection. Cette situation peut se révéler très invalidante au quotidien, d’autant plus qu’elle peut être associée à une fatigue chronique.
Certaines études évaluent qu’entre 30 % et 40 % des patients adultes symptomatiques présentent encore des douleurs articulaires persistantes au-delà de trois mois à six mois, tandis que 5 à 20 % des patients symptomatiques rapportaient encore ces symptômes deux ans après l’infection. Loin d’être anodines, ces atteintes chroniques peuvent donc représenter un très lourd fardeau sociétal, tant sur le plan sanitaire qu’économique…
Quelques cas occasionnels de complications oculaires, neurologiques (encéphalites, syndrome de Guillain-Barré) et cardiaques (myocardites) ont également été répertoriés.
Heureusement, les décès dus au chikungunya sont rares (entre 0,1 et 1 pour 1 000 cas symptomatiques). Ils concernent principalement des nouveau-nés, pour lesquels la maladie est très dangereuse, générant des problèmes neurologiques et cardiaques, ainsi que les personnes âgées ou souffrant de comorbidités (le virus aggravant les pathologies sous-jacentes).
À la suite de l’exposition au virus, notre organisme développe une immunité durable qui persiste généralement plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années. Dans de nombreux cas, la protection pourrait même durer toute la vie. Les cas décrits de réinfection sont très rares, ce qui suggère que cette immunité acquise est suffisante pour protéger la plupart des personnes exposées au virus.
Diagnostic et traitements
Les symptômes étant très proches de ceux d’autres virus, comme le virus de la dengue ou le virus Zika, le diagnostic peut s’avérer difficile à établir.
Le virus peut être détecté dans des échantillons sanguins par RT-PCR, durant la première semaine de la maladie. Ultérieurement (après le cinquième jour), l’infection peut aussi être confirmée par une recherche d’anticorps dirigés contre le virus.
Il n’existe pas de médicament antiviral contre le virus chikungunya. La prise en charge consiste à soulager les symptômes en administrant des antalgiques/antipyrétiques, comme le paracétamol, pour lutter contre les douleurs et les fièvres, ainsi que des anti-inflammatoires pour traiter les problèmes articulaires.

Depuis juin 2024, un vaccin contre le chikungunya, le vaccin Ixchiq du laboratoire Valneva, dispose d’une autorisation de mise sur le marché dans l’Union européenne. Il s’agit d’un vaccin vivant atténué : il contient une souche du virus chikungunya qui a été affaiblie en laboratoire et qui ne peut donc plus provoquer la maladie, mais qui peut stimuler le système immunitaire.
Mise en œuvre durant l’épidémie d’ampleur qui a touché La Réunion en 2025, la vaccination a été suspendue chez les sujets de 65 ans et plus, avec ou sans comorbidités. En effet, plusieurs cas d’effets indésirables graves ont été signalés dans cette tranche d’âge. Des investigations complémentaires sont en cours afin d’évaluer la balance bénéfice-risque chez les personnes âgées, et adapter les recommandations vaccinales en conséquence.
Épidémiologie
Le virus chikungunya a circulé pendant plusieurs décennies en Afrique, en Inde et en Asie, ainsi que dans l’océan Indien. C’est d’ailleurs l’épidémie qui a frappé La Réunion, de même que l’île Maurice, Mayotte et les Seychelles, en 2005-2006, touchant 38,2 % de la population réunionnaise, qui a participé à le faire connaître du public français.
Avant cette première grande épidémie, La Réunion n’était pas une zone de circulation du virus chikungunya, car Aedes aegypti, le moustique vecteur principal de ce virus n’y est pas implanté. Le moustique tigre Aedes albopictus y circulait en revanche, mais n’était pas connu pour transmettre le virus. On a découvert ensuite qu’une mutation lui avait permis de s’adapter à ce moustique, qui est devenu un nouveau vecteur. Désormais, plusieurs souches de virus chikungunya circulent, selon qu’elles sont adaptées à Aedes aegypti ou au moustique tigre. Depuis ce changement, l’aire du virus s’est considérablement modifiée.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), depuis 2004, des flambées de chikungunya ont été signalées dans plus de 110 pays d’Asie, d’Afrique, d’Europe et des Amériques. Elles sont devenues plus fréquentes et plus étendues à mesure que les populations d’Aedes aegypti ou d’Aedes albopictus s’étendaient.
En outre, des adaptations permettant au virus d’être plus facilement transmis par le moustique tigre ont été détectées. Le fait que le virus ait été introduit dans des populations qui n’y avaient jamais été exposées (immunologiquement naïves) explique également l’augmentation de fréquence des flambées.
Situation en France
En France, le risque de transmission du virus chikungunya concerne à la fois les régions où Aedes aegypti est implanté, comme les Antilles (Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin, Saint-Barthélemy) ou la Guyane, mais aussi dans celles où le moustique tigre (Aedes albopictus) circule, comme à La Réunion ou en France hexagonale. À Mayotte, qui abrite les deux espèces de moustiques, le risque est élevé, notamment en raison d’un climat tropical humide favorable.
On considère qu’environ 80 % des départements français rassemblent les conditions propices à l’émergence de la maladie, notamment en raison de l’expansion continue du moustique tigre dans l’Hexagone. Ce moustique y est bien établi : en janvier 2024, il était implanté dans 78 de ses 96 départements, non seulement dans le Sud, mais aussi en Île-de-France et jusque dans l’Est.
Des cas autochtones de chikungunya – liés à des infections sur le territoire et non à des voyageurs déjà infectés à leur arrivée – ont déjà été répertoriés par le passé en France hexagonale. Le tout premier cas autochtone de chikungunya dans l’Hexagone a été identifié à Fréjus, dans le Var, en septembre 2010. Depuis, plusieurs foyers sporadiques ont été signalés principalement dans le sud de la France, avec un foyer de 11 cas à Montpellier (Hérault) en 2014 ou encore de 17 cas dans le Var en 2017.
Le virus chikungunya s’était ensuite fait plus discret, mais, en 2024, un premier cas autochtone a été détecté en Île-de-France, où le moustique tigre s’est installé ces dernières années. L’année 2025 s’annonce comme une année record, portée par la circulation intense du virus à La Réunion, puis à Mayotte : début juillet, une trentaine de cas autochtones ont déjà été détectés dans l’Hexagone.
Conduite à tenir pour prévenir la maladie
À l’heure actuelle, le seul moyen de lutter contre la maladie est de se protéger des piqûres et de lutter contre les moustiques qui la propagent.
Pour éviter de se faire piquer, il faut porter des vêtements clairs (qui diminue l’attractivité visuelle et thermique pour les moustiques), amples et couvrants, utiliser des répulsifs cutanés et mettre en place des moustiquaires (autour de son lit, à ses fenêtres…).
Pour réduire le développement des larves de moustique, il est recommandé de vider tous les récipients d’eau stagnante, notamment les coupelles des pots de fleurs et les arrosoirs, et de couvrir les réceptacles d’eau de pluie, surtout en période de fortes précipitations.
Losqu’un cas d’infection est signalé, des opérations de démoustication sont menées à proximité des cas détectés, accompagnées d’actions de sensibilisation auprès du public et des professionnels de santé (collaboration entre les agences régionales de santé, Santé publique France et des agences de démoustication telles que Altopictus ou l’Entente interdépartementale de démoustication).
Des tests de contrôle des populations de moustiques vecteurs par des techniques comme celle de l’insecte stérile sont aussi en cours.
Yannick Simonin, Virologiste spécialiste en surveillance et étude des maladies virales émergentes. Professeur des Universités, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.