Des biotechnologies made in Montpellier

Prévenir, diagnostiquer, soigner. Trois actions incontournables au service de la santé pour améliorer la prise en charge des patients. Un secteur en perpétuelle évolution où l’innovation prend toute sa place. Quelle est celle de la recherche académique dans un univers où règnent en maîtres les géants des biotechnologies et les Big Pharmas ? Une place incontournable comme en témoignent les entreprises présentées ici, qui relèvent notamment le défi de la création de nouveaux médicaments. Un challenge sur un marché où pour 10 000 molécules criblées, une seule réussira à passer toutes les étapes de tests et d’essais cliniques pour parvenir jusqu’aux patients.

 

François Pierrot, directeur exécutif de l’I-SITE MUSE et Magali Roubieu, directrice administrative, entourent Franck Molina, lauréat de l’édition 2020 et Président du jury des Prix 2021 de l’Innovation Montpellier Université d’excellence

Sys2Diag : une révolution dans le diagnostic

Des tests diagnostic performants, pas chers et simples à utiliser, c’est le credo du laboratoire Sys2diag. « Un laboratoire historique d’innovation en diagnostic médical en France et en Europe », souligne son directeur, Franck Molina. Pionnier en innovation, mais également pionnier en pratique du partenariat public – privé, le laboratoire Modélisation et ingénierie des systèmes complexes biologiques pour le diagnostic est le fruit d’une alliance entre le CNRS et le groupe Alcen. « Cette configuration nous permet d’accélérer l’innovation en mettant en parallèle de la recherche fondamentale des applications médicales », souligne le lauréat de la médaille de l’innovation 2020 du CNRS. Et les applications foisonnent à Sys2Diag. En témoigne la rapidité avec laquelle l’entreprise a conçu le test salivaire rapide de dépistage du Covid-19 EasyCov, qui n’est que la partie émergée de l’iceberg. Car des tests diagnostic, Franck Molina en a plein sa besace, tous plus révolutionnaires les uns que les autres. À commencer par le premier test psychiatrique sanguin développé par Alcediag de bipolarité et de dépression qui peut même aider à évaluer et anticiper le risque de tentative de suicide chez les patients.

Si celui-là nécessite une prise de sang, d’autres sont non invasifs. Leur secret de fabrication ? La biologie synthétique, qui permet de concevoir et programmer des cellules artificielles comme des biomachines dans le but de leur confier des tâches non naturelles. Résultat : des autotests que l’on peut réaliser n’importe où sans passer par la case laboratoire d’analyse. Sys2Diag a ainsi conçu avec la société Skillcell le premier test urinaire d’insulino-résistance au monde, baptisé IDIR. « C’est le premier test de pré-diabète, ça signifie que vous pouvez identifier un risque de diabète avant même sa survenue. »

Des tests que l’on retrouvera aussi… au bord des stades, grâce à un test salivaire de commotion cérébrale que l’on peut utiliser en temps réel pendant un match. « Il permet d’objectiver la sévérité de la commotion pour décider du suivi à mettre en place, aussi bien pour les joueurs professionnels que pour les amateurs ou même les enfants », explique Franck Molina qui a su transformer l’essai. Le chercheur planche désormais sur un test inédit visant à objectiver… le bienêtre. « Nous avons identifié les marqueurs impliqués, mais pour l’instant on ne peut pas en parler. » Pour vivre heureux vivons cachés.

Ciloa : des colis pleins de promesses thérapeutiques

Ces minuscules vésicules naturelles pourraient bien révolutionner la médecine, et pourtant il y a encore quelques années personne n’aurait misé sur elles. « Pendant longtemps on a considéré que les exosomes étaient les poubelles des cellules », se rappelle Robert Mamoun. Lui les voit bien autrement. « En fait un exosome ce serait plutôt un colis postal. » Pourquoi une telle analogie ? « On peut modifier à la fois les protéines qui sont à sa surface et celles qui sont à l’intérieur, ce qui en fait un colis dont on pourrait changer à la fois l’adresse de destination et le contenu. » Des propriétés dont le virologiste de l’Inserm entrevoit dès 2008 tout le potentiel thérapeutique. « Grâce aux exosomes, on peut par exemple mimer un virus qui n’aurait pas de pouvoir pathogène, c’est la base d’un vaccin idéal complètement naturel. »

Pour explorer ce potentiel, Robert Mamoun fonde en 2011 avec la virologiste Bernadette Trentin l’entreprise Ciloa, qui sera incubée à l’Université de Montpellier pendant 8 ans. Et si les Big Pharmas se sont aujourd’hui rendues compte de l’intérêt des exosomes, l’entreprise montpelliéraine reste « la plus ancienne et la plus expérimentée au monde sur ces recherches ».

Des recherches qui ne se limitent pas aux vaccins, mais permettent également de développer des anticorps thérapeutiques ou des nouveaux médicaments, notamment en cancérologie. « On peut mettre une tête chercheuse sur l’exosome qui sert ainsi à délivrer un médicament anti-cancer jusque dans la tumeur, ce qui permet d’avoir un traitement mieux ciblé donc plus efficace et en limitant les effets secondaires », détaille Robert Mamoun. Autre cible des exosomes : le diabète. « Notre technologie permet de délivrer une protéine qui agit à la source du diabète en empêchant la résistance à l’insuline, c’est très efficace ». Avec un brevet déposé en 2021, Ciloa est à la pointe de ces recherches et espère bien démarrer les essais cliniques chez l’homme fin 2023.

Biodol : soulager les douleurs chroniques

C’est un espoir de soulagement pour les 7 à 9% de la population qui souffrent de douleurs chroniques neuropathiques à savoir « une douleur par atteinte des nerfs qui dure depuis plus de trois mois et persiste même lorsque la cause déclenchante est soignée », précise Jean Valmier. Cette « douleur-maladie » contre laquelle aucun médicament n’est réellement efficace… pour l’instant. Car le chercheur de l’Institut des Neurosciences de Montpellier (INM) a franchi un cap majeur dans la compréhension du mécanisme responsable de ces douleurs persistantes. Une des clés de cette avancée s’appelle FLT3, un récepteur situé sur le neurone qui est activé par une molécule appelée FL. « C’est leur rencontre qui déclenche dans le système sensitif une réaction en chaîne à l’origine de la douleur chronique. Si on inhibe ce récepteur la douleur disparaît. »

Ne restait plus qu’à trouver ce fameux inhibiteur pour faire taire la douleur… Pour y parvenir, Jean Valmier a fondé avec Fabien Granier et Didier Rognan, la société Biodol Therapeutics née en 2015. Des milliers de molécules testées et 4 brevets plus tard, la société, qui compte désormais 6 employés, est la seule au monde à travailler sur ces candidats médicaments. « Nous sommes assez confiants car nous avons deux séries chimiques qui donnent des résultats très satisfaisants et au moins une molécule qui devrait avant fin 2022 être retenue comme candidat pré-clinique, ce qui signifie que des études chez l’homme pourraient commencer en 2024. »

Un horizon qui se rapproche pour les près de 4 millions de patients en France accompagnés chaque jour par la douleur. « C’est un énorme enjeu de santé publique, souligne Jean Valmier. Pour les patients bien sûr, mais aussi le médecin qui est désespéré parce qu’il ne peut pas faire grand-chose et enfin pour l’industrie pharmaceutique parce qu’un tel médicament, ce serait un blockbuster comme on dit. » Une super-production montpelliéraine, bientôt dans les salles.

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Quand la douleur dure

SeqOne Genomics : des traitements mieux ciblés grâce à la médecine personnalisée

Comprendre les spécificités de la maladie pour mieux soigner les patients, c’est l’objectif de la médecine personnalisée. Une médecine qui nécessite d’accéder à ce « plan de construction personnalisé » qu’est le génome de chacun et de décrypter et faire parler les milliers de mutations qui parsèment nos séquences ADN. C’est là qu’intervient la startup SeqOne Genomics, qui propose des solutions d’analyse de données génomiques ultraperformantes pour la médecine personnalisée. Avec comme objectif une meilleure prise en charge clinique des patients atteints de cancer et de maladies rares et héréditaires. La société créée en 2017 avec le soutien de la SATT AxLR, de l’Université de Montpellier et de l’Inserm a déjà raflé de nombreuses récompenses comme le prix iLab et le prix Hélène Starck – qui récompense de jeunes chercheurs soutenus par la Fondation ARC – et peut se prévaloir d’une position forte sur le marché français. Un modèle gagnant pour SeqOne Genomics qui vient de franchir une nouvelle étape début 2022 en levant 20 millions d’euros pour accélérer le déploiement de la médecine génomique. Un succès que l’entreprise souhaite transformer en investissant un nouvel axe de développement : « le marché des sociétés biopharmaceutiques qui développent de nouvelles thérapies », confie Jean-Marc Holder, responsable de la stratégie et de l’innovation de SeqOne Genomics. La promesse de traitements mieux ciblés grâce à une meilleure compréhension des mécanismes de la maladie, c’est ça aussi, la médecine personnalisée.

Écoutez aussi le podcast de l’émission A LUM la science qui présente les travaux de l’Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier où les chercheurs développent des analgésiques opioïdes dépourvus d’effets secondaires addictifs.